Mon cher Aurélien,
je serais peut-être capable, techniquement, de faire une critique de Traum, une critique littéraire comme on dit. Mais ton bouquin, à la différence de ceux qui ne méritent pas même une critique, me paraît mériter mieux – et tant pis si ce n’est pas vraiment mieux –, à savoir une réponse personnelle, dût-elle paraître publiquement.
Je n’ai pas lu Traum à sa sortie, même si cela m’a tenté. Au reste, pourquoi faudrait-il lire un livre à sa sortie ?... Il a donc fallu, pour que je lise ton livre, la généreuse intercession de Paméla – grâce lui soit rendue qui lui est dûe –, qui, l’ayant lu et aimé, l’a offert à quelques personnes, dont moi.
C’est ainsi que ton livre est arrivé entre mes mains, pour ainsi dire au moment parfait, et il n’y a là nulle flatterie : tu n’y es presque pour rien ! J’ai commencé à lire Traum dès réception, je l’ai lu en deux fois, en deux courts moments séparés de quelques heures, pour ainsi dire d’un trait – au lieu que souvent je tourne autour des livres comme un animal en chasse qui joue et flaire et traque sa proie… hésitant, se demandant s’il y a quelque chance qu’elle vaille la peine qu’on va peut-être se donner. J’ai voulu voir le début, le « Fast-Foreword » liminaire – dont le mot m’a fait craindre, je l’avoue, quelque abus d’anglicismes –, et tout de suite, tout de suite, dès le « On ne peut communiquer une idée. » j’ai été happé, séduit par la langue et par l’adresse au lecteur – adresse qui si souvent me laisse sceptique – et intéressé par ce qui d’emblée se disait, la façon dont la relation s’installait.
Plus j’avançais dans la lecture de Traum, plus il me semblait que ton livre était en train de m’expliquer ce que je faisais, sans vouloir même le voir, dans ce que j’écris, et m’éclairait en quelque sorte le point aveugle sur lequel je butais – et bute encore –, pas de magie, rien non plus ne se résout d’un coup ! Voilà pourquoi il m’a semblé que le moment était parfait – et la question sans réponse certaine est également là : un autre moment eût-il été parfait ?
Il y a que je m’accroche à la raison comme un naufragé à son morceau d’épave, et que ce dernier fait l’objet de toute mon attention puisqu’il semble, si je file la métaphore, que contre toute raison (justement) celui-ci soit une planche de salut ; qu’il ne serve en réalité qu’à reculer, misérablement, d’un petit temps dérisoire, le moment de la perdition, ne parvient pas chez moi à dissiper l’illusion. Je suis donc accroché à mon morceau d’épave, rivé à lui, d’une façon peut-être désespérée dont rien ne me détourne, et relativement donc indifférent à tout le maëlstrom environnant, à toute la tempête alentour, à tout ce qui a créé et crée les conditions plus ou moins objectives de ce naufrage en cours. Et tout cela, bien sûr, dans le plus grand calme, assis en train d’écrire.
Ce que j’aime profondément, dans Traum, c’est que ce n’est pas un essai littéraire ; c’est que tu ne considères pas la littérature comme un champ clos d’étude, c’est, pardon pour la violence de l’assertion, que tu t’en foutes de la littérature, je veux dire : de l’idole littérature, ce misérable totem du critique ! Ce qui est intéressant, ce n’est pas la littérature, Shakespeare ou Philip K. Dick, c’est la vie, la vie même, qui est un mystère, un mystère dont rien ne vient à bout, aucune théorie, aucune métaphysique, et bien sûr nulle idéologie. Si Dick ou d’autres, poètes, charlatans ou dramaturges sont intéressants, c’est pour ce qu’ils révèlent de la vie et que sans eux on n’aurait pas vu, pas su – on aurait peut-être juste eu une intuition, une intuition demeurée sous la ligne de flottaison du langage et dont alors on n’eût pas su vraiment quoi faire…
A la différence de nombre de penseurs, critiques ou philosophes qui utilisent les mots comme des bornes et réduisent la vie entière à tel petit territoire borné qu’il leur devient du coup loisible d’expliquer rationnellement (ils cultivent leur jardin, ce qui est bien légitime après tout, mais leur arnaque usuellement consiste en cette métonymie fallacieuse qui voudrait que ce petit jardin savamment travaillé vaille pour le monde, la vie, la sagesse et l’amour, et puisse même rendre compte de la sauvagerie ou de la barbarie, entrevues par la lucarne – virtuelle ou réelle, c’est idem), ce qui t’intéresse, je crois, dans Traum, est l’exploration dangereuse de contrées inconnues ou au moins peu défrichées, dont certains prédécesseurs ne sont pas revenus, ou pas du tout indemnes – mais après tout, c’était le risque…
Et c’est ce risque, donc, qui justifie enfin le joli mot d’essai, si galvaudé soit-il par ailleurs. Et de ce risque vrai, pris dans la vie même, il demeure dans ton livre, faisant signe vers lui, ces moments que j’ai beaucoup aimés où tu parles de toi, sans exhibition ni indécence, des rêves qui se poursuivent dans le cours des années, etc… ces moments en somme où l’auteur est partie prenante de son essai, où la lecture et l’écriture sont la trace, le reste de l’expérience d’autre chose dont il est presque impossible de témoigner, et dont on témoigne pourtant. Ton essai est aussi un dispositif, une expérience, et si le lecteur essaie, lui aussi, ton adresse à lui n’aura pas été vaine.
