Coup de projecteur sur la Mecque de la contrefaçon sorti en Juin 2013 dans LCM#7.
Au sud est de la Chine continentale, à un souffle de Taïwan, existe une ville qui regroupe tellement d’usines de chaussures qu’elle a été renommée « sneaker city ».
La muraille du vice
À la fin des années 1980, l’abondance de main-d’oeuvre et de terrains bon marché ont vu les établissements pousser comme des champignons dans la ville de Putian attirant au passage toutes les compagnies basées à Taiwan. Après avoir fait leurs armes dans ces centres de production, les ouvriers les plus entreprennants ouvrent leurs propres ateliers, à la différence près qu’ils concentrent leur expertise sur le business du faux. Ce système rôdé a fait de Putian la capitale mondiale de la contrefaçon en une décennie. Sans grosse mise de départ, le budget espionnage se cantonnait à quelques billets glissés à d’anciens collègues pour qu’ils jettent les sneakers à copier ou les patrons par-dessus la muraille de l’usine. Les modèles “bicrav’” arrivaient alors sur les étalages avant les originaux.
Une machine de guerre
Aujourd’hui, l’économie pas si parallèle que cela emploie 200 000 ouvriers, amasse un CA de 200 millions yuan (25 millions €) par jour et réquisitionne 40% du parc immobilier. Le renforcement des mesures de sécurité, n’a rien bouleversé. Il suffit aux rois de l’imitation de se procurer l’originale en magasin, la disséquer puis de l’envoyer aux chaînes de production. Certains ouvriers sont si habiles qu’ils peuvent travailler à la simple vue d’une pub sur papier glacé. Putian se pose incontestablement comme le seigneur du clonage dans la hiérarchie du petit monde de la contrefaçon : un savant fou, un génie qui copie les yeux fermes.
Un phénomène global
Selon les statistiques, 3 paires sur 10 seraient des contrefaçons fabriquées à Putian. Nike étant de loin la marque la plus plagiée avec 1 clone pour 2 originales dans les magasins. La politique du Swoosh de ne réserver qu’un 10ème de sa production au marché chinois malgré la forte demande a accéléré le mouvement, le prix de vente 8 fois inférieur aux vraies l’a pérénisé.
Cela serait réducteur de croire que les ateliers de Putian ne s’attaquent qu’aux world companies, les marques de sneakers chinoises sont aussi touchées par le phénomène. Il existe une autre ville de Sneakers en Chine. Jinjiang, située dans la même province, est le foyer d’une vingtaine de marques domestiques sorties de terre dans les 90s avec comme porte-drapeau Anta, Xtep ou 361 Degrees.
Ce qui différencie les 2 villes est le degré d’innovation. Là où Putian joue au mouton en imitant sans vergogne, Jinjiang développe ses propres produits.
Mais que fait la police?
En Empire du milieu, les autorités compétentes en matière de propriété intellectuelle et de protection des marques semblent faire un distinguo entre la simple contrefaçon (réprimée par la loi) et le « shanzhai », un genre de clonage dont on peut tirer fierté car il met en exergue la créativité culturelle dont fait preuve le peuple chinois. Concrètement les shanzhai iPhones et les shanzhai Porsches valorisent le savoir faire national. Officieusement, le shanzhai sert de formation grandeur nature. Ainsi, les lois interdisent la contrefaçon mais le but non avoué du laxisme est d’acquérir les compétences qui permettront de créer un poids lourds du marché…légal.
Comme l’a dit un vendeur à notre confrère du New York Times: “les chaussures sont vraies, c’est juste la marque qui est fausse!”
C -3PO
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