Top 20 Albums 2013

Publié le 21 décembre 2013 par Euphonies @euphoniesleblog

Top 20 Albums 2013

D'après l'édito du hors-série des Inrocks sorti il y a peu, 2013 fût une bonne année musicale, mesurée au nombre des conflits intestins qui ont parcouru ces douze mois. Effectivement, jamais de mémoire je n'ai lu autant de rancoeurs, de détestations, de mises en perspective, de "c'était mieux avant" qu'en cette année 2013. Sur le podium des fusillés, Fauve, Stromae, La Femme, Aline, Daft Punk (pour l'hexagonal) Foxygen, Arcade Fire, David Bowie (pour l'international). Aurais-je raté une étape ? Disons que la démocratisation de l'avis sur les réseaux sociaux où tout le monde a son mot (parfois cruel) à dire, fait qu'aujourd'hui, l'appréciation des nouveautés musicales passe par trois stades :

1. l'institutionnel : les Magic, Tsugi, Inrocks, Rock'nFolk, Télérama, etc... Derniers défenseurs d'une presse spécialisée en recherche constante de lectorat, mu par de sévères contraintes économiques et qui calculent parfois leur recette au caractère bankable de leur couverture.

2. La blogosphère, charmant terme désignant tous ceux qui pensent avoir une légitimité pour confier leur avis à ceux qui voudront bien les lire. Ici, à boire et à manger : des semi-pros aux fans indigents, internet est une spirale sans fin qui charrie des profils multiples, du pervers narcissique au convaincu illuminé en passant par le rigoureux qui tente de dissocier le bon grain de l'ivraie.

3. Votre oreille. Organe qui peut se nourrir des deux premiers stades, mais qui reste en définitive la suprême autorité en la matière. Dans un monde parfait, il n'y aurait pas de prescripteurs, tous les artistes vivraient confortablement de leur art et chaque auditeur trouverait gratuitement musique à son tympan. Dans le monde parfait de certains, l'artiste maudit vaut pour son adjectif, vendre et plaire est une honte vaguement protestante, musique sans culture n'est que ruine de l'âme. Peut-être. N'empêche qu'on aura beau échaffauder les plus belles grilles d'appréciation, c'est encore et toujours l'oreille qui aura le dernier mot. Tant mieux. Alors en attendant que la musique substitue à nos esgourdes un monde qui s'accorde à nos désirs, voici mon top 20 imparfait des disques parfaits. 

Cliquez sur les liens internes qui renvoient à des chroniques d'Euphonies ou d'ailleurs...)

20. James Blake - Overgrown

Un jour je me reprocherai d'avoir classé Overgrown en queue de peloton. Sous une étiquette electro "post-dubstep", James Blake est surtout un chanteur de soul qui s'ignore. Soul disons minimale : ici pas d'effets de manche, pas de vocalises en chaude sueur. Comme l'illustre la pochette, la complainte de l'anglais vient du froid, sorte de fado saisi dans la glace. Oserais-je le jeu de mot ? Dans la grâce aussi, tant Overgrown fait l'effet d'une neige cinglant à vif nos tympans peu habitués à ces baisers frigorifiques. Et l'erreur serait de ranger ce deuxième opus parmi les oeuvres fades et anesthésiées du celcius : il propose au contraire une sorte de chaleur allumette dans le frimas polaire, une lueur bien plus essentielle que des kilos de larmes brûlantes. James Blake invente à sa manière le lyrisme des antipodes, rigoureux, glacial, mais ô combien sublime.

19. Foxygen – We are the 21st Century Ambassadors of Peace & Magic.


Est-ce que je place cet album dans le panthéon annuel parce que je l’aime ou parce que ça m’amuse de faire râler les gardiens du temple ? Suis-je un hipster ou un suiveur ? Peut-on aimer à la fois Foxygen, les Beatles et les Stones ? Peut-on dire quoi que ce soit (en mal) d’un album qui contient un titre lumineux comme San Francisco ?  A-t-on perdu le sens commun quand certains aujourd’hui font la fine bouche sur des artisans 2.0 d’un folk traficoté, harmonieux, mélodique ? Ceux qui savent font. Ceux qui ne savent pas critiquent. Ceux qui ne savent pas critiquer détestent. Toujours. 

