Deux candidats, soutenus par les deux rivaux qui ont paralysé le pays depuis
près de cinq ans, sont en compétition pour le poste suprême. À la clef, l’issue concrète d’une très longue période de transition.
La démocratie malgache arrive à la dernière marche de l’épreuve finale. Après tant de vicissitudes
malheureuses qui ont retardé ces scrutins, voici l’ultime étape pour mettre en place les institutions de la 4e République promulguée le 11 décembre 2011, il y a juste deux ans.
Le scrutin du 20 décembre 2013
Si le premier tour du 25 octobre 2013 a eu quelques
contestations, c’était avant tout par l’interdiction d’y faire participer les principaux acteurs de la crise, à savoir le Président de la Transition Andry Rajoelina, son prédécesseur renversé
Marc Ravalomanana (exilé à Johannesburg) ou son épouse Lalao, ainsi que le prédécesseur de ce dernier, Didier Ratsiraka. À eux trois, ils formaient l’origine des crises malgaches depuis douze
ans. Toutefois, les deux candidats finalistes reprennent par procuration le duel Rajoelina vs Ravalomanana.
Dans l’ensemble, même s’il y a eu quelques incidents dans la tenue des bureaux de vote (je ne parle pas de
l’assassinat d’un chef de région qui avait une origine crapuleuse et pas politique, mais des irrégularités au code électoral), la journée du premier tour de l’élection présidentielle s’est
déroulée dans les meilleures conditions possibles, sous la surveillance de milliers d’observateurs étrangers, avec une participation plus que remarquable, soit 62% des inscrits.
Certes, des erreurs et des omissions sur les listes électorales ont finalement abouti au rajout, pour le
second tour, d’un peu plus de 142 000 nouveaux inscrits sur les 7,8 millions d’électeurs déjà enregistrés. Souvent, il s’agit de citoyens qui avaient volontairement boycotté les inscriptions
car leur "mentor" ne pouvait pas se présenter.
Enfin, les lenteurs dans le recomptage et la centralisation
des voix par la CENIT (Commission électorale nationale indépendante pour la transition) avaient suscité bien des critiques puisqu’il a fallu attendre le 8 novembre 2013 pour proclamer les
résultats officiels (provisoires), soit deux semaines au lieu des dix jours que précise le code électoral.
La CENIT a déjà fait savoir que malgré la période de fin d’année, les résultats devraient être connus avant
le 7 janvier 2014. Elle a toutefois augmenté ses ressources pour remplir cet objectif avec une rallonge de 2,2 millions de dollars financés par la SADC pour mobiliser plus d’hélicoptères dans
l’acheminement du matériel électoral et des résultats du vote. Le dépouillement pour les législatives risque d’être particulièrement laborieux avec près de deux mille candidats pour 150
sièges.
Trois grands débats (face-à-face) ont eu lieu en direct à la télévision les 4, 11 et 18 décembre 2013
respectivement sur la situation économique et sociale, sur la politique étrangère (en français) et sur la politique intérieure et la réconciliation (ce dernier débat de deux heures a été un peu
plus tendu que les deux précédents).
La campagne électorale a été close le jeudi 18 décembre 2013 à 6h00, soit vingt-quatre heures avant
l’ouverture des bureaux de vote.
Quelles sont les chances des deux candidats ?
Au premier tour, les deux candidats n’ont cumulé que 37% des suffrages exprimés, soit un peu plus qu’un tiers
des électeurs. Cela signifie que le jeu reste très ouvert.
Jean-Louis Robinson, officiellement soutenu par Marc Ravalomanana, semble partir avec une
petite longueur d’avance, déjà parce qu’il était arrivé en tête au premier tour avec 21,1%, et ensuite, parce qu’il a reçu quelques soutiens décisifs, comme celui du candidat Camille Vital
(6,9%).
Si l’on tenait un raisonnement purement arithmétique (mais les comportements électoraux sont tout autres),
Jean-Louis Robinson pourrait se fonder sur une base initiale d’environ 45% du corps électoral en comptabilisant l’ensemble des voix recueillies par les petits candidats du premier tour qui le
soutiennent au second tour.
