Toujours aussi populaire outre-Rhin, Angela Merkel a été réélue chancelière, mardi, pour un troisième mandat de quatre ans. Mais cette fois, la dirigeante conservatrice est à la tête d’une large coalition avec les sociaux-démocrates. Car il ne fait pas de doute qu’Angela Merkel incarne l’Allemagne, mais le problème pour nous Français, c’est de savoir si elle incarne, la politique européenne, d’importantes décisions étant prises, notamment l’Union bancaire. Alors les sociaux-démocrates allemands qui vont gouverner avec elle, peuvent-ils ou veulent-ils d’ailleurs, infléchir la politique à Berlin ? Cette coalition est-elle un atout ou un frein pour Angela Merkel ? Comment expliquer que le modèle allemand exerce une pareille fascination, en France, et ce sans inspirer la moindre politique du même type ? Est-ce que cette réussite économique allemande, dont on peut discuter aussi, en liaison avec notre économie à nous, est aussi due à la chancelière réélue ? Quelles vont aussi être les conséquences de la mise en place du Smic allemand ? Merkel deviendra-t-elle plus douce ? Est-elle la matronne de l’Europe ? Apprécie-t-elle François Hollande, ou s’est-elle résolue à faire avec ? De nombreuses interrogations en sont ainsi soulevées.
En France, quand on parle d’Europe, on parle d’Allemagne. Et quand on parle de l’Allemagne, on finit par parler de la France. Ce qui est assez fascinant, dans le modèle allemand, c’est d’abord évidemment sa réussite. C’est-à-dire qu’en regardant du point de vue statistique, le retournement vers le positif outre-Rhin date de 2006-07, c’est-à-dire au moment où commence la crise. On disait de 1995 à 2005 de l’Allemagne, que c’était l’homme malade de l’Europe, selon l’expression de Nicolas Ier. Tout d’un coup, la situation allemande s’améliore extraordinairement dans les statistiques, à l’exception de 2009 – année maudite pour tout le monde -, alors qu’en même temps, la France rencontre des difficultés de plus en plus fortes. Nous sommes à côté d’un voisin, qui va de mieux en mieux, alors que nous allons de moins en moins bien. Nous étions l’ancien bon élève, pourrions-nous dire, qui avait le cancre à côté de lui, et qui est devenu maintenant le n°1 de la classe. Nous sommes passés de l’homme malade de l’Europe à la femme la plus forte d’Europe, voire du monde. Mais surtout ce qui est intéressant, c’est de voir dans ces années 2000-05, ce que Gerard Schroeder, alors chancelier, va décider d’entamer sur le plan des réformes. Ainsi, quand vous regardez ces difficultés listées et établies par Schroeder, au moment de l’agenda 2010, ce sont pratiquement celles que rencontrent aujourd’hui l’économie française, ce qui est assez troublant.
Il est vrai, que c’est l’agenda Schroeder et Hartz qui a fait le miracle économique allemand, mais ce qui est fascinant avec l’Allemagne, c’est que finalement, ce sont des gens qui ont accepté la réalité, qui l’on regardé en face et qui l’ont surmonté. Outre-Rhin, il y a aussi de la pauvreté, des petits boulots, du temps partiel, des difficultés. Mais ils ont fait face en se disant aujourd’hui dans la mondialisation, comment pouvons-nous survivre, nous ne sommes plus dans les années 1950-60. A l’époque, nous achetions les matières premières à bas coût, nous faisions venir des Algériens – ou des Turcs, chez eux -, sous-payés pour travailler dans l’industrie automobile, et nous étions les rois du pétrole, puisque nous étions les seuls à fabriquer des produits manufacturés. En regardant cette réalité en face, les Allemands ont fait le choix des petits boulots, du temps partiel, de la modération salariale. Nous avons fait le choix du chômage et d’une forme d’assistanat. Il est courageux, au passage, d’avoir perpétué ce système, de la part d’Angela Merkel, parce qu’il y a effectivement d’énormes pressions pour en sortir. Il y a aussi entre la France et l’Allemagne, des différences culturelles très profondes et très anciennes. Notamment, cet esprit de consensus collectif qu’il y a en Allemagne et qui s’oppose à notre manière de faire, nous Français, depuis fort longtemps. Et cela avec des racines même philosophiques, sachant pour que nous soyons créatifs, productifs, il faut que nous soyons conflictuels, à tous les niveaux de la société d’ailleurs, que ce soit dans les rapports sociaux, que ce soit dans les rapports politiques aidé en cela, par une élection présidentielle au suffrage universel direct qui coupe le pays en deux, et donc tout doit être l’objet de conflits.
