André Dorais
Avant la crise économique de 2008, l’inflation monétaire
avait pour source principale les banques commerciales. Il s'agissait donc d'une inflation monétaire
par l'entremise du crédit. Celle-ci est
possible grâce à une réglementation qui permet aux banques de prêter plus
d’argent qu’elles en ont d'enregistré.
Les livres comptables sont ajustés après coup.
Depuis cette crise et jusqu'au début de 2010, l’offre de crédit a
été en baisse pour ensuite reprendre une direction à la hausse et se retrouver,
aujourd'hui, approximativement au même niveau que le sommet atteint en
2008. Malgré cette baisse l'inflation
monétaire s'est poursuivie de plus belle grâce aux injections monétaires de la
Fed (banque centrale américaine).
La Fed se sert de ce nouvel argent pour acheter, auprès des banques
membres, des obligations gouvernementales et des titres adossés à des
créances hypothécaires. Les écritures
comptables relatives à ces transactions sont les suivantes: pour la Fed,
l'argent nouvellement créé constitue un passif, tandis que les titres obtenus
en échange de ce nouvel argent constituent un actif; pour les banques
commerciales membres du système on pourrait penser qu'il s'agit d'un simple
échange d'actif, à savoir l'obtention d'argent liquide contre des titres à
revenu, ce qui n'est pas faux, mais il y a plus.
Ce nouvel argent est aussi inscrit du côté des passifs des
banques, plus précisément comme dépôt à vue et contrebalancé par un nouvel
actif. Il est donc considéré comme étant
de l'épargne malgré que la Fed, au contraire des vrais épargnants, n'a rien à
sacrifier pour l'obtenir. Dans le but de
sauver les apparences, cette fausse épargne obtenue de la Fed est également
considérée comme un actif, mais un actif de couverture, ou d'assurance. Évidemment, celui-ci ne joue pas le même rôle
que l'or autrefois puisqu'on peut le multiplier à volonté. Néanmoins, il se présente comme tel.
L'argent provenant de la Fed est donc considéré, par les
banques commerciales, à la fois comme un actif et un passif, mais non au même
endroit. À titre d'actif, on le retrouve
uniquement dans la définition de la «base monétaire», soit l'argent ayant pour
source la Fed, mais comme passif on le retrouve dans les autres définitions de
la «masse monétaire», soit l'argent provenant à la fois de la Fed et des
banques commerciales. La base monétaire
se compose essentiellement des pièces, billets et des réserves bancaires,
tandis que la masse monétaire, selon l'école autrichienne, se compose des
pièces, billets et de l'argent déposé dans les comptes chèques et les comptes
d'épargne.
Les réserves: requises et excédentaires
L'actif de couverture ou d'assurance porte un nom, celui de
«réserve». On l'utilise au singulier ou
au pluriel selon le contexte. Les
réserves se subdivisent en deux catégories, requises et excédentaires, mais les
deux ont le même rôle, soit d'assurer une partie de l'argent comptabilisé dans
la masse monétaire. Je dis «une partie»,
car ce ne sont pas tous les comptes bancaires qui sont assujettis à une
couverture ou à un minimum de réserves.
Les réserves requises sont les réserves minimales exigées par les autorités. Pour leur part, les réserves excédentaires ne
constituent pas la différence entre le montant assujetti à un taux de
couverture et les réserves requises, mais plutôt le montant de couverture qui
dépasse les réserves minimales.
Par exemple, si 100 000 $ sont déposés dans les divers
comptes bancaires aux États-Unis, il se peut qu'uniquement 20 000 $ soient
assujettis au seuil minimum de couverture.
Si le taux de couverture minimale est de 10 %, alors les réserves
requises sont de 2 000 $. Si les banques
commerciales détiennent 10 000 $ de réserve, alors les réserves excédentaires
sont de 8 000 $.
L’argent comptabilisé à titre de réserve, d’actif de
couverture ou d’assurance ne constitue pas une provision, un fonds ou un trésor
dans lequel les banques puisent au besoin.
En ce sens, le terme est trompeur, car il ne renvoie pas à l'usage
populaire. Les réserves dont il est ici
question ne sont pas comptabilisées dans la masse monétaire. Elles constituent plutôt un double quasi
virtuel qui se présente comme une assurance, mais qui n'assure rien
puisqu'elles sont reproductibles à volonté.
Je dis «quasi virtuel», car elles n'ont pas d'impact direct sur les
épargnants.
Le terme est d'autant plus trompeur que même les tenants de
l'école autrichienne d'économie y font peu attention. En effet, lorsqu'ils parlent du système à
«réserves fractionnaires», ils ne réfèrent pas aux réserves à titre de
couverture, mais au mécanisme qui permet aux banques de créer de l'inflation
monétaire. Celle-ci est comptabilisée
dans la masse monétaire, mais pas les réserves à titre de couverture. Pour éviter les malentendus il serait
judicieux d'utiliser une expression qui porte moins à confusion. Considérant que l'expression «multiplicateur
d'argent» renvoie au même phénomène que celui décrit par l'expression «réserves
fractionnaires», elle constitue une bonne alternative.
