Arbor et Swifty, deux gamins de treize ans, vivent dans un quartier populaire de Bradford, au Nord de l’Angleterre. Une zone économiquement sinistrée où chômage, délinquance et travail semblent être les seules options possibles pour les jeunes générations. Pas très motivant…
D’ailleurs, les deux adolescents, en échec scolaire, se font très rapidement exclure de l’école et se mettent à traîner dehors, en quête d’un moyen pour gagner un peu d’argent. C’est ainsi qu’ils tombent sur Kitten, un ferrailleur local, qui leur propose de travailler pour lui. Leur job : récupérer des métaux usagés et les ramener à l’entrepôt, “The Selfish giant”, à l’aide d’un cheval de trait et d’une minuscule charrette.
Ce dur labeur ne leur rapporte pas grand chose, évidemment. Kitten leur achète les objets au kilo, pour une bouchée de pain.
Swifty s’en contente, car le ferrailleur l’autorise en parallèle à s’occuper de ses chevaux, qu’il fait participer à des courses clandestines . Il est doué pour cela, et ça lui rapporte un peu d’argent en plus.
Arbor, lui, ne se satisfait pas de ce que lui donne le ferrailleur. Il veut gagner plus d’argent. Il devient obsédé par la quête d’objets plus rentables et se lance dans des expéditions plus risquées, tant physiquement que légalement.
Peu à peu, entre jalousie et incompréhension mutuelle, les relations entre les deux garçons se tendent, et leur amitié s’en trouve menacée…
Avec Le Géant égoïste, Clio Barnard nous entraîne dans la marge, dans les franges les plus défavorisées de la société britannique, là où les gens essaient de survivre comme ils le peuvent, plus ou moins légalement, plus ou moins adroitement. Bradford est une des villes d’Angleterre où l’on trouve le plus d’individus vivant en-dessous du seuil de pauvreté, avec, dans certains quartiers, un taux de chômage supérieur à 25%. Jadis portée par une industrie textile florissante, la ville est aujourd’hui en plein déclin industriel, et la crise économique actuelle n’arrange rien…
Ce qui frappe tout de suite, c’est le contraste entre ces gamins qui vagabondent avec leur attelage fatigué, une image que l’on dirait issue de la fin du XIXème siècle et la présence de la centrale électrique et des lignes à haute-tension, qui viennent altérer la beauté des paysages. Il y a d’un côté ces êtres humains écrasés par la misère et par leurs propres émotions, et de l’autre ces pylônes gigantesques, inatteignables symboles de puissance – énergétique et économique. On comprend très vite que le film se veut une fable sur la société dans laquelle nous vivons, un système qui obéit à la loi du plus fort, où chacun essaie d’exploiter plus faible que soi, où les valeurs essentielles sont corrompues par la cupidité, la jalousie, l’envie de posséder ce que le voisin possède.
Le “géant égoïste” du titre, inspiré par une nouvelle d’Oscar Wilde (1), c’est le ferrailleur, Kitten, qui n’est pas bien riche, mais qui vit confortablement en exploitant les gamins qui travaillent pour lui, prenant tous les risques pour une poignée de shillings. Il reste insensible à leurs malheurs, ne pensant qu’à son propre profit. C’est aussi, d’une certaine façon, Arbor, qui n’a rien d’un géant, avec sa frêle silhouette, mais qui est en revanche totalement égocentrique. Il est prêt à sacrifier son amitié avec le paisible Swifty pour ses intérêts personnels. Mais ces personnages n’ont pas un mauvais fond. Ils sont tous les victimes d’un système économique et social très rude, vestige du Thatchérisme et de l’idéologie ultralibérale, qui pousse au repli sur soi et à l’égoïsme plutôt qu’à l’entraide et au partage.
Le vrai “géant égoïste”, c’est la classe dominante qui accapare toutes les richesses, laissant les plus pauvres se battre pour les miettes. Et ce géant-là, contrairement à Kitten et Arbor, ne se remet pas en question. Les personnages imaginés par Clio Barnard ont au moins le mérite d’assumer leurs actes, et le courage d’expier leurs fautes. Même si, au final, ils sont toujours aussi misérables, écrasés par le système, ils conservent leur humanité et leur dignité.
Difficile de ne pas être ému par ce drame qui s’inscrit parfaitement dans la grande lignée du cinéma social britannique. On pense beaucoup, évidemment, à certains Ken Loach comme Kes, au cinéma d’Alan Clarke (Made in Britain, Scums…), à Fish tank d’Andrea Arnold, ainsi qu’à d’autres oeuvres continentales comme L’enfant au vélo des frères Dardenne. Des influences que la cinéaste revendique clairement, et qui constituent la force du film, mais aussi sa limite.
Car si la recette a fait ses preuves à maintes reprises, elle souffre aussi de son classicisme. On aurait aimé que Clio Barnard soit plus audacieuse sur la forme, comme elle avait pu l’être sur son précédent long-métrage, The Arbor, pour que son film s’ancre plus durablement dans nos esprits.
L’ensemble est cependant mis en scène avec une louable sobriété et est porté par l’interprétation étonnante des deux jeunes comédiens principaux, Conner Chapman et Shaun Thomas. Des qualités qui ont valu au film d’être remarqué dans les différents festivals où il a été présenté, notamment La Quinzaine des Réalisateurs à Cannes (prix Europa) et le Festival du Film Britannique de Dinard (3 prix, dont le Hitchcock d’Or).
(1) : “Le Prince heureux, Le Géant égoïste et autres contes” d’Oscar Wilde – coll. Folio Junior – éd. Gallimard
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Le Géant égoïste
The Selfish giant
Réalisatrice : Clio Barnard
Avec : Conner Chapman, Shaun Thomas, Sean Glider, Siobhan Finneran, Steve Evets, Rebecca Manley
Origine : Royaume-Uni
Genre : cinéma social à l’anglaise
Durée : 1h31
Date de sortie France : 18/12/2013
Note pour ce film :●●●●○○
Contrepoint critique : Le Ciné de Fred
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