Je me méfie en général des discours sur les rêves – les instrumentations psychanalytiques ou politiques, finissant en citations devenues idiotes à force d’être amputées de tout contexte ou en slogans à brailler en défilant, m’a beaucoup échaudé – et c’est peut-être la raison, ou une des raisons, pour laquelle je ne me suis pas jeté sur ton livre à sa sortie. Peu de mots ont été autant assignés à des propositions imbéciles que le mot rêve, après tout ; mais il m’a suffi, au début de la première partie, « Rêve Zéro » justement, de lire qu’ « il arrive que nos rêves soient des oracles – peut-être même ne sont-ils jamais que cela » pour que je me sente comme chez moi, ou comme chez Eschyle où les rêves sont des instruments de télécommunication réels, pas moins rapides et précis peut-être que ceux que la technologie depuis peu fait semblant de mettre à notre disposition – il me semble plutôt que c’est nous qui sommes réquisitionnés et à disposition.
Là, c’est peut-être imbécile et prétentieux, j’ai su que nous commencions à nous apercevoir, comme si nous montions depuis longtemps la même montagne, mais pas par la même face… et j’ai ainsi pu commencer à voir ce que je ne voyais pas.
Je travaille depuis des années sur les fantômes, pour des raisons de théâtre d’une part (qu’est-ce qui fait, qu’est-ce qui peut faire que de tous jeunes gens bien vivants, souvent encore adolescents, décident ou essaient de consacrer leur vie à donner, ou prêter, mais donner, même un temps bref, leur corps à des personnages, c’est-à-dire à des gens qui n’ont jamais existé ou qui ont existé nommément mais sont morts ? et qu’est-ce qu’un personnage, sinon un fantôme ? et pourquoi puis-je des heures durant avec Untel parler de Hamlet ou d’Emma Bovary ou de Dom Juan, comme de connaissances communes ? Et l’auteur passé à la postérité, drôle de mot, qu’ambitionnait-il au fond, sinon devenir un fantôme, une présence absente ? Et Charlotte Delbo, dans sa magnifique lettre inachevée à Louis Jouvet publiée sous le titre Spectres, mes compagnons, raconte comment c’est grâce à ces spectres vivants que lui furent les personnages, de roman d’abord puis uniquement de théâtre, et singulièrement Dom Juan – qu’elle n’eût pas attendu dans ce rôle tout de fidélité –, qu’elle a pu survivre à Auschwitz.), pour des raisons de théâtre donc, et pour des raisons de deuil, si j’ose dire. Ce travail que je fais m’a fait complètement ignorer le domaine onirique, aussi – ou plutôt il m’a fait le reverser, sans y prêter attention, sur autre chose, et le plier sur la réalité, pour autant qu’elle soit. C’est en te lisant que je me suis dit que, donc, nous montions la même montagne, pas du même point de départ ni par les mêmes chemins, et que peut-être nous étions enfin parvenus à nous apercevoir.
En lisant Traum, oui, j’ai commencé à comprendre ce que je faisais, à entrevoir une partie de ce qui m’est caché dans ce que j’écris – un fatras, comme je dis. Ce n’est pas rien. Mais il est mal aisé d’en dire davantage. Au moment – parfait de ce point de vue – où je séchais, butais, rechignais, manque de courage ou manque de temps, faiblesse en tout cas devant l’immensité de la tâche. Je t’ai dit plus haut être accroché à la raison, mais c’est pour mieux ne pas voir, ne pas savoir ce que je fais. J’écris « ce qui vient », depuis un an maintenant, et c’est comme si je n’avais justement rien voulu savoir de ce qui venait, occupé tout entier à la seule tâche de lui donner forme. Au fond, je n’en veux rien savoir, de ce qui vient. Ça ne m’appartient pas. Mais je signe. (C’est étrange, au fond, cette malhonnêteté instituée, fondée en droit, et dont par ailleurs, dans le contexte mondain, ou social, je trouve la défense nécessaire.) L’unité de base de mon travail est la phrase et je veux que la phrase ait du sens. Je m’arc-boute à ça. Et chaque phrase, sans doute, au moins selon moi, a du sens. Mais l’ensemble ? Oh, il en a peut-être. Mais peut-être. Et lequel ?
