Il y a quelque trois mois, j'ai lu une première fois le dernier roman de Jean-Yves Dubath. Mais je ne savais trop qu'en
dire. J'avais l'impression de ne rien comprendre, et pourtant je n'étais pas insensible à la musique et à la magie du style. Alors, j'ai mis mon incompréhension sur le compte de la méconnaissance
du sujet.
Arrivé au terme du livre, j'ai, heureusement, lu la post-face de Pierre-Yves Lador. Il écrit notamment, ce qui me réconforta et m'encouragea à le relire:
"On pourrait dire qu'on n'y comprend rien comme tel héros de conte traversant une forêt enchantée."
Cinq films de Rainer Werner Fassbinder, RWF, plus tard, j'ai relu la nuit dernière La causerie Fassbinder. Je ne prétends pas avoir tout compris, mais je suis entré davantage dans le livre, comme en terrain défriché par les images créées par le réalisateur munichois, qui se rêvait écrivain.
Certes, il est tout à fait possible de lire ce roman sans connaître ne serait-ce qu'un film de Fassbinder. Mais cela suppose d'accepter de se laisser emporter par les mots, de se laisser faire en quelque sorte sans a priori, bref de le lire pour le roman qu'il est.
Car La causerie est un roman avant tout. Un roman singulier puisqu'il se présente sous la forme exclusive de dialogues entre cinq personnes - Axel, Didier, Gabriel, Lucien et Olive -, qui ont connu RWF ou, au moins, ont vu ses films quand ils sont sortis sur grand et petit écrans il y a plus de trente ans maintenant.
Comme Pierre-Yves Lador dans la postface, je n'ai pas fait le compte des interventions des uns et des autres. Il n'est pas besoin de le faire pour discerner que Gabriel est le narrateur, celui qui a connu de près Fassbinder et la ménagerie de ses acteurs et actrices (plus influente sur lui qu'on ne le pense). Comme l'a connu un certain Jean-Yves Dubath...
Ce roman est un hommage critique rendu au cinéaste allemand. Peut-on d'ailleurs sérieusement aimer quelqu'un sans le connaître, c'est-à-dire sans connaître ses qualités, bien sûr, mais également ses défauts? L'auteur ne tombe donc pas pour autant dans l'hagiographie. Ainsi Gabriel dit-il, à un moment:
"Je croyais profondément qu'il fallait sans cesse aimer tout Rainer, jusque dans ses faiblesses,
et non chercher l'eau limoneuse."
Dans un des cinq films de RWF que j'ai vus cette dernière semaine, Effi Briest, où Hanna Schygulla joue le rôle d'Effi, le personnage titre se trouve assis au début et à la fin sur une balançoire de jardin. Cette balançoire est le symbole du parcours oscillatoire qu'il faut entreprendre pour devenir un fervent admirateur de Fassbinder.
Pour d'aucuns de ces admirateurs, cette balançoire est aussi le symbole de l'oscillation de leur âme qui ne sait plus vraiment
ce qui est bien, ce qui est mal...
Les films de RWF se caractérisent par le malheur auquel se préparent, et pour lequel semblent éduquées, ses héroïnes, par leurs larmes, par leurs langueurs, par l'ennui que certaines peuvent même avoir d'être jeunes, par leur agonie ou leur déboussolement.
Quand le malheur frappe de petites gens, leur révolte se fait jour. Car il y a en RWF un briseur de codes et de tables de la loi... comme dans Maman Küsters s'en va au ciel.
La faiblesse est humaine et le bonheur transitoire:
"Il n'y a pas de spectacle qui procure de plus grand vertige que celui des êtres qui précisément
cèdent, et qui s'abandonnent, et qui avancent au-devant d'une faute qu'ils vont irrémédiablement commettre.", dit encore Gabriel.
Rainer Werner Fassbinder est mort jeune, à 37 ans, en 1982. Comme le dit Didier:
"C'est vraiment très dur, à la fin, de savoir que tout est déjà terminé après si peu d'années sur terre."
N'est-il pas mort "sous le poids de la ménagerie qu'il avait continué à faire vivre très directement ou qui avait continué à s'accrocher à lui indirectement"? se demande Gabriel. Qui, en tout cas, s'est accroché "à sa mémoire, sans gêne", même s'il lui semble que Fassbinder est "venu au monde et jamais fini".
Francis Richard
La causerie Fassbinder, Jean-Yves Dubath, 200 pages, Hélice
Hélas