Le cinéma français se porte pas mal en cette fin d'année ( il n'y a qu'à voir toutes les bonnes critiques que je fais sur les films hexagonaux qui sortent en ce moment), mais concernant la variété française, celle habituellement dénigrée un peu partout mais que je continue toujours à tenter de réhabiliter avec mes modestes moyens, cela va plutot pas mal non plus, merci pour eux...
La preuve avec deux CD sortis en cette fin d'année (tiens ca serait pas un peu exprès, cadeau sous le sapin, oblige?:o)... Et deux CD que j'ai voulu regrouper sous la même chronique, parce que les deux artistes ont quand même quelques points communs, plus dans leur personnalité que dans le genre de musique qu'ils font.
Certains pourraient me dire qu'il n'y a pas énormément de points de convergence entre Pagny et Lavilliers qu'entre Bob Dylan et Matt Pokora, à ceux ci je le rétorquerais que pour moi ce sont deux types (euh pas Matt et Bob bien sur) qui sont de vraies institutions dans la chanson française installées depuis au moins 20 ans (+ de 30 pour Lavilliers) dans le paysage, et que ces deux là on parfois souffert de leur image un peu trop vite stéréotypé de grande gueules facielement caricaturable et qui peuvent largement agacer...
Et qui m'ont d'ailleurs parfois agacé, avant que leur donne l'abosultion totale (c'est depuis que j'ai rencontré le Saint Gelluck que j'ai cette capacité) grâce à leur dernier opus, à mes yeux, parfaitement réussi comme je vous propose de le voir de suite:
1. Florent Pagny, Vieillir avec toi :
Si faire partie jury d'une émission de téléréalité est souvent du quitte à double dans une carrière, on peut considérer que la participation de Florent Pagny en tant que jury de The Voice a été bénéfique et, sur l'image du chanteur qui apparait quand même vachement sympa ( malgré ses vestes en croco d'un gout douteux) et sur l'inspiration créatrice de Pagny. En effet, après quelques expériences musicales pas forcément convaincantes (un album tout et son contraire un peu décevant et un autre Baryton franchement pas terrible), Pagny est revenu à ce qu'il sait le mieux faire : de la bonne variété au sens classique du terme mais avec un vrai soin apporté aux textes et aux mélodies.
Pour celles ci, il a laissé le soin à son grand copain Calogero de s'occuper des compositions du début à la fin de son dernier album Vieillir avec toi, ce qui constitue une première pour les deux artistes âgés respectivement de 42 et 51 ans qui avaient déjà collaboré ponctuellement et que j'avais eu 'occasion de voir une fois sur scène dans un concert de Calogero à l'Olympia il y a une dizaine d'années, chantant le fameux tube "Chatelet les Halles".
Et force est de constater que collaboration Pagny/Calogéro est franchement une belle réussite : Caolgero prouve une nouvelle fois son immense talent de mélodiste et arrivent à trousser des compos qui nous transportent, tout en restant variées et riches.
Quant aux textes qui ont été confiés à Marc Lavoine, Lionel Florence ou encore Emmanuelle Cosso, ou Marie Bastide ( qui n'est autre que la compagne de Calogero, si jamais il y a requete google là dessus, c'est tout bénef) ils parviennent parfaitement à raconter de bien belles histoires qui touchent. ( par exemple ce très beau « Le Soldat » , lettre d'un mobilisé de la guerre de 14 à sa douce et tendre servi par des orchestrations enlevées et sensibles)
Dix nouvelle chansons sur les thèmes de l'altruisme, l'amour, qui aborde les questions que peut se poser un homme qui est dans la force de l'âge, de son avenir, de ses doutes mais c'est aussi une déclaration d'amour à ses proches, comme l'est notamment ce premier single extrait de l'album, ce beau et solennel "les murs porteurs" qui ouvre superbement l'album et touche dans le mille avec pas mal d'emphase dans l'interprétation d'un Pagny qu'on a toujours préfèré comme cela que dans l'ironie et le cynisme ...
Bonne pioche également pour le second extrait, "Vieillir avec toi" jolie déclaration à sa femme, qui convient parfaitement à la voix d'un Pagny qui a atteint une belle maturité et semble se bonfiier avec le temps. Un morceau au refrain entrainant et facile à se souvenir, sur un fond d'un délicieux harmonium.