Quant à Hery Rajaonarimampianina, arrivé en deuxième position avec 15,9% malgré des moyens
financiers colossaux et le soutien très clair d’Andry Rajoelina au premier tour, il n’a pu bénéficier que d’un seul soutien parmi les autres candidats du premier tour, à savoir celui de Roland
Ratsiraka (le neveu de l’ancien Président-amiral) qui avait obtenu 9,0%, ce qui donnerait à l’ancien Ministre des Finances une base pour le second tour de seulement environ 25% même s’il est
probable qu’il puisse compter sur les électeurs d’Edgard Razafindravahy (4,3%).
La plupart des (petits) candidats du premier tour sont restés très prudents sur leur soutien au second tour,
renvoyant dos à dos les deux finalistes, et misent plutôt sur les législatives, espérant se retrouver à la tête d’un groupe assez puissant pour avoir de l’influence dans la prochaine
assemblée.
Même Hery Rajaonarimampianina a préféré rester absent le 2 décembre 2013 lors de la présentation des
candidats aux législatives soutenus par Andry Rajoelina au Coliséum Antsonjombe tandis que Roland Ratsiraka avait indiqué que s’il lui apportait son soutien, il n’avait pas l’intention de
s’engager dans sa campagne.
Le candidat placé en troisième position au premier tour avec 10,5%, Hajo Andrianainarivelo, très courtisé,
n’a pas donné de consigne de vote même si pour les législatives, son parti s’est allié avec les forces d’Andry Rajoelina.
Quelle majorité à l’Assemblée nationale ?
L’enjeu du scrutin du 20 décembre 2013 sera aussi le poste de Premier Ministre pour succéder à Jean Omer
Beriziky. Le 28 novembre 2013, le conseil des ministres avait rappelé la règle du jeu : selon l’article 54-1 de la Constitution du 11 décembre 2011, « le Président de la République nomme le Premier Ministre, présenté par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblée nationale ».
Donc le Premier Ministre ne sera pas élu par les députés mais le résultat de la création d’une majorité
constituée de partis qui doivent être déclarés comme tels avant le scrutin. En quelques sortes, une nouvelle version de la loi sur les apparentements de 1956 en France !
Des députés indépendants ne pourront donc pas participer aux négociations, ce qui avantagera les grandes
formations. La coalition de la mouvance Ravalomanana sera très handicapée par cette règle, en raison de ses divisions structurelles lors des candidatures, ce qui empêchera ses composantes de se
regrouper après le scrutin pour former une majorité.
Nul doute que cette disposition (qui empêche de constituer une alliance parlementaire après le scrutin si
elle n’a pas été déclarée comme telle avant le scrutin) est la dernière manœuvre d’Andry Rajoelina pour éviter la formation d’un gouvernement qui lui serait hostile et pourrait bien envisager son
procès.
Déchiffrer les résultats…
L’issue de ce double scrutin du 20 décembre 2013 va donc marquer Madagascar pour les cinq prochaines années.
Il sera donc très difficile de tirer avec rapidité les principales leçons du corps électoral.
D’une part, il faudra espérer que l’écart entre les deux finalistes, Jean-Louis Robinson et Hery
Rajaonarimampianina, soit suffisamment large pour que l’élection de l’un soit incontestable et reconnue par l’autre.
D’autre part, il faudra suivre avec minutie la répartition des différents groupes politiques au sein de la
nouvelle chambre car elle déterminera le nom du futur Premier Ministre et du prochain gouvernement.
Toute la question sera de savoir si la démocratie malgache a atteint son stade de maturité après ses périodes
troubles de la puberté. Pour penser enfin à l’intérêt du pays, à savoir, principalement, son développement économique et social (accès à tous de l’eau courante et de l’électricité, scolarisation
de tous les enfants, aide aux soins pour tous, encouragement aux initiatives économiques, etc.).
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (20 décembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Duel Robinson vs
Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er
tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du
processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des
candidats.
L’élection
présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne
et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était
passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement
malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/journee-cruciale-pour-la-fin-de-la-145308