Saisie d'une question préjudicielle par le Conseil d'Etat, la Cour de justice de l'Union européenne vient de se prononcer sur le régime juridique du dispositif d'obligation d'achat. L'arrêt peut être consulté ici et le communiqué de presse ici.
Le communiqué de presse du Syndicat des énergies renouvelables peut être consulté ici.
Rappel des faits et de la procédure
Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat, soit la plus Haute juridiction administrative française, avait été saisi d’un recours, introduit notamment par l’association Vent de colère, tendant à l’annulation de l’arrêté du 17 novembre 2008, complété par l’arrêté du 23 décembre 2008, et fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent.
Lors d'une première audience, le Rapporteur public - chargé de proposer une solution à la formation de jugement - avait conclut à l'illégalité des arrêtés tarifaires du 17 novembre et 23 décembre 2008 et à leur annulation rétroactive.
L'arrêt du Conseil d'Etat du 15 mai 2012
Par arrêt rendu le 15 mai 2012, le Conseil d’Etat a décidé de surseoir à statuer sur ce recours, le temps que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle suivante :
« Compte tenu du changement de nature du mode de financement de la compensation intégrale des surcoûts imposés à Electricité de France et aux distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, à raison de l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent à un prix supérieur au prix de marché de cette électricité, résultant de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, ce mécanisme doit-il désormais être regardé comme une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat au sens et pour l’application des stipulations de l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne ? »
La Cour de justice de l’Union européenne n’a pas été saisie du point de savoir si, globalement, le mécanisme de financement de l’obligation d’achat d’électricité éolienne constitue ou non une aide d’Etat. NB : la Cour n’était pas saisie d’une question portant sur les quatre conditions de qualification de l’aide d’Etat.
En réalité, comme le rappelle justement l’Avocat général, la Cour n’a été saisie que d’une demande d’avis sur l’une des quatre conditions à remplir pour qu’un mécanisme de financement puisse être qualifié d’aide d’Etat. En effet pour qu’une « mesure nationale » relève de la qualification d’«aide d’État» au sens de l’article 107, paragraphe 1 du Traité cela suppose : 1. une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ; 2. que cette intervention soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres ; 3. qu’elle accorde un avantage à son bénéficiaire ; 4. qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence.
Le Conseil d’Etat n’a pas interrogé la Cour sur la réalisation de ces quatre conditions mais sur la première uniquement : « ce mécanisme doit-il désormais être regardé comme une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat ?». Le Conseil d’Etat s’est donc réservé de procéder à sa propre interprétation des trois autres conditions de qualification de l’aide d’Etat.
Ce qu'il a fait immédiatement puisque sa décision du 15 mai 2012 précise :
« Quant aux critères de l’octroi d’un avantage, de l’affectation des échanges entre Etats membres et de l’incidence sur la concurrence :
« Considérant que l’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché accorde un avantage aux producteurs de cette électricité ; qu’eu égard à la libéralisation du secteur de l’électricité au niveau de l’Union européenne, cet avantage est susceptible d’affecter les échanges entre Etats membres et d’avoir une incidence sur la concurrence »
Les conclusions de l'Avocat général du 11 juillet 2013
Sur cette question très précise posée par le Conseil d'Etat, l’Avocat général prés la Cour de justice a répondu ainsi :
« Un mécanisme de financement de l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent, qui repose sur une taxe prélevée sur tous les consommateurs finals d’électricité sur le territoire national, tel que celui résultant de la loi n° 2000‑108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, telle que modifiée, relève de la notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. »
En clair, l’Avocat général a considéré que la première des quatre conditions de la qualification d’aide d’Etat est remplie : le mécanisme français de l’obligation d’achat éolienne relève de la « notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ».
A noter : l'Avocat général s'était prononcé sur la question de la récupération éventuelle de l’aide d’Etat illégale, notamment. Et ce d’autant plus que l’Avocat général a proposé à la Cour de rejeter la demande de limitation dans le temps des effets de son arrêt. Celle aussi de la possibilité de pérenniser le mécanisme actuel. On notera en effet cette position de l’Avocat général :
« 51. Tout en admettant que, physiquement, l’énergie provenant de sources différentes se fond dans le réseau de distribution, je relève que, dans le cadre du mécanisme en cause au principal, les fournisseurs n’ont pas la possibilité de différencier les tarifs entre les différentes catégories de consommateurs et que les consommateurs sont privés de la possibilité d’opter pour ou contre l’achat d’énergie renouvelable. Or, les règles applicables dans le marché intérieur libéralisé de l’électricité visent à offrir aux consommateurs un choix réel à des prix équitables et concurrentiels, à stimuler la production d’énergie propre et à renforcer la sécurité de l’approvisionnement. En effet, l’objectif de la divulgation des informations sur les sources d’énergie pour la production d’électricité était déjà souligné dans la directive 2003/54 ».