Si je ferme les yeux, le monde entier est en ruines. Ce ne sont plus les « campagnes hallucinées » ou les « villes tentaculaires » que disait l’oublié Verhaeren, non, ce sont des campagnes abandonnées, des villes en destruction incessante. Et pas ailleurs, hier ou demain, mais ici, en France, là. Ce que j’écris, alors que nous vivons dans cette longue période de paix depuis 1945 (mais nous avons aussi délocalisé les « conflits », non ? ?) est son exact opposé : c’est une guerre. Et cette paix est une guerre qui réussit ce que les guerres conventionnelles, y compris même cette autre guerre de Trente Ans qui va de 1914 à 1945, n’avaient pas réussi, la destruction de tout par tous avec l’approbation de tous. On commémore ces temps-ci, et pour un moment encore, la première guerre mondiale ; je veux bien. Pour moi, il y a vingt ans que je roule, essentiellement d’ailleurs pour des raisons de théâtre, dans ces tristes plaines à la beauté douteuse, mettons entre Dormans et Verdun. Il y a vingt ans que je roule sur ce charnier immense et je me suis accoutumé à ces morts invisibles, anonymes, étrangement présents dans leur absence, présents en creux, comme ces vallonnements partout de terrain qu’ont opérés les bombes. Leur présence au final est réconfortante, une compagnie des meilleures, préférable à celle de beaucoup de vivants. Un cimetière militaire surgit parfois, nécessaire rappel que la fréquence de mes passages semble avoir toutefois rendu redondant. A Oulchy-le-Château, dans l’Aisne, sur la butte Chalmont où s’est jouée la seconde bataille de la Marne, il y a les Fantômes de Landowski, sept hommes de pierre de huit mètres de haut, qui regardent vers l’est, devancés en contrebas par la France, qui elle aussi regarde vers l’est. Landowski a combattu ici, et fait le serment de relever les morts. Il y a mis des années, de 1919 à 1935, et finalement, oui, il a relevé les morts. Ce sont les Fantômes, ils veillent ici, monumentaux, soudés les uns aux autres. Relever les morts, de plus en plus, m’apparaît comme la fonction de l’art, et il importe peu que ces morts aient été vivants ou non avant qu’on les relève.
Tu me pardonnes, Aurélien, que je parle peu de ton livre ? J’y réagis. Pour tout te dire, je connais assez mal Philip K. Dick – dont j’ai lu trois ou quatre romans il y a des années, parmi lesquels Ubik et Le Maître du Haut-Château –, j’ai cessé au mitan de l’adolescence de prêter mon oreille aux Beatles, le film Inception m’a plutôt déçu au final de vouloir tellement fasciner – et aussi parce que je pense profondément que l’ « inception » « dans quelqu’un » d’une idée qui aurait l’air de venir de lui-même se fait tout de même plus aisément par la parole et par la manipulation que par ce très symptomatique outillage technologique, et aussi parce que, et cela justifie tes propos autrement, ce genre de films est tellement bourré d’effets spéciaux que c’est leur absence même, bientôt, qui opérera sur le spectateur un réel effet spécial, une incongruité totale, un monstrueux effet de réalité plate, et le dégout poindra, qui sait ? Nous avons toi et moi davantage en commun avec Shakespeare et Dali qu’avec Dick et le reste… Ne vois là aucun jugement je te prie, plutôt une manière de constat. Comme le sport, la pop music, le cinéma et le roman, à quelques exceptions près, plus sombreuses que je ne voudrais, finalement, c’est mon adolescence, une adolescence que j’ai tant voulu quitter que j’ai quitté avec elle les goûts qu’elle m’avait amenés, comme à tant d’autres. Quant à Hamlet, j’ai pris l’habitude de réfléchir ainsi à l’étrange apparition du spectre du personnage éponyme : y a-t-il une réelle différence, si un acteur donne son corps à un mort, entre un spectre et un autre personnage, et partant, songeant au fait que’Hamlet attend d’un acteur qu’il démasque l’assassin putatif de son père, entre un spectre, un personnage et un acteur jouant un personnage ? Inception au contraire suppose, dans toute son histoire, pré-requise, pré-admise, une étanchéité, certes relative, entre les cercles de la réalité et ceux du rêve… Les frontières sont très nettes. Toute l’histoire du film tient dans la difficulté à passer d’un niveau à l’autre, pour l’aller comme pour le retour ; dans Hamlet au contraire, tout est poreux et la difficulté, au moins pour le bonhomme Hamlet, est bien plutôt de savoir dans quelle strate on se tient vraiment, et s’il y en a. (Après, le théâtre et le cinéma ne sont pas le même art, et le personnage tient au théâtre la place que l’acteur occupe au cinéma ; il y a des siècles que l’on joue Dom Juan, Hamlet ou Antigone et que les noms de leurs interprètes passent à l’oubli, tandis que l’acteur DiCaprio écrase le nom de son personnage, et qu’il est lui-même son propre personnage passant de film en film, avec une apparente facilité.) Inception suppose au fond que le spectateur n’est pas fou et, au fond, qu’il est bienheureux de ne pas l’être, pouvant même jouir du spectacle de la folie, de façon tout extérieure ; et si l’on suppose jamais qu’il puisse ou doive en douter, genre : la vie est peut-être un songe, non ?, c’est d’une manière proprement rhétorique. Hamlet est au contraire une folie prise du dedans, nous sommes propulsés au cœur même du trouble, tout est trouble, oui, l’acteur répond au spectre et le personnage Hamlet en vient à se demander si lui-même est ou n’est pas. C’est tout le quadrillage normatif qui craque, les repères orthonormés qui dégagent. Je vais très vite, et ce n’est peut-être pas clair…
