Dans la prière muette nous réaffirmons notre appartenance au Christ, nous la vérifions et nous la réactualisons, non point en déclarations solennelles, mais par la racine du silence, toujours plus ferme, plus profonde, là où notre être sait de lui-même où est la vie, où est notre justesse, notre point d’équilibre.
Le silence de recueillement déplie dans notre corps un espace clair, vierge toujours, comme un grand ciel nu, l’espace de notre innocence, en deçà du brouhaha, de la confusion, du mauvais brouillon que trace le plus souvent notre vie - un lieu originel, où tout peut recommencer, où nous touchons une vérité qu'aucun faux pas ne saurait démentir et à laquelle nous retournons comme à la source pour retrouver la force et la fraîcheur de la lumière inaltérable.
Mais le silence revêt aussi la forme du dénuement le plus radical qui soit, et donc le plus difficile à accepter, précisément parce qu’il est intérieur, parce qu’il rejoint l’exercice de notre être dans ses manifestations les plus immédiates : imposer le silence à l’imagination, à notre volonté, à l’agitation de nos désirs, aux revendications de nos manques, à notre incessant babillage, se révèle au-dessus de nos forces, et c’est là que nous mesurons la place réelle que nous accordons au Seigneur dans notre cœur, là que nous prenons conscience, en un éclair blessant, de tout le décousu, tout l’inconsistant, l’illusoire de notre vie.
Savoir y retourner, apprendre à y revenir, nous sera d’un grand secours au long de parcours souvent difficiles.
Quels que soient nos errements, à partir de ce fonds de lumière inentamée - qu’on sait si bien obscurcir, obstruer, mais sans jamais l’altérer, jamais le détruire -, tout peut renaître, tout peut s’élancer à nouveau, parce qu'a cette profondeur de nous-mêmes notre être se révèle toujours neuf, toujours jeune, et chaque jour se vit alors comme un premier matin.
Au miroir de ce profond silence, qui est en nous mais qui ne vient pas de nous, où n’entre aucun parasite, aucun commentaire, aucun jugement, on perçoit dans le même temps notre petitesse et notre grandeur, notre indignité et notre incomparable valeur. Dans la même clarté nous sont donnés l’individuel et l’universel, le fini et l’infini, étroitement mêlés en notre cœur, qu’il nous appartient de garder ouvert comme le ciel de notre chair, sa profondeur, son jour, son rayonnement.
Tout remettre au silence se révèle véritablement libérateur : nos pesanteurs se dissolvent, nous nous y lavons, lui seul accomplit le travail de clarification, de dénouement dont nous avons tant besoin, mais que nous sommes incapables d’accomplir par nous-mêmes. Il apparaît alors dans une sorte de vérité première, de blancheur, une page lisse où tout s'unifie, se simplifie et se purifie.
Il ne sert à rien de lutter contre ce qui l’entache - l’imagination tourmentée, le bruit ambiant, le tumulte des pensées -, il suffit de lui accorder suffisamment d’attention pour qu’il remonte et s’impose de lui-même comme ce qui nous est le plus intérieur, avec ce sentiment de paix, de plénitude, qui ne trompe pas.
Nous rompons un moment avec notre quotidien, avec la marche du monde, avec nos relations aussi, mais pour les retrouver sous d’autres cieux, dans la distance nécessaire à la respiration. Et notre quotidien - nous le savons tous, avec plus ou moins de pertinence - manque la plupart du temps de respiration. Il nous asphyxie parce que nous ne savons pas maintenir cette distance, ce léger recul de l'intériorité.
Philippe Mac Leod
(septembre 2013 - La Vie)