Comme tout grand cinéaste qui se respecte, Martin Scorsese commence le cinéma avec de petits budgets, et de petits films. Aujourd’hui, petit saut dans le passé, en 1967, avec The Big Shave.
Petit budget. Petit film. Oui mais la maîtrise de la caméra, de la direction d’acteur et de la mise en scène, révèle déjà l’immense talent que le jeune Scorsese possède sous le pied. En 1967, il réalise son troisième court-métrage : The Big Shave. Plutôt sanguinolent.
Tout commence dans une salle de bain d’un blanc immaculé. La robinetterie étincelle. La porcelaine flamboie. Un type – joué par Peter Bernuth – arrive, se débarrasse du t-shirt qu’il porte, s’étale de la mousse à raser sur le visage, et commence à passer la lame sur ses joues avec la plus grande désinvolture, pendant que Bunny Berigan souffle dans trompette « I Can’t Get Started ». Sauf que l’homme n’en finit plus. Jugez plutôt :
Le générique arrive, tout de rouge vêtu, et dévoile une explication du film. A sa toute fin, Scorsese écrit deux mots: « VIET ‘67 ». The Big Shave semble prendre alors une dimension politique, s’opposant ainsi à l’engagement des forces américaines au Vietnam. Là où l’innocence « immaculée » – le blanc et la brillance des premières images – finit par être souillé et noyé de sang.
Mais Scorsese se défend quelques années plus tard. Dans une biographie qui lui est consacré, et à laquelle il collabore, il explique : « Consciemment, c’était une protestation contre la guerre. Mais en réalité, il y avait quelque chose d’autre au fond de moi, qui je crois, n’avais rien à voir avec la guerre. C’était une mauvaise période [de ma vie]. Une très mauvaise période ».C’est peut-être ce qui explique pourquoi le cinéaste, qui devait inclure à la fin du court métrage des plans de la guerre du Vietnam, finit en fin de comptes par laisser de côté l’idée.
Bien entendu, lorsqu’il réalise The Big Shave en 1967, Scorsese est bel et bien en colère contre l’implication des Etats-Unis au Vietnam. Mais ce qu’il entend au final, c’est que ce qu’il a amené à un tel degré de « violence » n’est que le résultat de ses sentiments cachés et enfouis, à cette période de sa vie.
L’histoire entourant ce court-métrage illustre finalement une facette importante du cinéaste, pour qui la représentation visuelle de la violence à l’écran reflète la catharsis, ou la libération des émotions refoulées.