Si je réponds ainsi, au prétexte de t’écrire, à ton Traum, c’est aussi parce qu’il me semble que ton livre ne suppose pas de son lecteur, ne lui demande pas, qu’il connaisse Dick, ou Inception, ou Hamlet… Il ne s’adresse pas à des spécialistes, et ne nous bassine pas à jouer la carte de l’interprétation jamais faite de ceci ou de cela… Il suppose plutôt que le lecteur aurait, même trouble encore ou peut-être même niée, une expérience intime, réelle, dans sa vie même, de ce dont parlent ces œuvres si différentes entre elles. Son objet n’est pas la littérature, ni même l’art, comme fin en soi, quelque obsession qu’il puisse demeurer légitime de plaquer sur ces mots, mais une expérience. Et dans l’adresse à lui que ton livre ne cesse d’opérer, comme dans tes remarques concernant ta propre vie – ton « Et oui, je me souviens d’autres vies présentes, très différentes. » en réponse à la conférence de Dick en 1974 à Metz : « Certaines personnes affirment se souvenir de vies antérieures, j’affirme me souvenir d’une autre vie présente, très différente. » (ta réponse ajoutant d’ailleurs un pluriel) suppose en effet que ton lecteur pourrait connaître lui aussi ce dont il est ici question. Ton livre suppose un lecteur vivant. Tu ne parles pas tout seul. Ça change un peu. Ça change beaucoup.
Je te remercie de l’expérience de lecture.
Elle m’a éclairé sur ce que je faisais, comme je l’ai dit plus haut. (Et l’expérience à laquelle tu invites, ou la prise de conscience d’une expérience faite et nous ayant échappé justifie l’emploi du mot essai. Je constate aussi que tu n’as pas choisi, toi, la forme romanesque ou toute autre forme de fiction, mais c’est une apparence, peut-être. Toutes les phrases de ton livre sont sensées et adossées à la raison, permettent à ton lecteur accord ou désaccord ; et si l’essai est poétique, ce n’est pas par je ne sais quel éclatement foutraque de la forme, par je ne sais quel truc en somme. C’est par ce à quoi il invite à se souvenir qu’il l’est. C’est en somme l’inverse de toute une tendance de la poésie d’aujourd’hui où de braves gens étriqués comme il faut se prêtent à peu de frais des gouffres et des folies en se rendant illisibles à petits coups d’écarts formels et de sauts syntaxiques surjoués…) Et moi aussi, quoique je ne sois pas certain de cet « aussi », j’essaie dans mon fatras en cours que chaque phrase soit sensée, normée, et l’ensemble m’échappe : Houellebecq y dialogue avec le pape (mais lequel ?), et, bien plus loin, moi-même, ou mon double, se trouve en pleine disputation avec Curzio Malaparte, mort en 1957, ou avec Poutine – même s’il apparaît ensuite que ce Poutine et ce moi-même sont des comédiens, dont celui qui porte mon nom joue Poutine… Et je te le dis, Aurélien, et peut-être vas-tu me croire, je n’avais rien vu de ce qu’il y avait là-dedans de potentiellement onirique avant de lire ton Traum ! J’étais pris tout entier dans le détail de ce que je voulais dire, phrase à phrase, et ne me voyais pas arranger les situations. Aussi, pardonne que je me cite, cette « chanson d’amour » incluse à mon fatras, peut débuter ainsi, sans que je m’arrête au fait qu’est posée l’idée d’un continuum parallèle, d’une vision d’un monde autre…
« au soleil de midi le temps que batte un cil
mon Dieu pardonnez-moi j’ai rêvé de potences
et puis tout revint là et rien n’avait changé
la Méditerranée à nos cheveux la brise
et toi mon ptit soleil »
J’avais eu l’impression, mais pas nette, en lisant La Route de McCarthy, que son monde de cendres et de poussière où survivent un père et un fils était le nôtre exactement, sa description réelle. Alors oui, ces expériences, je les ai faites sans Dick – ou peut-être pas, si son influence est telle que tu le dis, et j’ai tendance à te croire… –, et même sans conscience de les faire. Oui, je suis accroché à la raison comme un perdu – mais l’accent se déplace, depuis ta lecture, de raison à perdu… c’est ce que j’ai compris en lisant Traum. Je n’avais rien vu avant, et n’aurais pas formulé cette phrase, d’ailleurs. Et quand j’ai lu ton livre, j’étais bloqué, à l’arrêt – comme on le dit d’un chien, patte levée, tous sens à l’affût… mais à l’arrêt. Je ne comprenais pas quelque chose. Ton livre est arrivé au moment parfait, donc.
Je te remercie.