Ainsi en Allemagne, tout est construit – notamment depuis l’après-guerre -, pour favoriser le consensus, à tous les niveaux. On élit un maire et l’on s’arrange pour que le président de l’assemblée municipale soit d’une couleur différente, parce que l’on opère une recherche du compromis. Cela a été imposé politiquement par les alliés, à la fin de la guerre en 1945, mais l’Allemagne de l’entre-deux-guerres et même pré-wilhelmienne avait déjà ce fonds culturel de consensus collectif. Ainsi, certains estiment que cette coalition est un atout fort, notamment en matière économique. Parce que l’on a vu dans la répartition des postes, au niveau du gouvernement, que l’aspect social sera géré par le SPD, ainsi que l’aspect énergétique de transition. Nous sommes dans une situation de répartition des rôles, chacun ayant évidemment les élections suivantes en ligne de mire, ceci n’étant pas nécessairement définitif. Quant on lit le rapport de coalition, on s’aperçoit qu’il y a de vrais accords qui ont été trouvé sur des avancées sociales majeures, qui remettent pratiquement totalement en cause, les lois Hartz. Sur le plan économique, il n’y a ensuite pas réellement de différences entre le centre-gauche et le centre-droit. Il peut y avoir des divergences sur certaines questions sociales, sur le Smic, sur la nationalité. Certains élus UMP hésiteraient ainsi en France, à signer ce que certains élus SPD ont entériné dans leur accord sur la compétitivité, sur la modération des salaires, sur la non-mutualisation des dettes, toute une série de sujets qui sont classés en France, à gauche, et qui sont portés à droite comme à gauche, en Allemagne. C’est ainsi un vote intelligent, au moment où l’Allemagne a besoin de desserrer l’étau des contraintes, d’une relance dans l’investissement, de la consommation.
Certaines tensions restent à craindre, certains dénonçant la hausse du Smic, perçue comme un choc anti-compétitivité, même si cela est prévue pour dans deux ou trois ans, et risque d’être très progressif. Mais l’Allemagne avait peut-être besoin d’un souffle d’air social. A titre de comparaison, la France reste un pays riche, avec un maximum de compétitivité, de très bonnes écoles, ce qui fait que l’on survit, l’on tient, mais tout de même que de freins (!), estiment certains analystes. Ainsi l’on voit aujourd’hui les difficultés que rencontrent notamment les jeunes diplômés hexagonaux, qui vont souvent travailler en Allemagne ou en Autriche, à titre préférentiel, dans certaines branches, depuis deux ou trois ans (!). La flexibilité contractuelle y est plus forte également, étant plus facile de passer d’un emploi à un autre, par ailleurs. Ainsi, nous avons des freins, alors que nous sommes un pays avec un fort potentiel compétitif. Ainsi dans l’approche allemande, c’est l’économie qui a poussé à opérer un choix du centre. La gauche en France serait-elle à même de signer un accord de coalition, semblable à celui signé en Allemagne ? Rien n’est moins-sûr. Il n’y pas de recettes de droite, il n’y a pas de recettes de gauche, et cela, nous le savons. Sans quoi, l’Europe n’appliquerait toutes les recettes allemandes. Par exemple, la Grèce et les pays du Sud – Portugal, Espagne, Italie -, appliquent aussi la recette de réduction de la dette, des déficits, pour retrouver un peu de croissance et d’emploi. Et d’ailleurs, nous y passerons aussi, nous Français. Mais le problème, c’est que ce serait mieux de l’assumer politiquement.