18. Unknown Mortal Orchestra - Unknown Mortal Orchestra (II)

Derrière ce nom pompeusement alambiqué se cache une belle surprise de 2013. Quand les productions m'as-tu-vu fleurissent de toute part, quand jaunissent les désirs de nouveautés qui surenchérissent à qui mieux-mieux, qui promettent le son le plus lourd, le plus propre et efficace, qu'il est bon d'écouter Unknown Mortal Orchestra. Basses en retrait, humilité de la composition, efficacité de la mélodie qui prime toujours sur les effets de production, pour parfois atteindre des sommets. De soul pure comme avec So Good at Being in Trouble, de folk lumineux, From the sun, de clin d'oeil wah-wah au chorus hendrixien One at a time. On pense parfois aux Beatles sous codéine, à un Otis Redding chantant sous un coussin pour mieux pleurer, au meilleur des 70's écouté sous la ligne de flottaison parce que dans l'eau ça résonne différemment. L'album idéal pour éplucher des oignons avec nostalgie.

17. David Lemaitre – Latitude



Ovni sorti du nulle part (en tous les cas dans ma galaxie), David Lemaitre signe avec Latitude un album évident, qui mêle épure et baroque, envolées lyriques et tubes sismiques. On ne l’a pas assez souligné, Latitude convoque l’essence du religieux, une sorte de catéchisme laïque qui invite à la fois à l’introspection et au désir de partager, de croire. Le maitre de cérémonie est à l’aise dans tous les registres : folk intimiste, pop vitaminée à la tierce, chant du matin, complainte nocturne. Selon les morceaux, vous retrouverez la grâce d’un Bon Iver, d’un Nick Drake, l’insouciance feinte d’un Paul Simon, le sens harmonique d’un Daniel Lanois. Expérimentations sonores sur fond de classicisme pop, les 13 titres de Latitude imposent le répit, le repos et le respect. s

16. Savages – Silence Yourself



Abrasif, Incandescent, Sexuel. Organique, Tellurique, Sensuel. Féminin, Androgyne, Asexué. Tranchant, Grinçant, Radical. Enivrant, Hypnotique, Sinueux. Inquiétant, troublant, bouleversant. Stimulant, Mélodique, Impérieux. Pénétrant, Dérangeant, Jouissif.  Intelligent, Cérébral, Corporel. Rock, Hard, Soul. Minimal, Lo-Fi, Maximal. Joy Division, PJ Harvey, Siouxsee & The Banshees. Incantatoire, Incandescent, Abrasif.

Silence Yourself donnerait presque des envies de se foutre à poil dans la chaleur d’un vendredi merdeux, de s’asperger de bière après avoir déclamé du Burroughs, du Rimbaud, de baiser salement en sentant son cœur lâcher, puis d’écrire un flot d’amour sur le dos de sa maîtresse. L’album de Savages explose les carcans, déverse une fureur toujours contrôlée, qui va à l’essentiel. A l’os, au cœur, aux nerfs. Silence Yourself est foutraque, Maitrisé, puissant. Un vrai bijou acrimonieux qui se lèche de l’intérieur, sans fin.

15. Arctic Monkeys - AM


Alex Turner est un malin. Parce qu'il parvient avec AM à nous faire croire pour la quatrième fois que c'est notre meilleur pote. Mais attention hein, façon lycée : le beau gosse tête à claque qu'on aimerait détester s'il n'était pas aussi talentueux et charismatique. On a beau essayer de lui chercher des poux dans la tête, lui et sa bande de singes, il faut se rendre à l'évidence : les Arctic Monkeys ont trouvé la formule du rock next-door, immédiat, sans prétention, mais livré sur un tapis d'arrangements au cordeau, capable d'accompagner les sanglots sincères d'un ado meurtri dans la soue qui lui sert de chambre comme les soupirs d'un trentenaire revenu de toutes les cuites, les humiliations, les compromis. En gros, AM nous parle d'un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître, préférant embrasser la génération de ceux qui faute d'un drame collectif, se contentent de ruminer leur malheur individuel.  Touché,  comme dirait le sensible anglais.