Mon cher Aurélien,
je serais peut-être capable, techniquement, de faire une critique de Traum, une critique littéraire comme on dit. Mais ton bouquin, à la différence de ceux qui ne méritent pas même une critique, me paraît mériter mieux – et tant pis si ce n’est pas vraiment mieux –, à savoir une réponse personnelle, dût-elle paraître publiquement.
Je n’ai pas lu Traum à sa sortie, même si cela m’a tenté. Au reste, pourquoi faudrait-il lire un livre à sa sortie ?... Il a donc fallu, pour que je lise ton livre, la généreuse intercession de Paméla – grâce lui soit rendue qui lui est dûe –, qui, l’ayant lu et aimé, l’a offert à quelques personnes, dont moi.
C’est ainsi que ton livre est arrivé entre mes mains, pour ainsi dire au moment parfait, et il n’y a là nulle flatterie : tu n’y es presque pour rien ! J’ai commencé à lire Traum dès réception, je l’ai lu en deux fois, en deux courts moments séparés de quelques heures, pour ainsi dire d’un trait – au lieu que souvent je tourne autour des livres comme un animal en chasse qui joue et flaire et traque sa proie… hésitant, se demandant s’il y a quelque chance qu’elle vaille la peine qu’on va peut-être se donner. J’ai voulu voir le début, le « Fast-Foreword » liminaire – dont le mot m’a fait craindre, je l’avoue, quelque abus d’anglicismes –, et tout de suite, tout de suite, dès le « On ne peut communiquer une idée. » j’ai été happé, séduit par la langue et par l’adresse au lecteur – adresse qui si souvent me laisse sceptique – et intéressé par ce qui d’emblée se disait, la façon dont la relation s’installait.
Plus j’avançais dans la lecture de Traum, plus il me semblait que ton livre était en train de m’expliquer ce que je faisais, sans vouloir même le voir, dans ce que j’écris, et m’éclairait en quelque sorte le point aveugle sur lequel je butais – et bute encore –, pas de magie, rien non plus ne se résout d’un coup ! Voilà pourquoi il m’a semblé que le moment était parfait – et la question sans réponse certaine est également là : un autre moment eût-il été parfait ?
Il y a que je m’accroche à la raison comme un naufragé à son morceau d’épave, et que ce dernier fait l’objet de toute mon attention puisqu’il semble, si je file la métaphore, que contre toute raison (justement) celui-ci soit une planche de salut ; qu’il ne serve en réalité qu’à reculer, misérablement, d’un petit temps dérisoire, le moment de la perdition, ne parvient pas chez moi à dissiper l’illusion. Je suis donc accroché à mon morceau d’épave, rivé à lui, d’une façon peut-être désespérée dont rien ne me détourne, et relativement donc indifférent à tout le maëlstrom environnant, à toute la tempête alentour, à tout ce qui a créé et crée les conditions plus ou moins objectives de ce naufrage en cours. Et tout cela, bien sûr, dans le plus grand calme, assis en train d’écrire.
Ce que j’aime profondément, dans Traum, c’est que ce n’est pas un essai littéraire ; c’est que tu ne considères pas la littérature comme un champ clos d’étude, c’est, pardon pour la violence de l’assertion, que tu t’en foutes de la littérature, je veux dire : de l’idole littérature, ce misérable totem du critique ! Ce qui est intéressant, ce n’est pas la littérature, Shakespeare ou Philip K. Dick, c’est la vie, la vie même, qui est un mystère, un mystère dont rien ne vient à bout, aucune théorie, aucune métaphysique, et bien sûr nulle idéologie. Si Dick ou d’autres, poètes, charlatans ou dramaturges sont intéressants, c’est pour ce qu’ils révèlent de la vie et que sans eux on n’aurait pas vu, pas su – on aurait peut-être juste eu une intuition, une intuition demeurée sous la ligne de flottaison du langage et dont alors on n’eût pas su vraiment quoi faire…
A la différence de nombre de penseurs, critiques ou philosophes qui utilisent les mots comme des bornes et réduisent la vie entière à tel petit territoire borné qu’il leur devient du coup loisible d’expliquer rationnellement (ils cultivent leur jardin, ce qui est bien légitime après tout, mais leur arnaque usuellement consiste en cette métonymie fallacieuse qui voudrait que ce petit jardin savamment travaillé vaille pour le monde, la vie, la sagesse et l’amour, et puisse même rendre compte de la sauvagerie ou de la barbarie, entrevues par la lucarne – virtuelle ou réelle, c’est idem), ce qui t’intéresse, je crois, dans Traum, est l’exploration dangereuse de contrées inconnues ou au moins peu défrichées, dont certains prédécesseurs ne sont pas revenus, ou pas du tout indemnes – mais après tout, c’était le risque…
Et c’est ce risque, donc, qui justifie enfin le joli mot d’essai, si galvaudé soit-il par ailleurs. Et de ce risque vrai, pris dans la vie même, il demeure dans ton livre, faisant signe vers lui, ces moments que j’ai beaucoup aimés où tu parles de toi, sans exhibition ni indécence, des rêves qui se poursuivent dans le cours des années, etc… ces moments en somme où l’auteur est partie prenante de son essai, où la lecture et l’écriture sont la trace, le reste de l’expérience d’autre chose dont il est presque impossible de témoigner, et dont on témoigne pourtant. Ton essai est aussi un dispositif, une expérience, et si le lecteur essaie, lui aussi, ton adresse à lui n’aura pas été vaine.