Ainsi comme toujours, traditionnellement parlant, la chancelière réélue a réservé sa première visite à l’étranger, à la France, François Hollande l’ayant reçu avant-hier, à l’Elysée. Même si leurs rapports semblent s’être radoucis, Angela Merkel a probablement fait une erreur stratégique, au moment des élections présidentielles françaises, où elle a appuyé fortement la candidature de Nicolas Sarkozy, parce qu’elle estimait que l’Europe, à ce moment-là, avait un fort besoin de stabilité. On peut penser que François Hollande ne l’a pas forcément bien perçu. Et donc aujourd’hui, ils sont dans une situation où tout est remis à zéro, étant là pour encore quatre ans, tous les deux, et maintenant le couple est reformé, nous pourrions dire, bon gré, mal gré. Comme un couple franco-allemand, qui aurait commencé par une infidélité, ce qui commence certes mal. Cela dit, Kohl a été élu après Mitterrand, l’un de droite, l’autre de gauche, la recette ayant parfaitement fonctionné en l’occurrence, après quelques mois de tâtonnement. De Schmidt à Giscard, en passant par Mitterrand et Kohl, on s’aperçoit que le clivage gauche / droite n’a pas vraiment gêné la relation franco-allemande, car ce sont des relations entre Etats, et non de la politique politicienne. Le vrai problème pour la France et l’Allemagne, ce sont les élections européennes. Une partie du vote en Grèce ou en Italie avec Beppe Grillo ou le Front national en France, est très liée à la ligne politique allemande, ce qui apparaît également, dans une situation politique qui est complexe. Mais le sujet, c’est que la France et l’Allemagne doivent être en mesure de proposer une alternative européenne, alors que tous ces gens considèrent qu’effectivement, il y a un problème dans la construction européenne.
Nous sommes ainsi dans le paradoxe allemand, celui d’un pays traumatisé par les errements de son histoire, du nazisme en passant par la guerre froide et la réunification, et qui lorsque sa classe politique met en place une politique de bonne foi – et elle y est parvenue -, aboutit aussi à une déstabilisation de la politique des Etats européens voisins, voire à une montée des populismes. Et puis, c’est incontestablement un cauchemar français que la domination allemande. Donc, il faut en tenir compte. Cependant, l’Allemagne a beaucoup évolué dans la crise aussi. Les Allemands procèdent toujours par séquences. La 1ère séquence, c’était d’essayer de stabiliser les politiques économiques, c’est-à-dire de dépenser moins qu’on ne le faisait, sachant que la France et l’Allemagne ont financé le plan de sauvetage d’un certain nombre de pays – 27 % pour l’Allemagne, 20 % pour la France -, ce qui fait que nous sommes en droit de demander que les gens remettent de l’ordre, ce que nous avons fait en Grèce, l’Irlande qui d’ailleurs s’en sort. La 2e phase, c’est de dire « Faisons la même politique économique ». Ce que est plus compliqué, parce que nous politisons beaucoup les choix. Mais en mettant les idéologies de côté, nous devrions trouver des terrains d’entente, le président Hollande semblant le vouloir d’ailleurs. Il y aura même d’autres phases, sachant que nous pourrions peut-être un jour, parler de politique monétaire avec les Allemands. Mais ça ne pourra se faire, que séquence après séquence. Nous avons des idées souvent bonnes, souvent brillantes, mais nous les politisons un peu trop, dans ce clivage droite / gauche, cette bipolarisation de la vie politique depuis 1789, mais qui sclérose et coupe la société française. Il faudrait ainsi essayer de renouer cette intimité que pouvait avoir par le passé, les dirigeants des deux pays.
Par ailleurs, au niveau européen, doit être mis en place un mécanisme dit de résolution unique, ce qui signifie qu’il n’y aura plus de solution par pays et en cela, nous allons vraiment vers une unification de la problématique de la dette. Cette avancée est majeure, mais invendable politiquement, car lorsque vous allez devant les populations, les citoyens et que vous leur annoncez la mise en place extraordinaire de l’Union bancaire, les gens seront peu réceptifs, car cela ne changera pas leur quotidien. Le problème de la France, en tout comparé à l’Allemagne, et à l’épreuve de réunification qui l’y a poussé, c’est que nous n’avons pas d’enjeu, d’objectif stratégique, nous ne savons pas où nous allons. L’Europe est à un tournant. On ne pense pas que le couple Sarkozy-Hollande ait été formidable. Ils n’ont pas pu construire vraiment une politique européenne ensemble, puisqu’ils ont été confrontés à la crise de 2008-09, qu’ils ont réglé comme ils ont pu. Mais aujourd’hui, il faut voir sur du long germe, et nous arrivons à un virage. L’Europe a été très libérale et mal vue, surtout sur certaines politiques, avec José Manuel Barroso et aujourd’hui, ça sera intéressant de savoir qui sera le prochain président de la Commission, voyant la nécessité d’aller plus loin dans certains domaines, dans une voie qui n’est pas libérale. L’erreur d’Angela Merkel est aussi d’avoir fait nommer Barroso, fade et peu charismatique, lui laissant une marge de manoeuvre. On le voit avec l’union bancaire, mais aussi avec les Allemands qui sont demandeurs d’un impôt unique sur les sociétés, parce que le dumping fiscal de Dublin commence aussi à les agacer. Nous sommes demandeur de minimums sociaux, les Allemands sont obligés de le faire, parce qu’effectivement, il faut soutenir leur consommation. Nous étions partis d’une Europe trop rigide, trop dirigée, et nous avons voulu la libérer des excès, et aujourd’hui, il faut construire autre chose.
