August est né dans un paisible village autrichien, Leonding. Il a grandi à la campagne, dans une ambiance sereine et bucolique, entouré d'amis, comme Alfred ou Erich. Ils étaient inséparables et faisaient les 400 coups. Quant à leurs parents, tous se connaissaient bien et vivaient en harmonie, sans se soucier des origines, de la religion, de la morphologie ou des idées politiques des autres...
Mais voilà, August est né en 1924 et l'image d'Epinal pastorale va vite s'effacer... Car, bientôt, l'Allemagne va entrer dans une nouvelle ère, qui va plonger dans l'obscurité et la terreur l'Europe et même une bonne partie du monde : le IIIème Reich. Pourtant, August n'est pas le plus à plaindre, et pour cause, sa mère, Paula, est la soeur d'Adolf Hitler... Ce qui vaut quelques avantages à August.
Heureusement, d'ailleurs, car le neveu d'Hitler n'a pas franchement le profil du parfait aryen. Il est assez petit, râblé, les cheveux bruns... Rien du fantasme racial tant vanté, imposé plutôt, à l'Allemagne, et au-delà, par son oncle... Lorsqu'il décide, en 1942, de venir s'installer à Berlin, il va d'ailleurs obtenir, sur ordre d'Hitler et des mains d'une de ses âmes damnées, Martin Bormann, un ausweis en or, autrement dit un laissez-passer universel grâce auquel il ne sera jamais inquiété par qui que ce soit, SS, Gestapo ou autre fanatique du même genre, qui se méprendrait sur son faciès...
Sortant tout juste de l'adolescence, arrivant de sa campagne (n'y voyez aucun mépris, c'est un fait), pas vraiment au courant de tout ce qui peut se passer à Berlin et au-delà des frontières, il vient s'installer chez un autre de ses oncles, Aloïs, le demi-frère d'Adolf. Celui-ci, drôle de personnage, mais dans le bon sens du terme, surtout comparé à son célèbre frangin, a beaucoup bourlingué avant d'ouvrir dans la capitale un restaurant qui ne désemplit pas.
Et pour cause, il est toujours bien approvisionné, quand les temps sont durs pour tout le monde, avec la guerre qui mobilise hommes et ressources. Et puis, comme on connaît l'identité du patron, il est bon d'y avoir ses habitudes lorsqu'on est un parfait petit nazi zélé. On vient s'y remplir la pense, mais aussi s'y saouler joyeusement et y passer, au final, des moments qui vous font oublier la perspective de finir congelé ou mort sur le front de l'Est.
Augut est émerveillé par ce qu'il découvre dans cette immense ville de Berlin que Hitler, dans sa folie mégalomane, essaye de transformer à son image grandiloquente... Emerveillé, mais aussi un peu dépassé par tout ce qui se déroule sous ses yeux... Et lorsque la ville est bombardée par les alliés, on sent qu'il ne maîtrise pas les réflexes élémentaires de survie imposés aux populations urbaines par ces situations...
Pour autant, August s'adapte plutôt bien à cette nouvelle vie. Il bosse dur, se montre efficace, profite de son temps libre pour mieux découvrir Berlin et les Berlinois. Mais aussi, pour s'adapter aux règles du Reich... Il va même rencontré, chez Aloïs, un de ses copains d'enfance, Erich, devenu SS et qui évoque devant lui, sous le sceau du secret, une mystérieuse future affectation, quelque part en Pologne...
Mais c'est une autre rencontre qui va faire basculer le destin d'August. Son autre ami d'enfance, Alfred, est juif et a choisi la résistance armée contre le totalitarisme nazi. Entré en clandestinité, il est recherché par toutes les polices du Reich. Tout ça, August s'en fout, comme avec Erich, seule compte son amitié ingénue et profonde pour Alfred.
La rencontre est arrangée par l'intermédiaire d'Alois, dans un quartier où August n'a jusqu'ici jamais mis les pieds. Et pour cause, c'est quasiment un ghetto en plein Berlin. Mais la rencontre tourne court, la Gestapo, sans doute renseignée par les nombreux mouchards qui prospèrent dans ce régime paranoïaque.
August le sait, il n'a en principe rien à craindre, il est le neveu d'Hitler. Mais ce jour-là n'est pas un jour comme les autres, le sort a décidé de s'acharner sur ce brave garçon. Un incroyable concours de circonstance envoie August dans les sombres locaux de la Gestapo où il a droit à une séance de torture destinée à le faire avouer... Car, aux yeux de ses tortionnaires, il ne peut être qu'un terroriste juif...
Et c'est ainsi que le neveu d'Hitler va se retrouver dans un wagon à bestiaux, entassé pire que du bétail et dans des conditions abominables, avec des centaines d'autres juifs, déportés par un régime sanguinaire, décidé à éradiquer par tous les moyens une race entière... Et le paisible garçon de Leonding va alors découvrir la pire facette de la politique menée par son oncle...
Je n'en dis pas plus, rassurez-vous, il se passe encore énormément de choses dans le roman de Bob Martin. Une espèce de voyage initiatique en enfer, raconté par le principal protagoniste, August, garçon gentil, trop gentil, et naïf, trop naïf... Oui, il y a un petit côté Forrest Gump chez lui, c'est vrai, sauf que je ne le crois pas simplet, non, juste terriblement naïf.