Un " comeback" donc parfaitement maitrisé pour un album aux arrangements soignés qui a également touché son public (il a figuré sur la plus haute marche du podium du Top Albums pendant deux semaines, ce qui ne lui était plus arrivé depuis longtemps)
2. Bernard Lavilliers, Baron Samedi
Aussi paradoxal cela puisse paraitre, si j'ai toujours cultivé une certaine tendresse pour Pagny malgré toutes les conneries qu'il a pu proférer ici ou là et son coté poujadiste un peu réac, j'ai toujours eu plus de mal à adhérer au personnage Lavilliers, pourtant bien plus à gauche, engagé et humaniste dans ses déclarations. Il faut dire que le coté bobybuildé tatoué avec cuir, boucle d'oreille et jean qui roule des mécaniques m'énervait totalement, et surtout ses morceaux les plus connus de Melody Tempo Hrmony à On The Road again m'avait justement complètement laissé sur la route... Seuls deux ou trois titres, de "Lucy" à"Idées Noires" avec Nicole Croisille me touchait, mais sans donner envie d'aller écouter plus du coté de Lavilliers à mes yeux plus une sorte de militant dans la revendication que dans l'artistique et la recherche musicale.
Heureusement, Emilie de Barclay m'a envoyé son dernier album, Baron Samedi , sorti le 25 novembre dernier, et une écoute très attentive des morceaux et des textes sont allés contre ces a priori
Réalisé avec le leader du groupe Eiffel, Romain Humeau à la guitare et à la production, l'album porte un titre de messe vaudou d'après une figure clé du vaudou haïtien, un seigneur des cimetières vénéré chaque samedi ,et affublé de son chapeau haut de forme, le plus redoutable des esprits de cette religion pratiquée en Haïti, en hommage aux drames qui a touché Haiti (trois chansons de l'album font référence au passage meurtrier de Sandy sur Haîti.)
Le disque interpelle par des mélodies sobres, dépouillée et acoustique ( le style qui me sied le mieux généralement), et aussi une écriture lucide et aigue de Lavilliers sur le monde qui nous entoure, loin des petits tracas du quotidien de certains chanteurs français ( dont j'aime un certain nombre, je le reconnais aisément)
Ainsi, "Scorpion", le premier morceau qui ouvre l'album, et qui est également le premier single extrait, donne superbement le tempo de ce nouveal opus, en empruntant les mots du poète turc Nazim Hikmet emprisonné en Turquie pendant plus de 15 ans et devant s'exiler pour marxisme, et nous offre, sous une mélodie aux petits oignons, cette poésie violente en hommage (« Comme un scorpion mon frère, dans une nuit d'épouvante ») qui livre un vrai uppercut à l'estomac pour l'auditeur.
Alors certes, certains pourront reprocher que contrairement aux précédents albums de Lavilliers, si les textes s'interessent vraiment à l'international, paradoxalement, le coté musique du monde est un peu déaissé pour un coté plus orchestral, plus symphonique, proche d'une variété plus classique (on pense parfois à des morceaux d'Eddy Mitchell, tels que dans cet entrainant "Y'a pas qu'à New York", où le reve américain est un peu mis à mal), mais personnellement, ce léger changement de cap me convient parfaitement, avec notamment une utilisation pertinente des cordes qui confère parfois une réelle dimension cinématographique à l'ouvrage.
Lavilliers sait être très touchant quand il évoque la disparition de sa mère, assistante sociale dans un « Sans fleurs ni couronnes » d’une grande sensibilité et d'une touchante profondeur. Mais j'aime également des morceaux plus exotiques, notamment la très belle adaptation d'un poème réunnionnais d'Alain Peters, Rest la maloya, où l'en sent poindre une mélancolie derrière le soleil apparent.
Mais le morceau le plus réussi de ce bel album est peut-être vivre encore, un des trois morceaux inspiré du drame haitien dans lequel le chanteur stépahanois, de son phrasé si reconnaissable et si charismatique, nous livre une formidable lecon d'espoir, une sorte de « cri du coeur » pour nous rappeler que la bataille de la vie n'est, contrairement à ce qu'on pourrait le penser, « jamais finie ».
Bref, un double album soigné ( le 2ème CD livre une lecture d'un poème de Blaise Cendars qui m'a laissé un peu circonspect) et intelligent qui m'a fait changer mon regard sur Lavilliers. Evidemment, à 67 ans, il n'a pas vraiment sa perception de la société et ses convictions, mais m'a semblé plus posé et plus mesuré dans son approche et ses analyses. Un changement salutaire et qui me donne envie de vous pencher sur ce Baron Samedi qui pourrait faire quelques heureux sous le sapin!!