Il y a, quoiqu’on en dise, un véritable prestige de la culture. Quelque chose de noble et d’élevé dans ces esprits passionnés de savoir, quelque chose de beau à les voir s’émerveiller devant la beauté, s’énamourer d’idées, coureurs de connaissances, affamés de précisions, de détails et de vérité. Mais pourquoi ? Qu’y trouve-t-on après tout de si précieux ?
Car on convient aussi du contraire. Il y a tout autant un ridicule et un mépris de la culture. L’homme illuminé de culture est aveugle à la réalité. Il vit dans ses livres, perfectionne des concepts, admire des chimères… Il caresse la beauté, mais ne la produit pas. Il aime des rêves et ne transforme pas la réalité. A quoi sert donc la culture si ce n’est à connaître ?
C’est cet aspect purement théorique, résolument contemplatif, qui fait qu’on la porte aux nues ou qu’on la foule aux pieds. C’est parce qu’elle n’est pas utile qu’on l’adore ou qu’on la répudie. Cette pure beauté est merveilleuse et futile. Hannah Arendt dit ainsi qu’elle ne sert pas à la vie, mais qu’elle est pour le monde. Elle n’est pas destinée aux hommes, mais traverse les époques, sublime, pérenne, indifférente… Apparemment oui, il faut en convenir, un homme au quotidien, n’en fait rien.
Mais n’y a-t-il pas quelque chose d’éminemment utile dans cette apparence d’inutilité ? Celui qui pense, qui lit, apprend, réfléchit ou reste deux heures dans une salle de concert assis, réjoui, ne fait pas rien. Il peut vous paraître indifférent celui dont l’esprit s’ouvre à ce qui n’est pas lui, s’intéresse à ce qui n’est pas sa vie, mais n’est-ce pas justement lui l’homme le plus utile, l’homme de l’inutile ?
Il faut être grand, supérieur et libre, pour donner son temps à ce qui n’est pas immédiatement utile. Il ne faut être ni trop narcissique, ni trop égoïste… Dans la culture, on n’échange pas, on ne négocie pas, les intérêts privés et pratiques sont silencieux et se tiennent coi. On aime ce qui resplendit, ce qui a une valeur en soi.
Dans la culture se préparent peut-être souterrainement les conditions de la morale. C’est là sa grande fonction éducative et sociale.