Voilà pourquoi j'ai plutôt choisi la référence à Candide, qui me semble plus cohérente, surtout eu égard au contexte dramatique dans lequel évolue August. Et cette naïveté a un tout autre intérêt, cette fois, en termes de narration : August découvre tout, raconte tout avec simplicité, clarté et détails, ne laisse rien passer et finalement, donne au lecteur une vision assez précise de ce que fut la vie sous le Reich.
Et c'est l'un des aspects les plus intéressants du roman : une sorte de leçon de choses permanentes sur cette époque. Quand j'étais enfant, il existait une collection jeunesse qui devait s'appeler "la vie au temps de...", il y en avait sur les Romains, les chevaliers du Moyen-Age, même la Préhistoire, je crois, avec, à chaque fois, une plongée illustrée dans ces sociétés passées pour mieux comprendre comment vivaient nos ancêtres...
Ici, c'est un peu la même chose, mais comme c'est un roman, on a un narrateur interne à l'histoire et non un spectateur neutre, et il y a une histoire, celle d'un destin, pour servir de trame. Et, pour ne pas alourdir ce récit romanesque et accentuer tout de même le côté pédagogique des choses, Bob Martin et son éditeur ont eu une idée fort originale...
Si vous avez le livre en main, regardez sa tranche, sans l'ouvrir. Vous verrez alors qu'il y a des pages blanches et des pages grises. Les pages blanches, je n'y reviens pas, c'est le roman à proprement parler, dont je vous ai déjà raconté l'amorce. Mais les pages grises, se demande-t-on, que sont-elles ?
En fait, à chaque fin de chapitre, se trouve les pages grises. Chacune est une annexe abordant un angle précis qui illustre le chapitre (Hitler, Himmler, la Gestapo, la SS, les camps de concentration, etc.) On sort pour quelques pages du récit romanesque pour un point historique assez précis et loin d'être inintéressant.
Peut-être vous demandez-vous si cela ne nuit pas à la lecture du roman, dans ce cas, je vous dirais que non. On reste dans le même univers, il n'y a pas de rupture et c'est, finalement, moins pénible qu'une longue digression dans le corps du livre, qui entraverait la narration (en plus, comme c'est August le narrateur, on se demande d'où lui viendrait subitement cette science...) ou qu'une multitude de notes de bas de pages ou de notes de fin d'ouvrage.
Dans le cours de ma lecture, j'ai pensé à ces docu-fictions qu'on voit de plus en plus sur les chaînes documentaires ou parfois sur les plus grandes chaînes et qui mêlent faits historiques et reconstitutions avec des comédiens. C'est ce mélange, pas toujours évident à réussir, que j'ai retrouvé ici.
Ca pourrait ressemble à la collection des livres "pour les Nuls", de la collection First (quoi que, "le nazisme pour les Nuls", je suis moyennement convaincu...) avec une partie fiction en plus. J'ai l'air de plaisanter, et pourtant, je pense que l'idée est un peu la même : permettre à un public pas forcément féru d'histoire, jeune ou moins jeune, d'aborder une période historique avec les clés pour bien la comprendre, même en cas de lacunes.
Une autre maison d'éditions, Scrinéo, avait eu le même genre d'initiative, mais sous une forme un peu différente, avec des cahiers explicatifs en fin d'ouvrage, comme pour le roman "Contractors", chroniqué sur ce blog. Mais il s'agissait moins d'aborder le sujet des romans par l'angle historique que sous un angle plus journalistique, avec l'interview d'une personne connaissant bien le sujet au coeur du récit.
Je referme cette parenthèse pour revenir à "Neveu d'Hitler" et à son côté pédagogique. J'ai apprécié cette lecture, le personnage d'August y est pour beaucoup, j'ai appris un certain nombre de choses, que ce soit dans le cours du livre lui-même ou dans les pages grises, mais le lecteur habitué de roman se déroulant à cette période n'a pas franchement été surpris.
Voilà pourquoi je dis que je ne suis sans doute pas le coeur de cible de ce livre. En revanche, je lui reconnais un vrai intérêt pour les lecteurs qui ne sont pas des habitués des romans historiques, qui renâclent parfois, parce qu'ils pensent ne pas avoir le bagage suffisant pour comprendre. Là, il est fourni avec le roman, plus de raison d'avoir peur.
Je ne sais pas si cette initiative sera unique ou si elle prélude à une vraie collection de romans historiques où l'on expliciterait les époques de la même façon, mais je trouve qu'il y a là une réelle bonne idée à creuser. Encore une fois, on apprend, mais avec le côté ludique, prenant du roman, il n'y a pas le côté rébarbatif que peuvent y trouver certains...
Voilà aussi une formidable illustration du côté pédagogique des blogs, parfois oublié : si je ne joue que le jeu de l'avis brut, étayé à la va-vite, ne s'appuyant que sur un ressenti sincère mais un peu superficiel, je n'aurais pas parlé de ce livre. Parce qu'encore une fois, il n'est pas fait pour moi. Mais, je suis certain qu'il intéressera bien des lecteurs et si je peux, par ce billet, faire connaitre ce livre, susciter des envies et faire qu'il soit lu, j'en serai ravi.