14. David August -  Times



L’instantané musical a son revers sombre, intriguant, complexe. David August est loin d’être le premier à proposer la bande son d’une vie sans climax, tout en l’illustrant d’une palette sonore juste et pénétrante. Times est une respiration subtile qui mesure les espaces entre deux corps, deux envies. Et qui sait se rendre indispensable. Une nuit où les portes sont fermées à double tour, une nuit où il semble possible de s’extraire, de refuser le rappel à l’ordre de la sonnerie du téléphone le lendemain. Times, c’est 4h00 du mat’, les yeux brûlants et la gorge sèche, nus et en quête, encore, d’une relance, d’un palliatif. En somme la plus belle berceuse de 2013, quand on se résout enfin à appréhender le sommeil, à coup de dernière bière, dernière clope, dernière envie. Parce qu’on sait qu’on pourra s’endormir dessus sans baisser le son. David August a créé l’ambiance sonore parfaite, qui siéra aux noctambules, aux irréductibles noceurs, aux dormeurs malgré eux. Times, en cela est une incroyable signature entre chien et loup où quelque soit votre état, tout est bon à prendre, à vivre, sommeiller ou danser. De nuit bien entendu.

Cadeau ! L'album en écoute intégrale :

13. London Grammar – If You Wait



The song remains the same. Bien sûr que dans ce torrent, ce pullulement musical des années 2010, London Grammar sera comparé à machin ou truc. Donc on s'en fout : on écoute et si on aime, on dit que rarement ces derniers temps on a entendu une voix si intense, si expressive. Et aussi le duo fatal : mélodie et ambiance. En cas de projet de méditation prolongée, d'ouverture panoramique vers l'infini et au delà, London Grammar est une proposition incontournable qui vous fera manger moins de chocolats tout en modifiant votre corps : sentir vos poils érectiles, votre déglutition, le début d'un amas de salive ferrique bloqué dans la gorge. London Grammar est tout cela à la fois : l'appréciation du dehors, la sensation du dedans. L'album devrait être prescrit en même temps que lexomil ou Guronsan. Au choix.

12. Stromae - Racine carrée



Stromae partage avec Fauve une distinction dont chacun se serait bien passé : la totale répudiation des "haters", clique disparate réunie sous le grand étendard de la dictature des prescripteurs. Donc si vous avez osé aimer Racine carré, sachez que vous n'êtes qu'une sombre merde, sans goût, victime de la médiatisation. Que si vous osez souscrire à la comparaison avec Jacques Brel sur Formidable vous êtes perdus pour la cause. Bref, si vous voulez intégrer la ligue des gens qui savent, n'avouez jamais que vous aimez Racine Carrée. Sinon, pour 99 % des mortels, le belge a sorti un album qu'on peut aimer même si on est fan des Kills ou de Trentemöller. Succession de titres imparables qui convoquent à la fois Cesaria Evora, l'euro-dance, le fado mouliné au vocoder, les basses qui claquent, Racine carrée voit surtout s'épanouir un artiste polymorphe qui a tout compris à l'art de la pop, résumant sur la corde et en fines touches des sentiments aussi divers que l'appréhension du cancer, la misogynie, la lose du trentenaire, les dissidences identitaires etc... Tout ça dans une envolée jouissive pour les hanches et le petit farfadet dansant dans notre cerveau. En d'autres temps d'autres lieux, Stromae aurait avec Racine Carrée réconcilié les spécialistes et le grand public.

11. Adam Green & Binki Shapiro 


Lee et Nancy. Serge et Jane. Nick et PJ. James et Allison... Et maintenant Adam et Binki. Le duo vocal sur fond d'intrigue amoureuse a fait les belles heures de la pop. Et les belles minutes quotidiennes de mon année 2013. Comme toujours il y a deux écoles : ceux qui détestent l'aspect sirupeux de chansons qui ne disent rien d'autre que la déception, la frustration, l'aveuglement amoureux. Et ceux qui aiment ce retour du même, les arrangements classieux, la confirmation que tout ça est une affaire de point de vue qui dissout l'égo dans le duo. Somptueux exemple ici, dandy, un poil suranné mais toujours relevé par un savoir-faire irrésistible.

