de Léonora MianoRoman - 240 pages
Editions Grasset - août 2013Prix Femina 2013
Dans un village de l'Afrique reculée, le clan Mulango vit dans l'effroi depuis que le village a été attaqué, brûlé, et quedes hommes ont dispru enlevés. Surtout les fils aînés. Les mères sont dans la détresse, attendent leur retour, alors qu'on les confine par superstition dans une case en leur en interdisant la sortie. Il faut comprendre. Le clan Bwele d'à côté aurait peut-être l'explication. Pire, ils en seraient peut-être les instigateurs. Certains, isolément, osent sortir du village et aller en terre inconnue, près de l'océan, pour poser leurs questions et voir le dernier horizon.Les débuts de ma lecture ont été assez difficiles. Pendant les 100 premières pages, j'ai lu péniblement un récit que je trouvais opaque, lent, obscur. Les personnages, aux noms parfois très semblables les uns avec les autres (pour mon oreille étrangère), ont longtemps été hors d'atteinte pour mon identification.
Extrait :"L'ombre est aussi la forme que peuvent prendre nos silences."Et puis, quand l'aventure prend forme, quand l'exploration démarre, que cette mère, Eyabe, veut à tout prix rejoindre l'endroit où le monde s'arrête et où son fils est probablement parti, l'océan inconnu, cela capte l'attention.
Extrait :"A aucun moment, lors de ces sorties, il ne leur est venu à l'esprit de s'échapper. Où seraient-elles allées ? Il n'appartient pas aux femmes d'arpenter les chemins. Les femmes incarnent la permanence des choses. Elles sont le pilier qui soutient la case. Aujourd'hui, elles se parlent, disent le serrement au coeur en voyant passer, sans un mot, leurs amies, leurs soeurs, en route vers le point d'eau. Elles ne manquent à personne. La vie s'organise, se poursuit sans elles. Leurs enfants ont d'autres mères. Leurs hommes, d'autres compagnes à étreindre. Celles dont les fils n'ont pas été retrouvés savent qu'elles ne seront pas soutenues si, de leur propre chef, elles retournent sous le toit familial."L'écriture de Léonora Miano est toujours délicate, habitée, et virulente. Mais elle ne personnifie pas aisément, elle nomme souvent des hommes ou des choses par des paraboles. Les hommes blancs sont les "hommes aux pieds de poule" (de par leurs pantalons), les mères des captifs disparus sont "celles dont les fils n'ont pas été retrouvés", la côte atlantique est "le pays de l'eau", etc. Cela participe à donner une dimension poétique et peut-être aussi universelle (à l'échelle de l'Afrique et de l'histoire de l'esclavage).Et c'est vrai qu'écrire ainsi est rare : écrire sur l'Esclavage du point de vue des victimes, du point de vue afro-centré, en se mettant à la place de villageois qui sont dans l'incompréhension totale de se qui se trame plus loin que chez eux, de ce qui entraîne des conflits avec les peuples voisins, faisant planer la rumeur de l'existence d'hommes différents qui viennent commercer. Des victimes qui sont bien éloignées de la conscience concrète, ignorant tout des principaux instigateurs, du devenir des captifs, de l'ampleur historique du commerce triangulaire. Des victimes qui ne sont même pas elles-mêmes enlevées, mais à qui on a enlevé.Une histoire dans l'Histoire, une histoire très circonscrite dans l'espace, dans le temps, une loupe par laquelle on fait bien de se pencher pour matérialiser les stupeurs et les souffrances de l'arrachement des hommes destinés à l'Esclavage. Et ouvrir (ou prolonger) la voie à une plus ample "mémoire de la capture".
L'auteure en parle - Leonora Miano
L'auteure est interviewée - BibliObs
L'avis de Gangoueus - Chez Gangoueus