Suite à l’excellent reportage de M6 sur les maladies mentales, au titre tout à fait moderne et approprié »Un an chez les fou dangereux » j’ai pris la décision d’écrire un article sur le sujet.
Effectivement, bien qu’on ne puisse nier de grandes qualités journalistique à cette émission – j’ai bien sentis l’influence du « nouveau détective » – je déplore qu’il n’y est pas eu plus d’explication médicale. Mais je suis sans doute un pisse froid. C’est bien mieux comme ça, pourquoi perdre du temps à expliquer, c’est autant d’images chocs en moins ? De tout façon, probablement que le publique est trop bête pour comprendre : du pain et des jeux, c’est tout ce qu’il lui faut. Ce pourrait même être contre productif puisque lorsque l’on fait une émission pour faire peur (sur les fous) on risque d’affaiblir son propos en faisant disparaître l’inconnu (les fous devenant des malades).
On ne se refait pas, et j’ai décidé de lever un peu le voile sur une pathologie aussi effrayante que mal connue : la schizophrénie.
L’émission parle plusieurs fois de délires « très très aiguës ». Mais alors vraiment aiguë, quoi.
Pour lever l’ambiguïté, aiguë ne veut pas dire grave, mais « d’évolution récente » par opposition au délire chronique qui évolue depuis plus de 6 mois.
La schizophrénie est une psychose, cet à dire un ensemble de troubles mentaux caractérisés par une altération du sens de la réalité. Le symptôme commun le plus représentatif des psychoses est le délire, qui se caractérise par la présence d’idée en désaccord avec les faits objectivables
Le délire est un symptôme présent dans d’autres pathologies que la psychose, cependant.
Ce genre de chose peu également cause un syndrome délirant.
Et on notera d’autre part, que même si c’est le symptôme le plus impressionnant de la schizophrénie, il répond plutôt bien au traitement et au final ce n’est pas ce qui altère le plus la qualité de vie des patients atteints de schizophrénie
Tous les pouces sont des doigts, mais tous les doigts ne sont pas des pouces. C’est le même principe pour les délires.
La schizophrénie a été décrite pour la première fois par le psychiatre Suisse Eugen Bleuler en 1911 dont la sœur en souffrait. En particulier il a isolé le symptôme central de la schizophrénie : la dissociation mentale d’où l’utilisation du terme grec « schizo », la coupure.
Parmi ces psychoses chroniques, en gros, il y a la schizophrénie et il y a les autres (c’est pas fin comme classification, mais c’est la classification française). Ce sont toutes des maladies chroniques, relevant d’un traitement à vie et elles sont donc prises en charge à 100% par la sécurité sociale.
On sépare schématiquement ces trois entités mais elles sont en réalités interconnectés…
C’est la dissociation qui donne son caractère paranoïde au délire. Alors que l’association dissociation comportemento-affective et délire entraîne le repli.
Donc, qu’est ce qui se passe dans leur tête ?
La dissociation mentale
Le point le plus marquant de la schizophrénie est le syndrome dissociatif. Il s’agit d’une rupture de la cohésion de la pensée et de l’homogénéité de l’esprit. Les différents processus intellectuels, affectifs et comportementaux se disloquent et ne travaillent plus comme un tout logique.
Toi qui me lis, ton esprit se concentre sur cette tâche. Tu peux faire plusieurs choses en même temps mais ton esprit le fera de façon séquentiel bout par bout, pas tout en même temps. Et tu peux forcer ton esprit à continuer à lire et à se concentrer. D’ailleurs tu trouves ça peut-être joyeux et du coup ça te fais sourire, ou triste et tu fais la gueule. Mais pas les deux, il y a une cohérence.
Hé bien dans la dissociation : non. C’est dur à imaginer, hein ? Et du coup c’est très dur de comprendre la vie, la logique, le rapport au monde du patient schizophrène. Il paraîtra irrémédiablement bizarre, il n’y a pas d’autre mot. On peut avoir un aperçu de ce que cela donne en arrêtant de dormir pendant quelques jours tout en fumant beaucoup de cannabis… Vous associerez clairement moins bien. (Je vous déconseille l’expérience)
Comment ça se traduis en pratique ?