L’Allemagne va ensuite être confrontée à des difficultés. La hausse progressive du Smic entraînera un renchérissement du coût du travail, ce qui peut permettre de relancer la consommation aussi. Une partie du travail allemand a aussi été créé par la modération salariale. Le vrai problème, ce sont les PME allemandes, les grands groupes étant très peu touchés, car employant peu de salariés au Smic, mais la majorité des petites et moyennes entreprises ont beaucoup utilisé ces petits salaires, en effet. La question est de savoir si ces PME-PMI vont parvenir à intégrer ce surcoût salarial, et comment cela va-t-il être compensé, que ce soit par une augmentation d’activités forte, de la consommation interne, par des efforts des différents länders en allègement de fiscalité, tout cela étant des voies possibles. C’est pourquoi, cette augmentation doit être dans la durée et progressive, à des fins d’adaptabilité. Mais le passage au Smic n’aura pas d’effet cataclysmique sur l’emploi, disent certains économistes. L’Allemagne a une économie suffisamment solide, pour cela. Par ailleurs, il est vrai que des petits boulots à 4 ou 5 euros de l’heure sont insupportables, d’où une concurrence totalement déloyale dans l’agroalimentaire, aussi bien de travailleurs allemands de l’est que polonais ou roumains, de chômeurs ayant le droit de travailler en plus, de retraités travaillant encore. Des directives européennes-travailleurs détachés sont également détournées, à cette fin. Angela Merkel se détache cependant du milieu patronal allemand, sur ce plan-là, tenant compte de la nature de cette coalition et cela sans aucun étant d’âme. Mais lorsque nous parlons des petits boulots à 4 ou 5 euros de l’heure, il faut aussi y greffer la logique française du Rsa, à 480 euros / mois, au maximum, soit 3 euros de l’heure. Les Allemands ont réagi différemment, avec un Rsa actif payé par les entreprises. Des compléments sociaux existent aussi en Allemagne. Mais en France, quand vous avez le Rsa, vous ne ne pouvez pas vivre, en soit, le revenu minimum étant alors à 3 euros de l’heure. Autant d’analyses qui sont, ici, intéressantes.
En tout cas, l’Union européenne, que l’on y adhère ou pas, ne peut pas se passer financièrement parlant de l’Allemagne. Mais le jour, où les citoyens s’identifieront à un chef dominant, ce sera la fin de l’Europe, car il y aura blocage. L’Allemagne considère la France comme un partenaire privilégié, et elle a peur aussi d’être perçu comme trop dominante économiquement parlant, et du coup dominante politiquement, ce qui lui déplaît fortement, Angela Merkel s’en souciant. Tout est dans la mesure aussi, dans ce que font les Allemands. Mais l’Allemagne a démontré, tout au long de la crise, qu’elle veut jouer collectif. A aucun moment, l’Allemagne n’a eu une attitude isolationniste, si ce n’est concernant le commerce extérieur, avec 6 % d’excédent commercial du PIB durant trois années successives. L’Allemagne a aussi des faiblesses, notamment d’énormes problèmes démographiques, liées au statut de la femme, sachant qu’il est impossible outre-Rhin d’allier vie professionnelle et vie de famille, dans une différence culturelle. L’Allemagne est déjà très engagée dans une politique migratoire de venue de travailleurs originaires de Turquie ou d’Europe centrale ou de pays d’Europe du sud, la ministre de l’intégration étant d’origine turque. Encore faudra-t-il effectivement les intégrer, l’Allemagne étant déjà, dans une situation d’anticipation, avec développement de l’enseignement de l’allemand en Italie et en Espagne.
J. D.