Presque Reine, illustration d'Alessandra Fusi (page 29)
L'année qui galope vers sa fin ouvre, dit-on, une période propice aux rêves et c'est bien de ceci dont il sera question dans cette chronique qui tranche un peu par rapport aux sujets habituellement évoqués sur ce blog. Je ne verserai pas, comme vous pouvez l'imaginer, dans l'abrutissement béat qui moutonne de rayons de supermarchés en boutiques enguirlandés ; le rêve dont il s'agit est d'amour, celui qui unit deux jeunes gens dans la France de 1658.
Si l'on écrit toujours des contes à l'attention du jeune public, il est relativement rare qu'ils se fondent sur un argument historique et encore plus qu'ils fassent de la musique, d'époque qui plus est, un acteur à part entière de l'action. Ce pari est celui que fait Presque Reine, un récit qui ressuscite pour nous la brève et flamboyante passion qu'entretinrent le jeune Louis XIV et la nièce du cardinal Mazarin, Marie Mancini, alors qu'ils avaient tous les deux vingt ans. Tous les ingrédients d'un conte de fées sont réunis : il est un jeune monarque soucieux de plaire et possédant les atouts de ses conquêtes, elle est une fille mal-aimée promise au couvent qui, par sa culture et la sincérité de ses larmes lorsque, après le siège de Dunkerque, la santé du roi est en péril, parvient à retenir son attention et à le séduire. Après quelques mois étincelants, la raison d'état viendra souffler les bougies de la fête. On choisira l'infante Marie-Thérèse d'Autriche pour épouse de Louis, Marie sera sommée d'aller cacher ses pleurs à Brouage et le rideau tombera définitivement sur celle qui, si une telle union n'avait pas constitué une mésalliance criante, aurait peut-être été reine. Restent les vers de la Bérénice de Racine, dont quelques-uns jalonnent le conte, dont ce « Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez ! » qui dit avec tant de cruelle justesse l'impuissance du jeune roi à changer la trajectoire d'un destin personnel que ceux qui décident de l'intérêt supérieur de son royaume façonnent à sa place.
Presque Reine fut d'abord, sous un autre nom, un spectacle porté par une classe à projet artistique de CM1 avant devenir le conte musical qui nous est offert aujourd'hui. Son principal maître d’œuvre, le guitariste et théorbiste Damien Pouvreau dirige non seulement la partie musicale, mais il est également l'auteur du texte, qui se signale un excellent équilibre entre les exigences de la narration et celles de l'information nécessaire à la compréhension de l'histoire. Cette dernière se déroule de façon fluide, avec des moments de tension et de détente agencés avec intelligence et, surtout, une volonté de ne jamais donner ni dans la mièvrerie, ni dans la facilité ; à ce titre, le propos éducatif qui sous-tend le récit atteint son but sans jamais être appuyé ou pesant, se conformant à la volonté de La Fontaine pour lequel instruire et plaire étaient indissolublement liés. Contemporaines de facture tout en parvenant à saisir quelque chose de l'esprit du XVIIe siècle, les illustrations d'Alessandra Fusi sont à la fois sobres et raffinées. Elles dégagent une belle poésie qui entre parfaitement en résonance avec le texte et les musiques.
Pour interpréter ces derniers, on a fait appel à une équipe de grand talent. Du côté des rôles parlés, c'est à Didier Sandre, dont on se souvient de l'incarnation magistrale de Louis XIV dans L'Allée du roi, que revient de faire vivre l'essentiel du conte, ce dont il s'acquitte avec un naturel confondant, apportant à chaque épisode le ton et la densité qui conviennent, tandis que Lorànt Deutsch campe un roi dont la juvénilité ne masque pas la haute opinion qu'il a déjà de lui-même, et que Delphine Goasguen traduit avec justesse les deux mères, l'inflexible madame Mancini et l'attendrie Anne d'Autriche. Véritable cœur du récit, Isabelle Druet est Marie Mancini dont elle brosse, par la parole et par le chant, un portrait crédible et touchant, ne laissant rien ignorer des ambivalences d'une âme passionnée et complexe. Ceux qui suivent la carrière de la mezzo connaissent son goût et ses dons pour le théâtre ; ils trouvent ici à s'exprimer avec bonheur, et l'exigence d'expressivité dont elle fait preuve est toujours bienvenue car dosée avec un art consommé de la nuance. Le ténor Olivier Fichet est, lui, la voix chantée de Louis XIV ; chacune de ses intervenions est d'un goût parfait. Saluons, pour terminer, la prestation des Enfants de la Cour qui se révèle un ensemble très soudé et offre aux pièces instrumentales beaucoup de fluidité et de très belles couleurs.
Projet original et ambitieux qui sait, entre autres qualités, demeurer accessible au public auquel il s'adresse, Presque Reine est un conte dont je gage qu'il pourra séduire aussi bien les enfants que leurs parents. Produite avec un soin qui honore ceux qui y ont participé, cette réalisation pleine de sensibilité et d'intelligence peut être un excellent vecteur de curiosité tant pour l'histoire que pour la musique. On espère donc que cette initiative ne restera pas sans lendemain et que les amours de Louis et Marie trouveront, en cette fin d'année, bien des foyers et des rêves pour leur faire bon accueil.
Presque Reine, le premier amour de Louis XIV, conte musical de Damien Pouvreau
Alessandra Fusi, illustrations
Voix parlées :
Didier Sandre : narrateur & cardinal Mazarin
Lorànt Deutsch : Louis XIV
Delphine Goasguen : Anne d'Autriche & Madame Mancini
Voix chantées :
Isabelle Druet, mezzo-soprano : Marie Mancini (et voix parlée)
Olivier Fichet, ténor : Louis XIV
Les Enfants de la Cour
Damien Pouvreau, théorbe, guitare baroque & direction
1 livre-disque [68 pages, 52'21"] aux Éditions Éveil et découvertes, ISBN : 978-2-35366-155-8, qui peut être acheté chez votre libraire ou sur le site de l'éditeur en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Ballet royal d'Alcidiane : Ouverture
2. « Il y avait, dans le temps, un très jeune roi... » (récitant)
3. Marin Marais (1656-1728), Pièces de viole du Troisième Livre : Muzette
4. « Je m'agite, je cours, languissante, abattue » (Marie, Louis, récitant)
5. « Anne d'Autriche, ébranlée par la douleur... » (récitant, Marie)
6. Christophe Ballard (éditeur, 1641-1715), Brunettes ou petits airs tendres : J'avais cru qu'en vous aimant
Illustrations complémentaires :
La photographie des Enfants de la Cour est de Sylvain Sartre, utilisée avec autorisation.
Je remercie les éditions Éveil et découvertes de m'avoir permis d'utiliser les images des pages 29 et 48 de l'ouvrage.