Le patient met en lien des choses qui n’en ont pas. «Il y a eu un accident de voiture parce que j’ai oublié de me brosser les dents » l’utilisation fréquente de proverbes dans des contextes qui ne s’y prête pas. Un langage altéré avec arrêt au cours d’une phrase. Et globalement un discours désorganisé, sans fil conducteur passant du coq à l’âne avec invention de mots. Parfois c’est presque poétique, parfois c’est totalement incompréhensible.
Je n’ai pas de nom, j’ai tous les âges, le fluide éternel qui coule dans mes veines ; de l’or ; je vois ce que… J’ai un troisiœil qui tourne dans mon cerveau. Je sais que vous voulez m’appauvrir, comme les totems qui hurlent : c’est à cause des nuages. Mais vous ne m’aurez pas car je sais me liquéfier.
J’ai un peu modifié une phrase chopée sur wikipedia pour illustrer mon propos. Poétique, non ?
Sur le plan affectif il y a une déconnexion entre le vécu affectif, le contenu de la pensée et les mimiques. Le patient pourra expliquer les pires horreurs du monde, les choses les plus tristes avec un vague sourire ou des moments heureux sans éprouver de joie apparente.
Le délire paranoïde
L’autre grand type de délire est le délire paranoïaque qui est construit et cohérent chez un sujet qui n’a pas l’air délirant. On y croirait presque.
L’adhésion totale au sujet et une pseudo-logique interne peut même faire adhérer d’autres individus au délire.
La dissociation mentale influe beaucoup sur le délire schizophrène qui à les caractéristiques suivant :
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Il est flou et mal structuré : l’interlocuteur ne comprend pas la logique interne du délire qui varie et ne se structure pas autour d’un thème.
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Il est fluctuant, variant beaucoup d’un moment à l’autre.
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Généralement – il y a des exceptions notables – la dissociation empêche une participation affective très importante : l’angoisse n’est absolument pas extériorisée, les pensées morbides ne rendent pas tristes. En revanche, l’adhésion au délire est le plus souvent intense, la dissociation ne laissant pas la possibilité au sujet de critiqué le délire.
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Outre la persécution qui est le plus souvent présente, certains thèmes sont très évocateurs :
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La conviction de pouvoir influencer la pensée des gens (syndrome d’influence)
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La conviction que les événements tournent autour de soi (syndrome de référence) → par exemple, que le présentateur du JT s’adresse au patient.
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Le syndrome de dépersonnalisation-déréalisation : respectivement l’impression que son corps est totalement étranger et que l’environnement extérieur est irréel, et hostile. Ce thème de délire induit une angoisse intense comme vous pouvez l’imaginer.
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Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas vraiment le délire qui conduit certains patients schizophrènes à être dangereux. Certes, ça fait peur à l’entourage. Mais lors du délire le monde extérieur est vécu comme irréel, distant et hostile et le patient s’en coupe en se repliant sur lui même. L’importante dissociation intellectuelle associée empêche d’ailleurs toute planification agressive »efficace ». Dans les cas de schizophrénies paranoïdes (cet à dire avec la symptomatologie délirante prédominante) les personnes sont plus dangereuses pour elle même que pour la communauté.
En revanche – outre une plus mauvaise réponse au traitement – les formes à dissociation prédominante (la schizophrénie hébéphrénique) amène plus volontiers à des comportements hétéro-agressifs. Sans que cela soit systématique, bien sur. J’explique.
Lorsque le syndrome dissociatif prédomine sur les sphères affectives et comportementales le sujet est exposé à une perte de l’empathie, une perte des inhibitions sociales qui peut conduire à une impulsivité, une intolérance à la frustration et des difficultés à anticiper les conséquences de ses actes (et à en tirer les leçons) et donc, in fine à de la violence – cela reste tout de même l’exception même parmi les patients hébéphrènes .
Lorsque c’est le cas, le délire généralement discret, pauvre et extériorisé rend le diagnostic tardif.
