Nouvelleaks est le recueil des 66 chroniques publiées pendant cette période de près de trois ans. Dans sa notice introductive, l'auteur précise quel était son dessein:
"Je m'étais fixé pour fil conducteur - très approximatif - de dépeindre l'approche de l'"apocalyptique" année 2012 ainsi que les suites de cette fin du monde qui n'en finit pas de nous pendre au nez."
C'est en effet un fil conducteur très... approximatif, sauf si l'on donne à apocalypse son sens originel de révélation... Le titre du recueil est d'ailleurs un clin d'oeil non dissimulé au site de révélations Wikileaks de Julian Assange.
Dans sa chronique 41 du 24 août 2012, l'auteur exprime un regret au sujet du sort de ce persécuté politique:
"Notre tradition d'asile, qu'on brandit à chaque fois qu'il s'agit de refouler des dealers, n'aurait-elle pas dû nous pousser d'office à proposer un abri à ce dissident? Mais la Suisse de 2012 est trop occupée à aider le tentaculaire fisc américain à traquer le dernier dollar qui pourrait échapper au financement des guerres de l'Empire. Accueillir un vrai réfugié politique, cela ne vous vaut que des ennuis. Et la Suisse de 2012 a une peur bleue des ennuis."
Slobodan Despot est souvent qualifié de Serbe de service. Il n'empêche qu'il a raison de remettre en cause, par exemple, la légende des gentils Kosovars en butte aux méchants Serbes:
"Depuis l'entrée de l'OTAN dans cette province en juin 1999, la population serbe y a été divisée
par six. En mars 2004 ils furent expulsés en masse sous les yeux indifférents des soldats occidentaux. Dans l'intervalle, plus de 150 édifices chrétiens du Kosovo, la plupart de valeur
historique, ont été démolis, incendiés ou saccagés. En 2010, le rapport de Dick Marty révélait des détails horribles sur le trafic
d'organes humains et l'interpénétration des structures criminelles et politiques locales. Un rapport accablant, qui n'a suscité aucun démenti, aucune action concrète non plus. Comme s'il n'avait
jamais existé." (chronique 42 du 7 septembre 2012)
Le pavé de Pierre Péan, Kosovo - Une guerre "juste" pour un Etat mafieux, paru ce printemps, confirme en tous points, l'hideuse vérité de ce rapport, enterré parce que gênant (chronique 59 du 17 mai 2013)...
Slobodan Despot ne se cantonne évidemment pas dans ce rôle de Serbe de service. Je l'ai qualifié plus haut d'impertinent. Ce n'est pas une critique négative sous ma plume, mais plutôt un éloge, parce que l'impertinence va de pair avec une liberté de parole dont ne peuvent que s'affliger les bien-pensants. Ce qui n'est pas pour me déplaire.
Il est impertinent, par exemple, quand il souligne:
"Nous construisons un monde qui est l'incarnation parfaite de la schizophrénie: un îlot sécuritaire hérissé de barbelés et bardé de surveillance, à l'intérieur duquel on n'entend que des hymnes à l'amour d'autrui." (chronique 5 du 19 décembre 2010)
Il est impertinent, par exemple, quand, non fumeur, et fier de l'être, il s'en prend à la "délirante idéologie anti-tabac" (chronique 9 du 26 avril 2011):
"La traque à la fumée est symptôme d'une préoccupante folie. Toutes les dérives totalitaires, sans exception, partent d'un souci d'hygiène et de pureté morale, et prospèrent sur des hallucinations." (chronique 43 du 21 septembre 2012)
Il est impertinent, par exemple, quand il dépeint ce qu'est l'Union européenne en réalité:
"Imaginez: des parlementaires élus et surpayés, mais sans aucun pouvoir réel, et des commissaires au pouvoir illimité mais élus par personne. Le rêve de Nomenklatura soviétique réalisé à l'Ouest!" (chronique 47 du 1er décembre 2012)
Il est impertinent, par exemple, quand il qualifie d'ânerie suicidaire et sacrée l'"application infantilisante du principe de précaution à tous les secteurs de l'activité". (chronique 28 du 29 février 2012)
Il est impertinent, par exemple, quand il distingue un des candidats à l'élection présidentielle américaine, que les médias conformistes ignorent alors superbement:
"M. Ron Paul, lui, propose le repli des troupes, la fin de l'Etat omnipotent et fouineur, la
responsabilisation des citoyens, le retour aux racines de la Constitution. Nous devrions saluer ce vieux jeune homme qui veut raisonner un empire devenu paranoïaque." (chronique 26 du 23
janvier 2012)
Je serai plus réservé quand il rend hommage à Franz Weber en ces termes:
"Cet homme habité est une Antigone, peut-être la dernière, de notre temps. [...] Il incarne l'âme suisse, tissée d'indépendance, de ténacité et de prévoyance. L'ire extrême qu'il suscite est la poussière de gloire que seul un grand homme soulève sur son passage." (chronique 29 du 12 mars 2012)
D'autant que, plus haut, dans la même chronique, vantant le modèle suisse de prise de décisions, il se réjouit qu'elle "coupe court à la tentation innée des classes dirigeantes: faire notre bonheur à notre insu, malgré nous et, pour tout dire, contre nous".
Car, c'est bien leur bonheur malgré et contre eux que les autres cantons ont voulu faire à ces mauvais élèves de la Confédération que seraient les Valaisans, en approuvant quelque temps plus tard l'initiative de Franz Weber de limiter arbitrairement le pourcentage de résidences secondaires dans les communes.
Dans une chronique plus récente, Slobodan Despot note toutefois:
"Après la mise en oeuvre de la LAT [Loi sur l'aménagement du territoire] et de la Lex Weber, et peut-être la confiscation prochaine par Berne des retours de concessions sur les barrages, le Valais ressemblera enfin à l'idylle alpine que les bobos de la Suisse urbaine veulent faire de lui." (chronique 61 du 14 juin 2013)
Il est impertinent, par dernier exemple, quand il demande, après son renoncement à son indemnité de départ, à Daniel Vasella, l'ex-patron de Novartis, lynché littéralement par les politiques et les médias:
"De deux choses l'une: soit vous méritiez votre indemnité - et vous l'encaissez sans ciller; soit vous ne la méritiez pas - mais alors au nom de quoi l'avoir réclamée et négociée?"
A la faveur de ces 66 chroniques, Slobodan Despot aborde bien d'autres sujets. Il le fait toujours avec la bonne humeur qui le caractérise et avec une liberté de ton réjouissante.
Je ne résiste d'ailleurs pas à faire une dernière citation au sujet du secret bancaire helvétique que le fisc américain aura réussi à fortement écorner et qui correspond pourtant au droit de chaque homme à sa sphère privée:
"De concession tacite en reculade publique, on en est venu à imposer aux banquiers suisses qu'ils dénoncent eux-mêmes leurs clients soupçonnés de fraude, achevant de démanteler ainsi une tradition de confidentialité qui a bâti, en partie, la prospérité de ce pays. Les vertus de jadis sont devenues des crimes sous la coupe du moralisme hypocrite, qui n'est que la vieille trique des puissants déguisée en plumeau." (chronique 33 du 10 mai 2012)
Francis Richard
Nouvelleaks, Slobodant Despot, 148 pages, Xenia