Les réserves de fausse assurance ne font que remplacer les
retraits des comptes chèques et des comptes d'épargne. Pour saisir ce processus on peut le décomposer
en deux, soit d'après les perspectives de la banque et de son client. L'individu qui retire de l'argent de son
compte obtient des billets, voire un chèque certifié. C'est-à-dire qu'il remplace une monnaie
scripturale (ou électronique) pour des billets, ce qui n'affecte pas la masse
monétaire. S'il s'agit d'un retrait
important et que la banque n'a pas l'argent liquide sur place, alors non
seulement elle débite le compte du client, mais elle doit convertir des
réserves en billets. Cependant, même
dans ce cas la masse monétaire n'est pas affectée, car les réserves n'y sont
pas comptabilisées.
Les banques n'ont pas le droit de prêter leurs réserves au
grand public, mais uniquement à d'autres banques. À l'exception de ce pouvoir les banques ne contrôlent
pas leurs réserves. De même, les
épargnants qui retirent leur argent de leurs comptes ont bien un certain
contrôle des réserves, mais il est marginal à comparer celui de la Fed. Il s'ensuit que le contrôle des réserves
relève essentiellement de la Fed.
Lorsque les banques prêtent plus d'argent qu'elles en ont
d'enregistré, soit lorsqu'elles créent de l'inflation monétaire, les réserves
totales ne sont pas affectées, seule l'est leur répartition. On reprend l'exemple précédent en y ajoutant
quelques données. Données précédentes:
100 000 $ sont déposés dans divers comptes bancaires; 20 000 $ sont assujettis
au seuil minimum de couverture; il y a 10 000 $ de réserve; le taux de
couverture minimale est de 10 %.
Nouvelles données: 50 000 $ de prêts sont émis par les banques, mais de
ce montant uniquement 20 000 $ aboutissent dans des comptes assujettis au taux
minimum de couverture. D'après les
nouvelles données qu'advient-il des réserves requises, des réserves
excédentaires et des réserves totales?
D'abord, les réserves totales demeurent inchangées à 10 000
$, car elles ne sont pas affectées par le volume de prêt effectué par les
banques. Les réserves sont sous le
contrôle de la Fed. Il s'ensuit que
seule la répartition entre les réserves requises et les réserves excédentaires
change. Les premières se retrouvent avec
2 000 $ de plus pour un total de 4 000$, tandis que les secondes se retrouvent
avec 2 000 $ de moins pour un total de 6 000 $.
De ces constats on doit faire attention pour tirer les
bonnes conclusions. Par exemple, ce
n'est pas parce que les réserves excédentaires n'ont jamais été aussi élevées
qu'aujourd'hui que les banques s'apprêtent à prêter et à investir plus
d'argent. Si elles peuvent prêter
beaucoup d'argent, aujourd'hui comme demain, c'est d'abord parce qu'elles en
reçoivent beaucoup sous forme d'«épargne» de la part de la Fed, mais aussi
parce que les gouvernements leur octroient le pouvoir d'en créer. Cette double source d'inflation monétaire est
attribuable à la nature même de la monnaie.
Plus celle-ci est reproductible par l'entremise de jeux comptables, plus
elle risque de perdre son pouvoir d'achat, par conséquent moins elle est
fiable.
Une autre conclusion à ne pas tirer des constats précédents
est de prétendre
que le multiplicateur d'argent soit un mythe parce que les montants prêtés
par les banques ne correspondent pas aux réserves inscrites aux livres. Le raisonnement erroné est le suivant: on
pense généralement que les prêts augmentent proportionnellement à la quantité
de réserves puisqu'on tend à définir celles-ci comme étant des provisions. Toutefois, sachant que les réserves ne sont
pas des provisions, on devrait réaliser que les prêts peuvent augmenter dans un
contexte où les réserves sont en baisses et, à l'inverse, qu'ils peuvent
diminuer en même temps que les réserves sont en hausse.
De ces probabilités il ne s'ensuit pas que ledit
multiplicateur soit un mythe, car il ne dépend pas des réserves
comptabilisées, mais de la législation relative à la comptabilité
bancaire. En d'autres mots, qu'il n'y
ait pas de relation entre les prêts effectués par les banques et les montants
détenus à titre de réserve est une chose, que le multiplicateur d'argent soit
inopérant en est une autre.
Une troisième conclusion à ne pas tirer des constats
précédents est de penser qu'un changement fondamental est survenu depuis que la
Fed paie de l'intérêt sur les réserves bancaires. Il s'agit bien sûr d'un changement important,
mais qui annule en partie cet autre changement important, à savoir la
prédominance de la Fed comme source de l'inflation monétaire.