10. Fauve - E.P


Que n'a t-on pas écrit au sujet de Fauve ? Signe des temps, le collectif dérange, divise, entre sceptiques dénonçant l'apparente facilité du propos et toute une génération éclatée prenant en demi-volée la claque de Blizzard, Nuits Fauves, Kané. Alors oui, n'en déplaise aux archivistes de la musique comme il faut, Fauve dans un souci malin de communication a marqué de son empreinte l'année 2013. Certes il y a des grosses ficelles, quelques faiblesses d'écriture. Mais il y a pourtant un phénomène indéniable, celui de parler rageusement aux lycéens en devenir, aux trentenaires déprimés, aux orphelins d'une écriture sans métaphore, sans quête de poésie à l'ancienne. Et si Fauve offre une voie d'accès à Mendelson, que demande le peuple ? 

09. Har Mar Superstar - Bye Bye 17



Ce qui m'a cruellement manqué cette année, c'est l'occasion de remuer spontanément mon squelette sur une proposition 2013. Quand je dis remuer, ça implique tubes décomplexés, tueries funk/soul vintage, aucune envie de refaire le monde sinon de faire trembler mon bulbe solidement addict au soufre de la power-soul. Nick Waterhouse ou Sharon Jones et les Dap Kings m'avaient filé un coup de main il y a deux ans. Et cette année, l'hostie regénérante arrivait de nulle part : Har Mar Superstar, et son Bye Bye 17 . Touchant juste, très juste mon coeur fan des doo-waps et des compositions à la Supremes. L'album semble sortir tout droit des 70's. Et du meilleur : section rythmique bandante, voix à la tierce quand le rythme s'emballe, sens du chaloupé sous une demi tonne de soleil californien, Har Mar Superstar pose ses couilles ripolinées sur la table 2013 de la frustration funk : tout dans cet album sent les nuits moites, la sueur du coït, le réveil juvaminé du conquérant rassuré. Et quand bien même votre agenda tire la tronche niveau rendez-vous chaleureux, il vous reste le pouvoir d'évocation de Bye Bye 17. C'est à dire un précipité de jouissance funk / Soul imparable. A tester très vite.

08. San Fermin - San Fermin



Deuxième ovni surgi de nulle part, San Fermin n’en finit pas de révéler ses merveilles de musicalité dans un premier album foisonnant, qui nous prend sans cesse à contre-pied, dans un savant mélange de balades alanguies, de feel-good pop, d’envolées épiques, d’expérimentations jazz ou ambiantes… L’album est inclassable, mêlant voix chtoniennes et contre-ut, minimale puis, un titre après, progressive, concert symphonique mais aussi de chambre. Tout en maintenant un cap pertinent, cohérent, accessible mais exigeant. En fait San Fermin est un oxymore sur pattes, jamais excessif, jamais exsangue. Et met en cette fin d’année une bonne claque à tous ceux qui pensaient la pop était moribonde. San Fermin ose, embarque, rassure, transporte. L’album n’a pas décollé de ma platine depuis deux mois tant il est riche, tant il invite à la réécoute sans jamais risquer l’overdose, malin dans sa construction et son dosage. Une découverte jubilatoire et prometteuse en cette fin d’année 2013.

7. Daft Punk - Random Access Memories


La stratégie abusive de communication a été interrogée ici-même. Suprême fierté de l'électro française, Daft Punk ne pouvait pas rater le cap du 21ème siècle. Quitte à proposer une étrange relecture de la musique funk 70's (et l'ombre de Chic planant tout au long de l'album), et de l'électro bourgeonnant (Georgio Moroder comme parrain). Si la franchise Daft Punk n'a plus rien à prouver, Random Access Memories devait faire son trou dans le boulevard post-2010 où tout revient métamorphosé, relu, démantibulé. Le duo casqué, malin comme jamais, joue la carte de la radicalité en proposant un album frondeur, nostalgique, intransigeant. Oubliez One More time : ici on danse mélancoliquement sur des basses éprouvées et vrombissantes, on regarde l'avenir passé avec regret, on éclate les formats, les voix, les genres. Daft Punk n'en fait qu'à sa tête, aidé par les figures les plus crédibles du moment (Pharell Williams, Julian Casablancas) pour finalement délivrer une somme impressionnante. Certes Get Lucky subira le piège de la programmation abusive jusqu'à overdose. Mais il serait dommage de ne pas gratter plus profondément : Random Access Memories, s'il frôle parfois la boursouflure du trop bon élève, atteint bien souvent un état de grâce péremptoire. Dansant, cérébral, méta-musical, les Daft ont réussi leur pari en balisant la voie de la musique électronique contemporaine. Sans doute qu'il faudra quelques années pour s'en convaincre totalement.