L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 décembre 2013
A la lecture de cet arrêt, deux points sont à analyser.
En premier lieu, sur le point de savoir si le dispositif français de l'obligation d'achat doit être regardé comme une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat , l'arrêt précise
"Partant, l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un mécanisme de compensation intégrale des surcoûts imposés à des entreprises en raison d’une obligation d’achat de l’électricité d’origine éolienne à un prix supérieur à celui du marché dont le financement est supporté par tous les consommateurs finals de l’électricité sur le territoire national, tel que celui résultant de la loi n° 2000-108, constitue une intervention au moyen de ressources d’État."
Ainsi, à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 mai 2012 et de la Cour de justice du 19 décembre 2013, tous les critères sont réunis pour conclure que le dispositif français de l'obligation d'achat d'électricité éolienne relève du régime juridique de l'aide d'Etat.
En deuxième, s'agissant de la limitation des effets dans le temps de l'arrêt de la CJUE, l'arrêt rendu ce 19 décembre 2013 précise :
"Dans ces conditions, il n’existe dans la présente affaire aucun élément de nature à justifier une dérogation au principe selon lequel les effets d’un arrêt d’interprétation remontent à la date de l’entrée en vigueur de la règle interprétée (voir arrêt du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime, C-197/94 et C-252/94, Rec. p. I-505, point 49 et jurisprudence citée).
44 Partant, il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt".
Ce qui revient à dire, en pratique, que l'Etat français aurait dû, en 2008, respecter la procédure relative aux aides d'Etat.
L'arrêt à venir du Conseil d'Etat
A la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, le Conseil d’Etat devra se prononcer définitivement dans un délai de deux à trois mois sans doute.
Il appartient désormais au Conseil d’Etat de se prononcer définitivement, par arrêt, d’une part sur la satisfaction des quatre conditions de la qualification d’aide d’Etat, d’autre part sur les conditions d’application dans le temps de sa décision, notamment aux contrats d’achat déjà signés.
Il semble donc probable que le Conseil d’Etat retienne la qualification d’aide d’Etat. Mais il faudra attendre encore plusieurs mois pour le savoir.
Dans les prochaines semaines, l’Etat français a plusieurs « possibilités ». En premier lieu, il peut souhaiter maintenir son argumentaire devant le Conseil d’Etat, continuer à défendre la thèse de l’absence d’aide d’Etat et attendre l’arrêt du Conseil d’Etat. En second lieu, il peut anticiper une annulation de son arrêté tarifaire de 2008. En troisième lieu, il peut réfléchir à une solution alternative au mécanisme actuel de financement de l’obligation d’achat. Cette dernière hypothèse n’est pas tout à fait théorique.
Quel sera le sort des contrats d'achats conclus depuis 2008 ?
Les titulaires de contrats d'achat conclus sur le fondement des arrêtés tarifaires de 2008 sont légitimement inquiets. Notons cependant qu'à plusieurs reprises, le Ministère de l'écologie a indiqué que ces contrats ne seraient pas remis en cause.
Il convient de distinguer deux risques pour les contrats d'achat d'ores et déjà signés: le risque lié à l'annulation rétroactive des arrêtés de 2008, le risque lié à l'obligation éventuelle, pour l'Etat français, de récupérer les sommes versées. Sur le deuxième point, il est délicat de se prononcer dés à présent et d'anticiper l'analyse qui pourrait être celle de la Commission européenne.
Sur le premier point, le Conseil d'Etat pourrait, s'il suit les conclusions de son rapporteur public prononcées en 2012, annuler rétroactivement les arrêtés tarifaires de 2008. Concrètement, cela signifierait que ces deux textes disparaissent de l'ordonnancement juridique et sont présumés n'avoir jamais existé. Attention : le Conseil d'Etat n'est saisi que d'un recours contre ces arrêtés et non pas de la question de savoir quelles seront les conséquences d'une annulation pour le maintien des contrats d'achat. Il appartiendra à l'Etat de tirer les conséquences qu'il juge utile de l'arrêt à venir du Conseil d'Etat, pour les contrats d'achat. Ce qu'il a déjà fait, rappelons-le en précisant par voie de presse que lesdits contrats d'achats seraient maintenus.
Peut-on signer encore des contrats d'achat ?
A l'heure où ces lignes sont écrites, les arrêtés tarifaires de 2008 n'ont pas été annulés et le recours en cours d'instruction n'est pas suspensif. Rien n'interdit donc, au seul motif de ce recours, que des contrats d'achat soient signés.
La question se posera lorsque le Conseil d'Etat rendra son arrêt et s'il annule rétroactivement les arrêtés tarifaires précités.
En conclusion, l'urgence est que le Gouvernement puisse trés rapidement rassurer la filière en indiquant