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Portraits d’un couple : Frida Kahlo et Diego Rivera

Par Memoiredeurope @echternach

Ce n’est pas seulement parce qu’il y a eu un film, même si l’imagerie cinématographique compte dans l’image mentale qu’on se fait du couple.

Ce n’est pas parce que Frida Kahlo a été vampirisée par des créateurs de la mode : Jean Paul Gaultier, Comme des Garçons ou Givenchy, comme si elle représentait, l’espace d’une saison, une tendance du style, même si cela compte pour transformer dans l'imagerie mentale une œuvre singulière en un multiple commercial.

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L’œuvre de l’un et l’œuvre de l’autre sont à la fois uniques et indissociables. Elles sont uniques parce que leurs manières respectives de considérer le monde n’a rien à voir et que la passion amoureuse qu’ils ont partagée fait pourtant intégralement partie de leur passion artistique.

L’exposition que leur consacre le Musée de l’Orangerie est donc particulièrement bienvenue parce qu’elle a fait le choix à la fois d’entrelacer en permanence, mais aussi de délacer quand il le faut, des liens qui se sont partagés dans l’exaltation, l’incendie et la douleur pendant vingt-six ans. Et qu’elle a choisi de revenir à l’essentiel, au-delà de la légende : les travaux qui nous sont transmis, les tableaux avec lesquels nous pouvons dialoguer, les photographies qui ont fixé un instant de bonheur tranquille ou de bonheur feint, les films qui animent étrangement leur corps pleins aux côtés de celui d’autres célébrités comme Trotsky.

Et puis pourquoi ne pas l’avouer ? ; il est nécessaire de passer un peu de temps devant la réalité d’un objet, le sens d’une forme, le moteur concret d’un regard désespéré représenté dans un moment de doute. Cette exposition nous donne à voir des désespoirs réguliers qui ont été mis en scène de manière aussi crue que possible, même si les symboles et les métaphores sont présents, même si l’appel aux divinités souterraines et aux forces invisibles fait monter une sorte de conjuration apaisante.

Je suis resté un moment devant l’autoportrait de Frida à la robe de velours. Nous sommes en 1926. Le long cou venu de la peinture italienne, comme dans les portraits de Jeanne Hébuterne peints par Modigliani ouvre une verticale qui semble propulser la tête au-dessus des contingences du monde et de la rumeur des vagues qui bleuissent à l’horizon. Comme une panne de velours qui n’a besoin d’aucun motif, d’aucun ornement et comme une chair qui ne réclame aucun bijou.

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J’ai résisté autant qu’il était possible à la fascination perverse du portrait de Frida en bébé de 1937. Un corps alangui irrigué par une nourrice masquée, comme si l’artiste ne pouvait plus faire la différence entre les âges de la vie, comme si elle se plaçait entre évolution et régression, sans plus savoir de quel côté elle allait tomber. Dans ce tableau la nature environnante est envahissante. Elle parle de la vie qui va continuer, de l’espoir. Le corps de l’adulte s’est réduit par contre à une sorte de transfusion permanente, à une vie végétative. Il n’y a pas d’artifice ; la vie est à nue, dans la dépendance d’un ciel étoilé qui semble éternel.

Frida Kahlo - My Nurse and I - 1937

Je suis resté encore plus longtemps devant le portrait de Frida à la colonne brisée. L’horizon là aussi s’est éclairci, tandis que terre et mer se confondent. La vérité du portrait est encore une fois venue d’Italie : référence aux grands saints italiens sacrifiés aux barbares, aux incroyants. Mais l’humanité du corps s’estompe au profit d’une machinerie baroque. Entre nature et artifice. Entre modèle et robot. Comme si le corps brisé et transpercé de l’artiste était devenu le symbole d’un monde où les mécanismes industriels étaient plus importants que les êtres de chair. Nous sommes en 1944. Le monde est plongé dans le désastre et la barbarie.

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Je suis conscient que Frida a retenu mon attention, aux dépens de l’homme tout puissant avec lequel elle s’est confrontée. Sans doute parce que la femme a dû, comme d’habitude, subir après sa mort une sorte de recyclage par les vampires de la mode qui n’ont retenu que ses robes indigènes et les fleurs dans ses cheveux, qui en ont fait une icône à la fois femme fleur et féministe. Et pourtant elle est bien là, tout d’un bloc. Elle a intégré des influences devenues invisibles ou seulement allusives. Elle reste modeste.

L’homme avec lequel elle vit, par contre, étale l’ensemble de son parcours, comme une véritable anthologie, depuis la fascination pour les grands maîtres européens ibériques qui lui apprennent l’intimité et la puissance du corps : El Greco, Goya, Velasquez, en passant par les maîtres du changement qu’il rencontre à Paris : Picasso, Mondrian, Léger, Soutine, Modigliani ou Juan Gris. Puis il revient à la fresque, à la démesure du mur, à la confrontation avec les ancêtres italiens : Leonardo ou Raphaël et surtout Michel-Ange. Défier Dieu, tout en lui rendant hommage, défier l’Homme avec une majuscule. En partage avec le monde : des foules, des villes, des révolutions.

Dans la même maison : la Casa Azul. Dans une même vision politique. Dans un même espoir pour le monde. Et pourtant si différents, si complémentaires.

L’intime et la démesure. L’un à côté de l’autre. Aujourd’hui et pour toujours.

Frida Kahlo-Diego Rivera. L'Art en fusion, Musée de l'Orangerie, place de la Concorde 75008 Paris 8e. Jusqu'au 13 janvier 2014.


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