A propos de Suzanne de Katell Quillévéré
Sara Forestier
Dans les années 1980, dans la région d’Alès (Languedoc-Roussillon), un routier et père de famille (François Damiens) doit élever seul ses deux filles, Maria (Adèle Haenel) et Suzanne (Sara Forestier), après la mort de leur mère. Très proches, les deux sœurs vont le rester même lorsque Suzanne tombera enceinte, des années plus tard. Alors qu’elle a atteint la vingtaine, Suzanne s’entiche d’un mystérieux inconnu (Julien) dont elle tombe folle amoureuse au point de tout lâcher pour lui. Seul hic, Julien vit à Marseille, tout comme Maria. Sans hésiter, Suzanne vient s’installer chez sa sœur, au grand dam de son père et de sa société pour laquelle Suzanne travaillait. Mais ce n’est que le début des galères et des peines, des déceptions et des angoisses pour Maria et son père qui découvrent qu’un jour, Suzanne a disparu. Tout simplement. Sans laisser de trace. Pire, en abandonnant son fils…
Sara Forestier, Adèle Haenel
Saga familiale s’étalant sur vingt-cinq ans, Suzanne est un très beau film, porté par une Sara Forestier d’exception.
Pour ce second long-métrage (après Un poison violent, 2010) qu’elle a coécrit, Katell Quillévéré (née en 1980) dit s’être inspirée de ses lectures et des témoignages de femmes de braqueurs célèbres comme Mesrine. Ce qui l’a frappé dans ces confidences, c’est la force de caractère de ces femmes, le courage et la détermination qu’il leur a fallu pour se sortir des griffes d’un homme qu’elles aimaient mais dont l’emprise sur elles était trop devenue dangereuse et trop aliénante. Une mainmise qu’elles ne mesuraient pas avant le déclic, leur prise de conscience soudaine que seule la fuite (d’où découlera un sentiment injustifié mais légitime et inévitable de culpabilité et de trahison) leur permettrait d’en réchapper et d’éviter le sort funeste auquel leur bandit d’amoureux était destiné.
Sara Forestier, Paul Hamy
L’ombre et la lumière. C’est en deux mots ce qu’on pourrait dire du personnage romanesque qu’incarne Sara Forestier. Pendant des années, Suzanne va vivre « à côté de ses pompes », fascinée par un braqueur, subjuguée par une petite frappe du Nord (Julien est joué par un Paul Hamy convaincant) sous le joug duquel elle tombe parce qu’elle est « fraîche » et innocente, naïve voire inconsciente. L’amour pour un homme, à nouveau chez Quillévéré, est ce poison qui tuera à petit feu une jeune femme avant qu’elle ne se réveille brutalement, un peu tard certes mais à temps pour réaliser ses errements, son errance et ses erreurs dans une sorte de rédemption laïque si l’on permet l’oxymore. Prisonnière de sa passion, aveuglée par ses sentiments pour un Julien qui lui cache ses activités mais qu’elle va suivre mystérieusement, Suzanne ne voit pas qu’elle dérive, qu’elle s’enfonce, qu’elle passe à côté de sa vie, du moins de sa jeunesse. Elle n’écoutera rien (sinon la voix de son cœur) ni personne, pas même sa sœur qu’elle aime pourtant plus que tout.
Adèle Haenel
Pour décrire cette descente aux enfers et décrire la spirale des échecs de Suzanne, l’impasse dans laquelle elle aboutit, Katell Quillévéré peut compter sur une Sara Forestier au firmament et qui n’aura, de mémoire en tout cas, jamais atteint une telle intensité dramatique dans son jeu. L’actrice, née en 1986, parvient à incarner avec une sensibilité et une force inouïes non pas la noirceur du personnage (Suzanne n’a rien de méchant) mais l’obscurité dans laquelle elle pénètre, la pénombre intérieure dont elle atterrit, prisonnière de sa passion et de son dévouement (sa dévotion même) à l’homme qu’elle aime. C’est particulièrement visible dans la partie de sa vie et ces scènes où Suzanne a écopé (injustement) à elle seule d’une peine de prison alors que Julien est en fuite. Malgré le soutien de sa sœur, le personnage de Suzanne semble alors si détruit, si ravagé intérieurement qu’elle fait redouter le pire au spectateur. Les traits tirés, mutique, fataliste, Suzanne n’a alors plus goût à rien. Pire, elle est toujours amoureuse de Julien. Mais son visage semble avoir pris trente ans d’un coup. Suzanne est alors « au fond du trou », au fond d’une caverne dans laquelle elle restera terrée de nombreuses années avant de retrouver l’espoir, l’espoir et la lumière, en un mot la vie, par le biais paradoxalement d’une nouvelle tragique .
François Damiens
On parle de Forestier mais il ne faudrait pas oublier François Damiens. Les répercussions que la ruine et la chute sans fin de Suzanne entraînent chez ce père ivre d’inquiétude et de douleur, sont jouées avec d’infinies nuances par l’acteur belge qui confirme l’étendue de son talent et sa capacité à incarner avec brio des rôles dramatiques. Damiens est si incroyable de justesse et d’émotion qu’on regretterait presque de ne pas le voir plus souvent dans des rôles dramatiques, lui qui est pourtant si comique d’ordinaire.
Pouvant s’appuyer sur de tels acteurs, Katell Quillévéré privilégie l’ellipse pour narrer cette saga familiale et dresser le portrait de cette femme de caractère et de courage. Tout en impressions, la mise en scène de la jeune Bretonne est subtile, procédant par touches délicates, ce qui n’enlève rien à son sens de l’observation ni à son acuité visuelle. Au contraire, la réaliation n’en fait que mieux ressortir le jeu éminemment profond de ses acteurs et d’une Sara Forestier dont la prestation fera date…
http://www.youtube.com/watch?v=yx76MvFMXi8
Film français de Katell Quillévéré avec Sara Forestier, François Damiens, Adèle Haenel, Paul Hamy (01 h 34)
Scénario de Katell Quillévéré et Mariette Désert :
Mise en scène :
Acteurs :
Compositions de Verity Susman :