6. The Villagers - Awayland


J'ai reconnu bien souvent dans ces pages mon admiration pour Conor O' Brien, jeune leader de The Villagers et petit génie touché par la grâce d'un chant à la fois sec et mélodieux. Tombé en pamoison sur Becoming a Jackal, énorme tube indie de l'année 2011, me voilà à nouveau complètement séduit par le travail d'orfèvre reconduit sur Awayland, développant magistralement le fluide d'une pop impeccable, nerveuse et charismatique. Attention l'oeuvre est vénéneuse, et une première fois écoutée risque de provoquer une réaction durable. De ces albums qu'on n'épuise jamais vraiment, parce qu'on les écoute au gré de nos humeurs, en sentant qu'à chaque fois ils s'approchent dangereusement de notre zone intime, du lieu où il est inutile de faire demi-tour.

5. Nils Frahm - Spaces


Something in the air. Avant même la première écoute, je me disais que cet album serait grand, majestueux, épuisant de beauté. J'étais bien en deçà de sa réalité : Spaces comme son titre le suggère est un album libre, hors-classe, intemporel. L'oeuvre casse allégrement toutes les cloisons qui intimident, qui hiérarchisent. Dès l'entame Says, le surdoué Nils Frahm nous entraîne dans une volute sans fin, où seule notre capacité à s'abandonner permettra d'apprécier l'immensité du cadeau (Hammers par exemple, ou la relecture du terrible Said and Done). Quand les mots semblent rater à chaque minute la définition de l'émotion ressentie, on abdique volontiers et l'on s'empresse de ranger Spaces entre le Köln Concert de Jarrett et A love Supreme de Coltrane. C'est dire.

4.  Scott Matthew - Unlearned


Unlearned se retrouve finalement en bonne place dans ce classement : peu de publicité, pas de passage radio. Mais cet album de reprises diffuse une telle force émotionnelle, propose une telle qualité d'interprétation qu'il m'a accompagné tout au long de l'année. Unlearned est aussi sorti à une date où j'avais plus que jamais envie d'entendre ce genre de relecture élégiaque des standards de la rupture amoureuse. Vivement recommandé pour les nombreuses soirées d'hiver à venir.

3. Nick Cave & The Bad Seeds  - Push the sky away



Le choix du coeur. Voilà bientôt quinze ans que je respire la musique avec Nick Cave et ses Bad Seeds. En vérité, je n'attendais plus rien de lui, tant il avait satisfait depuis tout ce temps mes appétits de blues, de punk-rock, de balades métaphysiques. J'aurais pardonné un nouvel album en demi-teinte après la dernière décennie prolifique et souvent géniale. Après tout, même Bowie pouvait récemment décevoir. Et bam, Push the Sky Away dissipe tous les doutes en proposant une oeuvre puissante, cohérente et ô combien séduisante. Il ne manquait plus qu'un concert à la Route du Rock cet été pour mettre tout le monde d'accord  : Nick Cave est définitivement le plus grand prêcheur d'une messe lyrique, tellurique, envoûtante. On resigne pour dix ans, facile. 