Je me méfie en général des discours sur les rêves – les instrumentations psychanalytiques ou politiques, finissant en citations devenues idiotes à force d’être amputées de tout contexte ou en slogans à brailler en défilant, m’a beaucoup échaudé – et c’est peut-être la raison, ou une des raisons, pour laquelle je ne me suis pas jeté sur ton livre à sa sortie. Peu de mots ont été autant assignés à des propositions imbéciles que le mot rêve, après tout ; mais il m’a suffi, au début de la première partie, « Rêve Zéro » justement, de lire qu’ « il arrive que nos rêves soient des oracles – peut-être même ne sont-ils jamais que cela » pour que je me sente comme chez moi, ou comme chez Eschyle où les rêves sont des instruments de télécommunication réels, pas moins rapides et précis peut-être que ceux que la technologie depuis peu fait semblant de mettre à notre disposition – il me semble plutôt que c’est nous qui sommes réquisitionnés et à disposition.
Là, c’est peut-être imbécile et prétentieux, j’ai su que nous commencions à nous apercevoir, comme si nous montions depuis longtemps la même montagne, mais pas par la même face… et j’ai ainsi pu commencer à voir ce que je ne voyais pas.
Je travaille depuis des années sur les fantômes, pour des raisons de théâtre d’une part (qu’est-ce qui fait, qu’est-ce qui peut faire que de tous jeunes gens bien vivants, souvent encore adolescents, décident ou essaient de consacrer leur vie à donner, ou prêter, mais donner, même un temps bref, leur corps à des personnages, c’est-à-dire à des gens qui n’ont jamais existé ou qui ont existé nommément mais sont morts ? et qu’est-ce qu’un personnage, sinon un fantôme ? et pourquoi puis-je des heures durant avec Untel parler de Hamlet ou d’Emma Bovary ou de Dom Juan, comme de connaissances communes ? Et l’auteur passé à la postérité, drôle de mot, qu’ambitionnait-il au fond, sinon devenir un fantôme, une présence absente ? Et Charlotte Delbo, dans sa magnifique lettre inachevée à Louis Jouvet publiée sous le titre Spectres, mes compagnons, raconte comment c’est grâce à ces spectres vivants que lui furent les personnages, de roman d’abord puis uniquement de théâtre, et singulièrement Dom Juan – qu’elle n’eût pas attendu dans ce rôle tout de fidélité –, qu’elle a pu survivre à Auschwitz.), pour des raisons de théâtre donc, et pour des raisons de deuil, si j’ose dire. Ce travail que je fais m’a fait complètement ignorer le domaine onirique, aussi – ou plutôt il m’a fait le reverser, sans y prêter attention, sur autre chose, et le plier sur la réalité, pour autant qu’elle soit. C’est en te lisant que je me suis dit que, donc, nous montions la même montagne, pas du même point de départ ni par les mêmes chemins, et que peut-être nous étions enfin parvenus à nous apercevoir.
En lisant Traum, oui, j’ai commencé à comprendre ce que je faisais, à entrevoir une partie de ce qui m’est caché dans ce que j’écris – un fatras, comme je dis. Ce n’est pas rien. Mais il est mal aisé d’en dire davantage. Au moment – parfait de ce point de vue – où je séchais, butais, rechignais, manque de courage ou manque de temps, faiblesse en tout cas devant l’immensité de la tâche. Je t’ai dit plus haut être accroché à la raison, mais c’est pour mieux ne pas voir, ne pas savoir ce que je fais. J’écris « ce qui vient », depuis un an maintenant, et c’est comme si je n’avais justement rien voulu savoir de ce qui venait, occupé tout entier à la seule tâche de lui donner forme. Au fond, je n’en veux rien savoir, de ce qui vient. Ça ne m’appartient pas. Mais je signe. (C’est étrange, au fond, cette malhonnêteté instituée, fondée en droit, et dont par ailleurs, dans le contexte mondain, ou social, je trouve la défense nécessaire.) L’unité de base de mon travail est la phrase et je veux que la phrase ait du sens. Je m’arc-boute à ça. Et chaque phrase, sans doute, au moins selon moi, a du sens. Mais l’ensemble ? Oh, il en a peut-être. Mais peut-être. Et lequel ?
