Pourquoi Nicolas Sarkozy échappe au Karachigate

Publié le 20 décembre 2013 par Juan


Crédit illustration: DoZone Parody

On avait presque oublié l'affaire, si longue est son enquête. Mais c'est un coup de tonnerre. Nicolas Sarkozy serait épargné des conclusions des juges Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire.
Mais voici que cette dernière "arrive son terme". Ultime suspense, on en connaît les protagonistes. Il en manque donc un dans cette dernière ligne droite.
Cette affaire donne le tournis. 
La vente des 3 sous-marins au Pakistan (contrat Agosta), puis des frégates vendues à l’Arabie saoudite (contrats Sawari II puis Mouette); des pots-de-vin là-bas, des rétrocommissions ici, une campagne présidentielle d'Edouard Balladur à financer. Des intermédiaires qui se cachent (Abdul Rahman El Assir) ou qui craquent (Ziad Takieddine); un ministre du Budget qui acquiesce; un président qui s'énerve qu'on le soupçonne; ses conseillers mis en examens; une villa en Amérique du Sud. Un rapport Nautilus.
Et surtout, des morts, des civils, un 8 mai 2002 à Karachi.
Nicolas Sarkozy inquiet
Il est inquiet depuis longtemps. Nicolas Sarkozy a toujours pris cette affaire avec sérieux. Pour preuve, la violence de ses réactions quand l'enquête progressait. A l'automne 2008, Mediapart l'implique avec quelques notes d'un ancien responsable de la structure française en charge des commissions de vente des sous-marins au Pakistan.
Au printemps 2009, les premières révélations, après la relance de l'enquête et un changement des juges, il raille: "Ecoutez, franchement, c'est ridicule, (...) C'est grotesque, voilà. Respectons la douleur des victimes. Qui peut croire à une fable pareille ?" En décembre de la même année, il s'énerve quand on découvre quelques preuves de pots-de-vin. Un an plus tard, le parquet de Paris conteste même aux juges la possibilité d'enquêter sur le volet financier du Karachigate.
En novembre 2010, l'Elysée s'est procuré des documents de l'enquête. C'est illégal. Lors d'un déplacement européen, Nicolas Sarkozy lui-même dérape publiquement. Il lance une attaque graveleuse contre des journalistes présents lors d'un "Off" mémorable ("Et vous, j'ai rien du tout contre vous. Il semblerait que vous soyez pédophile... Qui me l'a dit? J'en ai l'intime conviction").
Nous n'en revenions pas.
En septembre 2011, le fidèle Brice Hortefeux prévient Thierry Gaubert qu'il va être interpellé. Il est

Nicolas Sarkozy épargné
Pourtant, finalement, Nicolas Sarkozy sera épargné. L'enquête des juges sur le volet financier arrive à son terme. Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire ont adressé leurs conclusions au parquet. On attend donc un renvoi vers la Cour de justice de la République.
Des journalistes bien informés murmurent que de nouvelles mises en examen pourraient suivre: Edouard Balladur, François Léotard, ancien ministre de la Défense en 1995.
Mais pas Nicolas Sarkozy: "les juges estimeraient ne pas avoir réuni à son encontre d'indices graves et concordants susceptibles d'entraîner des poursuites" expliquent Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans les colonnes du Monde. Son rôle a pourtant été étayé: Mediapart, ce 19 décembre, rappelle qu'il a validé  les "créations des sociétés Heine et Eurolux, de leur fonctionnement et des manœuvres utilisées pour faire disparaître toute trace de versement de rétrocommissions". Ceux qui sont déjà mis en examen - Ziad Takieddine, Thierry Gaubert, Nicolas Bazire, et Renaud Donnedieu de Vabres -  risquent le renvoi vers le tribunal correctionnel.
Mais Nicolas Sarkozy s'en sort brillamment. Comme si nous avions tous oublié cette période, trop longue, d'obstruction.
Davet et Lhomme contredisent donc les affirmations de Mediapart. Ce dernier croyait savoir que Sarkozy serait forcément impliqué. 
L'avocat des familles, Maître Morice a en effet réclamé, le 4 décembre dernier, le renvoi devant la Cour de Justice de Balladur, Léotard et... Sarkozy. Les deux premiers sont clairement soupçonnés de détournements de fonds. "Une partie des faramineuses commissions perçues par le duo auraient en fait servi à financer de manière illicite, sous forme de « rétrocommissions », la campagne présidentielle de M. Balladur, en 1995, ainsi qu'à renflouer les caisses du Parti républicain (PR) de M. Léotard" expliquent les journalistes. Pire, les magistrats suspectent aussi un "enrichissement personnel".
Concernant Sarkozy lui-même, la requête de l'avocat devait, selon Fabrice Arfi et Karl Larske de Mediapart, "obliger les juges à déterminer une éventuelle responsabilité pénale de l’ancien ministre du budget dans cette chaîne de décision gouvernementale qui a abouti au détournement de plus de 500 millions de francs (80 millions d'euros) sur des marchés officiels d’armement." 
Au passage, l'avocat réclamait aussi la suppression de cette juridiction exceptionnelle, la Cour de Justice de la République. Les deux journalistes de Mediapart accusaient même Hollande d'avoir enterré sa promesse de supprimer cette Cour. "M. François Hollande a fait savoir que ladite abrogation n’était plus envisageable à défaut d’un consensus politique à cet égard " confirme l'avocat. La raison en est pourtant simple, il manque encore une majorité des 3/5ème au Parlement pour réformer ainsi la Constitution. Mais le projet a déjà été adopté en Conseil des ministres en mars dernier.
Fallait-il "violenter" la Constitution ?

Au final, on retient surtout que Nicolas Sarkozy passe, peut-être provisoirement, entre les gouttes d'une enquête qui s'est accélérée tardivement, plus de 5 ans après les faits. La justice a encore retenu, en octobre dernier, les différentes violations du secret de l'instruction. Trois juges - Sylvia Zimmermann, Sabine Kheris et Camille Palluel - se sont vus confié l'affaire, un "éventuel accès de l'ancien président aux pièces de l'instruction", quand, trop inquiet pour on-ne-sait-quelle-raison, il s'est empressé de communiquer en septembre 2011 sur des informations qu'il n'était pas censé connaître...
Lire aussi :