2. Aline - Regarde le ciel



Le choix du coeur (bis). Depuis Juin 2012 et un beau concert à la Maroquinerie, les Aline sont devenus des compagnons de route musicale et amicale. Interviewés trois fois depuis sur Euphonies, les garçons méritent largement le statut de groupe le plus sympa du circuit. Drôle, référencé, disponible, Aline prouve qu'on peut pondre une merveille pop, titillant notre corde sensible d'éternels ados mélancoliques, tout en restant une sacrée bande de copains animés par l'envie de toucher le fan des Cure, des Pastels ou des Smiths. Résultat : Regarde le ciel contient un paquet de tubes indémodables, qui sous des airs de ligne claire cristallisent des moments de vie brouillée. Les 10 chansons sont autant de fragments d’un discours amoureux où se devinent les déceptions, les désillusions, mais sans jamais verser dans la dramatisation pathétique. Au contraire : Aline trouve un équilibre entre intensité mélodique et dynamisme rythmique, soufflant le chaud et le froid, concevant l’album comme une histoire avec ses moments de révolte et de répit. En cela, Regarde le ciel  perpétue un élégant héritage so british, fait davantage de sous-entendus, d’implicite, de non-dits qui laissent respirer l’imaginaire sentimental, que de grosses déclarations éléphantesques et impudiques.  Oui c’est ça : Aline a le sens rare de la pudeur, au risque de perdre en route ceux qui n’y voient que naïvetés indigentes. Des morceaux comme Elle et moi ou Elle m’oubliera osent l’absence d’ironie, celle  distanciée qui plaît tant aux acrimonieux. Les mêmes qui n’écoutent que d’une oreille immature, tout à leurs préoccupations obscurantistes d’une musique valable parce qu’inconnue (suivez mon regard…)  Etrangers à ces débats de basse-cour, Les Aline proposent une peinture par touches subtiles de tourments délicatement esquissés, immédiats et honnêtes.  En emmenant dans son flot spontané tous ceux qui  savent que la pop peut dire beaucoup, voire l’essentiel. En ce sens, si Je bois et puis je danse a marqué les esprits et les bassins, des titres comme Teen Whistle ou Regarde le ciel sont de petits bijoux d’épiphanies, haïkus ramassés de sentiments universels :

« Sans vos yeux pour me parler, vos bras pour me rassurer je penche, je tombe…encore // sans vos bras pour m’enlasser, vos yeux pour me rassurer, je tremble, je tombe…encore. »

L’album Regarde le ciel est une véritable carte du tendre, à fleur de peau certes, mais qui jamais ne tombe dans l’insoluble. Au contraire, comme son titre l’indique, c’est une formule pour aller mieux, pour boire, danser, et voir plus loin. 


1. Arcade Fire - Reflektor


Difficile de reparler d’un album qu’on a chroniqué il y a peu. Arcade Fire 1er du top, ça veut tout et rien dire. Tout, parce que c’est l’album que j’attendais en 2013, pas forcément des canadiens, mais d’un artiste qui offrirait une riche galette, moderne mais pensée à l’ancienne, comme un concept album. Alors je sais que depuis, Reflektor a été écouté, réécouté, porté aux nues, étrillé, loué, conspué, encouragé, hué, encensé, stigmatisé, voué aux gémonies, porté au pinacle, sali, blanchi, désossé, analysé, interprété, remis en question, comparé, étudié, puis réétudié, porté comme étendard, battu à bras raccourcis, adulé puis aussitôt détesté, haï puis reconsidéré, attaqué ici pour les arguments défendus là, surestimé par les sourds, sous estimé par les sûrs, moqué pour sa pochette, distingué pour sa couverture, ridiculisé, foulé au pied, redressé, canonisé pour sa gouverne, fanatisé, réduit à sa portion congrue, écouté pour sa diversité, taclé pour son opportunisme, récompensé pour son intégrité, montré du doigt pour ses influences, sélectionné pour sa nouveauté, vilipendé pour ses emprunts, liké, rejeté, accueilli, repoussé, acclamé, vomi, adopté, mis plus bas que terre, placé au Panthéon, dégusté mais mal digéré, stationnaire de platine ou remisé à la cave, compagnon de temps libre ou ennemi des nuits sans lune, produit marketing ou véritable artisanat, héritage de trois albums ou enfant de James Murphy, signe ancien d’un génie révolu ou futur promesse d’un groupe visionnaire. Rien que pour ça, la messe est dite. Reflektor est LE grand album de 2013.


  Bon bien sûr ce Top 20 ne s'est pas fait sans douleurs... J'adresse mes excuses par avance à Bertrand Belin, Jean Louis Murat, RJD2, Deltron 3030, Bachar Mar Khalifé, Foals, Youn Sun Nah, Concrete Knives, Mgmt que j'ai beaucoup écoutés cette année, et au tout récemment découvert (merci Craze) Willis Earl Beal que je regrette déjà de ne pas avoir inclu dans la sélection. Ou alors faire un top 30 ?

Bonne écoute !