Si je ferme les yeux, le monde entier est en ruines. Ce ne sont plus les « campagnes hallucinées » ou les « villes tentaculaires » que disait l’oublié Verhaeren, non, ce sont des campagnes abandonnées, des villes en destruction incessante. Et pas ailleurs, hier ou demain, mais ici, en France, là. Ce que j’écris, alors que nous vivons dans cette longue période de paix depuis 1945 (mais nous avons aussi délocalisé les « conflits », non ? ?) est son exact opposé : c’est une guerre. Et cette paix est une guerre qui réussit ce que les guerres conventionnelles, y compris même cette autre guerre de Trente Ans qui va de 1914 à 1945, n’avaient pas réussi, la destruction de tout par tous avec l’approbation de tous. On commémore ces temps-ci, et pour un moment encore, la première guerre mondiale ; je veux bien. Pour moi, il y a vingt ans que je roule, essentiellement d’ailleurs pour des raisons de théâtre, dans ces tristes plaines à la beauté douteuse, mettons entre Dormans et Verdun. Il y a vingt ans que je roule sur ce charnier immense et je me suis accoutumé à ces morts invisibles, anonymes, étrangement présents dans leur absence, présents en creux, comme ces vallonnements partout de terrain qu’ont opérés les bombes. Leur présence au final est réconfortante, une compagnie des meilleures, préférable à celle de beaucoup de vivants. Un cimetière militaire surgit parfois, nécessaire rappel que la fréquence de mes passages semble avoir toutefois rendu redondant. A Oulchy-le-Château, dans l’Aisne, sur la butte Chalmont où s’est jouée la seconde bataille de la Marne, il y a les Fantômes de Landowski, sept hommes de pierre de huit mètres de haut, qui regardent vers l’est, devancés en contrebas par la France, qui elle aussi regarde vers l’est. Landowski a combattu ici, et fait le serment de relever les morts. Il y a mis des années, de 1919 à 1935, et finalement, oui, il a relevé les morts. Ce sont les Fantômes, ils veillent ici, monumentaux, soudés les uns aux autres. Relever les morts, de plus en plus, m’apparaît comme la fonction de l’art, et il importe peu que ces morts aient été vivants ou non avant qu’on les relève.
Tu me pardonnes, Aurélien, que je parle peu de ton livre ? J’y réagis. Pour tout te dire, je connais assez mal Philip K. Dick – dont j’ai lu trois ou quatre romans il y a des années, parmi lesquels Ubik et Le Maître du Haut-Château –, j’ai cessé au mitan de l’adolescence de prêter mon oreille aux Beatles, le film Inception m’a plutôt déçu au final de vouloir tellement fasciner – et aussi parce que je pense profondément que l’ « inception » « dans quelqu’un » d’une idée qui aurait l’air de venir de lui-même se fait tout de même plus aisément par la parole et par la manipulation que par ce très symptomatique outillage technologique, et aussi parce que, et cela justifie tes propos autrement, ce genre de films est tellement bourré d’effets spéciaux que c’est leur absence même, bientôt, qui opérera sur le spectateur un réel effet spécial, une incongruité totale, un monstrueux effet de réalité plate, et le dégout poindra, qui sait ? Nous avons toi et moi davantage en commun avec Shakespeare et Dali qu’avec Dick et le reste… Ne vois là aucun jugement je te prie, plutôt une manière de constat. Comme le sport, la pop music, le cinéma et le roman, à quelques exceptions près, plus sombreuses que je ne voudrais, finalement, c’est mon adolescence, une adolescence que j’ai tant voulu quitter que j’ai quitté avec elle les goûts qu’elle m’avait amenés, comme à tant d’autres. Quant à Hamlet, j’ai pris l’habitude de réfléchir ainsi à l’étrange apparition du spectre du personnage éponyme : y a-t-il une réelle différence, si un acteur donne son corps à un mort, entre un spectre et un autre personnage, et partant, songeant au fait que’Hamlet attend d’un acteur qu’il démasque l’assassin putatif de son père, entre un spectre, un personnage et un acteur jouant un personnage ? Inception au contraire suppose, dans toute son histoire, pré-requise, pré-admise, une étanchéité, certes relative, entre les cercles de la réalité et ceux du rêve… Les frontières sont très nettes. Toute l’histoire du film tient dans la difficulté à passer d’un niveau à l’autre, pour l’aller comme pour le retour ; dans Hamlet au contraire, tout est poreux et la difficulté, au moins pour le bonhomme Hamlet, est bien plutôt de savoir dans quelle strate on se tient vraiment, et s’il y en a. (Après, le théâtre et le cinéma ne sont pas le même art, et le personnage tient au théâtre la place que l’acteur occupe au cinéma ; il y a des siècles que l’on joue Dom Juan, Hamlet ou Antigone et que les noms de leurs interprètes passent à l’oubli, tandis que l’acteur DiCaprio écrase le nom de son personnage, et qu’il est lui-même son propre personnage passant de film en film, avec une apparente facilité.) Inception suppose au fond que le spectateur n’est pas fou et, au fond, qu’il est bienheureux de ne pas l’être, pouvant même jouir du spectacle de la folie, de façon tout extérieure ; et si l’on suppose jamais qu’il puisse ou doive en douter, genre : la vie est peut-être un songe, non ?, c’est d’une manière proprement rhétorique. Hamlet est au contraire une folie prise du dedans, nous sommes propulsés au cœur même du trouble, tout est trouble, oui, l’acteur répond au spectre et le personnage Hamlet en vient à se demander si lui-même est ou n’est pas. C’est tout le quadrillage normatif qui craque, les repères orthonormés qui dégagent. Je vais très vite, et ce n’est peut-être pas clair…
