A l’occasion de la réception des All Blacks au mois de novembre, Karim Ben-Ismaïl s’est entretenu avec Steve Hansen. Retrouvez (avec son accord) l’intégralité de ce verbatim, au cas où vous ne l’auriez pas déjà lu :
A 54 ans, le sélectionneur des All Blacks, Steve Hansen, porte un regard avisé sur le rugby en France. Le fruit d’une longue expérience comme joueur, à La Rochelle, de 1987 à 1988, ou sélectionneur, au Pays de Galles (2002-2004), puis en Nouvelle-Zélande (assistant de Graham Henry de 2004 à 2011).
« J’ai toujours regardé la France avec le même œil, quelle que soit l’équipe que j’entrainais. Pour dire vrai, j’ai un immense respect pour le rugby français, que j’adore depuis mon expérience à La Rochelle. Les Bleus affichent de la constance dans certains secteurs : ils excellent dans les tâches ingrates et le jeu d’avants. Leur mêlée et leur touche sont bonnes et ils se débrouillent bien dans les rucks. A l’arrière, quand ils utilisent le ballon à bon escient, ils peuvent aussi se montrer redoutables. Mais l’inconstance française réside dans l’identité de jeu. J’ai du mal à comprendre quel rugby ils souhaitent développer. Un jour c’est tout pour les coups de pied. La fois suivante, ils décident de jouer tous les ballons à la main. Face à la France, on doit s’attendre à tout. Le « French Flair » n’est pas un cliché. Quand les Français se décident vraiment à jouer, ils sont très durs à battre. Vous avez de beaux trois quarts, athlétiques et rapides, qui ont du tempérament, aiment courir et prendre les intervalles balle en main. Plus jeune, je me suis nourri de ce rugby inspiré des Français. Cette capacité à passer d’une situation confinée, même le long de la ligne de touche, à un espace de liberté. Ils avaient la technique pour mettre l’opposant dans le vent. Créer une situation d’attaque à partir de rien. Dans mon esprit, le flair, c’est utiliser le potentiel de ces athlètes pour créer des espaces les uns pour les autres. C’est aussi, désormais, la propension de certains avants, notamment en seconde ligne, à jouer comme des arrières. Même s’ils ne sont pas nombreux à pouvoir le faire à ce poste. C’est une chose sur laquelle nous travaillons très dur avec les All Blacks, car les espaces sont devenus une denrée très rare dans le rugby moderne.
Ce que je ne comprends pas dans le rugby français, c’est pourquoi les clubs continuent d’acheter des joueurs étrangers et de les intégrer dans des équipes à la place de jeunes joueurs du cru. Cela ne peut que nuire au jeu des Bleus. Dans votre championnat, on voit parfois des équipes aligner 60% de joueurs étrangers. Comment développer les habiletés de joueurs français si on ne les fait pas jouer ? Je peux comprendre que vos propriétaires de club veulent remporter des trophées, donc ils achètent des joueurs étrangers. Mais je ne comprends pas pourquoi la Fédération française ne s’assoit pas autour d’une table avec eux pour leur expliquer que l’intérêt commun est de développer vos propres joueurs. En Nouvelle-Zélande, la voie est claire et tracée. Nous avons des joueurs d’ascendance polynésienne qui peuvent choisir de jouer pour la Nouvelle-Zélande ou alors pour les Tonga, les Samoa ou les Fidji. Le fait de vivre en Nouvelle-Zélande les autorise à jouer pour nous. Hormis eux, nous ne recrutons pas d’étrangers. En France, quand je regarde les effectifs de vos équipes de Championnat, une chose me saute aux yeux : qui joue ouvreur dans les clubs ? Invariablement, c’est un étranger. Et c’est la même chose à d’autres postes clés, comme les piliers droit. Vous avez besoin de faire jouer vos gars, de les aguerrir. Parfois, on ne sait pas voir la richesse qu’on a sous les pieds. Pourquoi recruter tant de vieux joueurs étrangers alors que vous avez des jeunes au potentiel magnifique ? Vous ne leur donnez pas leur chance. Du coup, vos jeunes, ils font quoi ? »
Crédits : Verbatim recueilli par Karim Ben-Ismaïl/ L’Equipe Magazine N°1636 novembre 2013/ Photo RadioNZ/ Dessin Lexvnz