Symptômes positifs et négatifs
Enfin, la maladie évolue vers un repli autistique.
Il s’agit d’une abolition progressive des conduites sociales et d’un repli vers son monde intérieur. Le sujet s’isole et perd petit à petit contact avec la réalité et vie en en hermite.
Finalement, qu’est ce qui cause cette maladie ? Hé bien on ne sait pas précisément et comme pour beaucoup de maladies un faisceau de facteurs de risques sont identifiés sans qu’aucun ne soit nécessaire ou suffisant pour que la maladie se déclenche.
Il est certain qu’il existe une vulnérabilité génétique. Dans une certaine mesure, elle est commune à l’ensemble des maladies psychiatriques. Que ce soit syndrome dépressifs, troubles obsessionnels compulsifs et même addictions, il y a des vulnérabilités génétiques communes.
Il est intéressant de voir ce qui se passe chez les vrai jumeaux puisqu’ils ont le même génome. Si un jumeau est atteint de schizophrénie, la probabilité que son frère soit également atteint est de 50%, contre 0,5% dans la population générale. Le facteur génétique est donc présent, mais noté bien que la corrélation n’est pas de 100%.
D’autre part, un lien schizophrénie/autisme a été décrit récemment, ce qui n’est pas illogique au vue de la notion de repli autistique expliquée plus haut.
Le lien génétique-psychiatrie est récent mais il y a déjà de nombreux gênes (souvent impliqués dans le développement cérébral) qui sont candidats pour être impliqués dans le développement de la maladie.
Le lien cannabis-schizophrénie est formellement établis. Dans les années 1970 une grande étude à été établis sur tous les conscripts de l’armée suédoise. Il leur a été demandé de remplir un questionnaire sur leur consommation de canabis. Puis a été vérifié chaque année pendant les 20 suivantes les registres d’admission des hôpitaux psychiatriques de tout le pays pour essayer de trouver une corrélation.
Un lien net à été démontré même pour une consommation minime. Le risque était d’autant plus fort que la quantité inhalée était importante mais aussi avec la précocité du premier tarpé.
Le bédo, ça rend schizo
D’autres facteurs ont montré un lien avec la schizophrénie. Le fait de naître en hiver (peut-être lié à une carence en vitamine D, dont la fabrication est liée à l’ensoleillement dans les première années), les accidents induisant un manque d’oxygénation cérébrale autour de la naissance et les traumatismes crâniens dans l’enfance par exemple.
Pour conclure, la théorie principale est qu’il s’agit d’une anomalie du développement cérébrale liée à de nombreux gênes qui augmente la sensibilité du cerveau aux traumatismes cérébraux subis dans l’enfance (hypoxie, toxiques…). La sommation des facteurs entre eux et dans le temps induisant avec le temps l’apparition de symptômes productifs (le délire, la désorganisation intellectuelle) et déficitaires (dissociation affective et repli autistique). Plus précisément, une quantité trop grande de dopamine (ou une trop grande sensibilité à ce neurotransmetteur activateur) serait présente dans la partie limbique du cerveau et serait responsable des symptômes productifs alors qu’une quantité trop faible en région corticale serait responsable des symptômes déficitaires.
Pour mémoire et en simplifiant, le cortex cérébrale est le siège des activités cognitives alors que le système limbique impliquées dans la mémoire, les émotions et le comportement en générale.
Ces théories sont appuyées par l’observation d’anomalie cérébrale à l’IRM
Un jolis cas de dissociation affective
Et la double personnalité ? Hé bien c’est un fantasme. Le patient schizophrène a déjà suffisamment de difficultés à organiser une seule personnalité, ce n’est pas pour s’encombrer d’une deuxième ! Il s’agit d’une confusion avec les dissociations de l’identité qui se rencontrent – rarement – dans l’hystérie. La névrose n’étant pas notre sujet, voici en gros la différence avec la psychose :
Un psychotique c’est quelqu’un qui croît dur comme fer que 2 et 2 font 5 et qui en est pleinement satisfait. Un névrotique c’est quelqu’un qui sait pertinemment que 2 et 2 font 4, et ça le rend malade.