Si je réponds ainsi, au prétexte de t’écrire, à ton Traum, c’est aussi parce qu’il me semble que ton livre ne suppose pas de son lecteur, ne lui demande pas, qu’il connaisse Dick, ou Inception, ou Hamlet… Il ne s’adresse pas à des spécialistes, et ne nous bassine pas à jouer la carte de l’interprétation jamais faite de ceci ou de cela… Il suppose plutôt que le lecteur aurait, même trouble encore ou peut-être même niée, une expérience intime, réelle, dans sa vie même, de ce dont parlent ces œuvres si différentes entre elles. Son objet n’est pas la littérature, ni même l’art, comme fin en soi, quelque obsession qu’il puisse demeurer légitime de plaquer sur ces mots, mais une expérience. Et dans l’adresse à lui que ton livre ne cesse d’opérer, comme dans tes remarques concernant ta propre vie – ton « Et oui, je me souviens d’autres vies présentes, très différentes. » en réponse à la conférence de Dick en 1974 à Metz : « Certaines personnes affirment se souvenir de vies antérieures, j’affirme me souvenir d’une autre vie présente, très différente. » (ta réponse ajoutant d’ailleurs un pluriel) suppose en effet que ton lecteur pourrait connaître lui aussi ce dont il est ici question. Ton livre suppose un lecteur vivant. Tu ne parles pas tout seul. Ça change un peu. Ça change beaucoup.
Je te remercie de l’expérience de lecture.
Elle m’a éclairé sur ce que je faisais, comme je l’ai dit plus haut. (Et l’expérience à laquelle tu invites, ou la prise de conscience d’une expérience faite et nous ayant échappé justifie l’emploi du mot essai. Je constate aussi que tu n’as pas choisi, toi, la forme romanesque ou toute autre forme de fiction, mais c’est une apparence, peut-être. Toutes les phrases de ton livre sont sensées et adossées à la raison, permettent à ton lecteur accord ou désaccord ; et si l’essai est poétique, ce n’est pas par je ne sais quel éclatement foutraque de la forme, par je ne sais quel truc en somme. C’est par ce à quoi il invite à se souvenir qu’il l’est. C’est en somme l’inverse de toute une tendance de la poésie d’aujourd’hui où de braves gens étriqués comme il faut se prêtent à peu de frais des gouffres et des folies en se rendant illisibles à petits coups d’écarts formels et de sauts syntaxiques surjoués…) Et moi aussi, quoique je ne sois pas certain de cet « aussi », j’essaie dans mon fatras en cours que chaque phrase soit sensée, normée, et l’ensemble m’échappe : Houellebecq y dialogue avec le pape (mais lequel ?), et, bien plus loin, moi-même, ou mon double, se trouve en pleine disputation avec Curzio Malaparte, mort en 1957, ou avec Poutine – même s’il apparaît ensuite que ce Poutine et ce moi-même sont des comédiens, dont celui qui porte mon nom joue Poutine… Et je te le dis, Aurélien, et peut-être vas-tu me croire, je n’avais rien vu de ce qu’il y avait là-dedans de potentiellement onirique avant de lire ton Traum ! J’étais pris tout entier dans le détail de ce que je voulais dire, phrase à phrase, et ne me voyais pas arranger les situations. Aussi, pardonne que je me cite, cette « chanson d’amour » incluse à mon fatras, peut débuter ainsi, sans que je m’arrête au fait qu’est posée l’idée d’un continuum parallèle, d’une vision d’un monde autre…
« au soleil de midi le temps que batte un cil
mon Dieu pardonnez-moi j’ai rêvé de potences
et puis tout revint là et rien n’avait changé
la Méditerranée à nos cheveux la brise
et toi mon ptit soleil »
J’avais eu l’impression, mais pas nette, en lisant La Route de McCarthy, que son monde de cendres et de poussière où survivent un père et un fils était le nôtre exactement, sa description réelle. Alors oui, ces expériences, je les ai faites sans Dick – ou peut-être pas, si son influence est telle que tu le dis, et j’ai tendance à te croire… –, et même sans conscience de les faire. Oui, je suis accroché à la raison comme un perdu – mais l’accent se déplace, depuis ta lecture, de raison à perdu… c’est ce que j’ai compris en lisant Traum. Je n’avais rien vu avant, et n’aurais pas formulé cette phrase, d’ailleurs. Et quand j’ai lu ton livre, j’étais bloqué, à l’arrêt – comme on le dit d’un chien, patte levée, tous sens à l’affût… mais à l’arrêt. Je ne comprenais pas quelque chose. Ton livre est arrivé au moment parfait, donc.
Je te remercie.