Lors de la dernière crise économique la Fed craignait, avec
raison, que les banques réduisent le crédit et conséquemment l'inflation
monétaire. Elle a donc décidé de les
remplacer à titre de principal agent inflationniste. À ce titre, la Fed crée de la nouvelle
monnaie, ainsi qu'un montant équivalent de monnaie de couverture. Grâce à ce formidable pouvoir elle achète des
obligations gouvernementales et diverses créances adossées à des actifs, ce qui
entraîne une hausse de leurs prix et une baisse des taux d'intérêt, y compris
celui des fonds fédéraux. Le contraire
est aussi vrai, soit lorsque la Fed vend des obligations leurs prix tendent à
baisser et leurs taux, à augmenter.
Ainsi, si la Fed avait pris l'initiative de s'imposer comme
principal agent inflationniste sans payer les banques pour «leur» monnaie de
couverture, ou leur réserve, elle se retrouverait coincée à maintenir bas le
taux des fonds fédéraux. En effet, à
trop l'augmenter, c'est-à-dire à trop vendre d'obligations de son bilan, elle
risquerait un effondrement des marchés, voire une baisse de la masse monétaire,
ce que la Fed craint au plus haut point.
Par contre, en payant les banques un taux d’intérêt équivalent au taux
des fonds fédéraux elle s'assure de pouvoir l'augmenter sans faire plonger les
marchés, du
moins c'est ce qu'elle pense.
Par ce processus, les banques ne sont pas incitées à prêter
leurs réserves à leurs comparses, car elles n'en tirent pas de profit. Elles tirent bien sûr un profit de l'intérêt
que la Fed leur donne, mais il s'agit d'une forme de compensation pour les
profits que certaines d'entre elles obtiendraient, en prêtant leur argent de
couverture à d'autres banques, si la Fed ne s'était pas engagée à jouer le rôle
d'inflationniste principal.
Bien que la Fed ait préservé sa capacité d'augmenter le taux
des fonds fédéraux, ce ne signifie pas que tout est beau pour autant, mais uniquement
qu'elle ait préservé son rôle d'inflationniste en chef. C'est en ce sens que je dis qu'il n'y a rien
de fondamentalement nouveau; la Fed est la cheffe inflationniste et l'a
toujours été. Elle laisse généralement
les banques commerciales être les sources principales de l'inflation monétaire,
mais il lui arrive de se réserver ce rôle, comme elle le fait présentement
depuis 2008.
De cette étrange comptabilité on vient de décrire
quelques-unes des conclusions à ne pas tirer, mais quelles sont celles à
déduire? De par la nature actuelle de la
monnaie, les réserves, aussi bien requises qu'excédentaires, constituent une
distraction plus qu'autre chose, du moins pour l'instant car cela pourrait
changer dans l'avenir. En effet, ce
n’est pas le montant ajouté aux réserves qui est important, mais celui ajouté
aux dépôts à vue. L’usage que les
banques peuvent faire des réserves est limité, tandis que l’éventail de ce
qu’elles peuvent effectuer grâce aux dépôts à vue est plus large. Autrement dit, l'argent créé par la Fed qui se
trouve sous forme d'épargne dans les comptes chèques a un impact économique beaucoup
plus grand que son double comptabilisé dans les réserves.
On pourrait penser qu'il n'y ait pas double comptage du fait
que l'argent comptabilisé dans les réserves ne soit pas ajouté à celui
comptabilisé à titre de dépôt à vue dans les comptes chèques, mais ce serait
une erreur. En effet, considérant que
les banques peuvent utiliser ces deux sources d'argent pour en tirer profit, on
doit conclure qu'il y a double comptage.
Certes, le profit qu'elles tirent des réserves en temps normal, soit en
les prêtant à d'autres banques, est bien circonscrit et relativement petit à comparer
celui qu'elles tirent des dépôts à vue, mais il ne demeure pas moins vrai que
cet usage restreint des réserves va à l'encontre du rôle passif qu'elles jouent
à titre d'actif de remplacement ou d'assurance.
C'est le genre de problème auquel on doit s'attendre
lorsqu'on exclut les réserves de la masse monétaire, mais qu'on leur donne
néanmoins un rôle actif à usage restreint.
Certains rétorqueront qu'il n'y a pas de problème, car les réserves sont
inclues dans la définition de la base monétaire qui constitue elle-même une des
nombreuses définitions de la masse monétaire.
C'est vrai, mais dans ce cas on doit reconnaître que la base monétaire
est composée de réserves dont le rôle, à titre d'actif de remplacement ou
d'assurance, est essentiellement passif, et de pièces et de billets dont le
rôle est éminemment actif. Bref, on joue
sur deux tableaux.
C'est le genre de problème auquel on doit s'attendre lorsqu'on
a plus d'une définition de la masse monétaire.
C'est le genre de problème auquel on doit s'attendre lorsqu'on se sert
de la comptabilité non pas pour offrir un juste portrait des ressources, mais
pour mieux contrôler l'économie.