Le 9 mai 1630 meurt à Genève — où il est exilé — Agrippa Théodore d’Aubigné, calviniste.
Connu pour les Tragiques, œuvre eschatologique et « épopée de l’âme » du grand écrivain calviniste, Agrippa d’Aubigné, émule de Ronsard, est aussi l’auteur d’un recueil poétique: Le Printemps. Commencée en août 1570 dans son domaine des Landes-Guinemer (Loir-et-Cher), la rédaction du Printemps, œuvre ardente composée des cent sonnets de L’Hécatombe à Diane, d’un recueil d’odes et de stances ne verra le jour qu’au XIXe siècle. Fiancé quelques temps à Diane Salviati*, d’Aubigné est éconduit par celle dont il est éperdument épris. Cruellement blessé, d’Aubigné compose en l’honneur de « sa » Diane une œuvre** sombre et pathétique considérée aujourd’hui comme l’un des sommets de la poésie baroque.
Tout cela qui sent l'homme à mourir me convie,
En ce qui est hideux je cherche mon confort :
Fuyez de moi, plaisirs, heurs, espérance et vie,
Venez, maux et malheurs et désespoir et mort !
Je cherche les déserts, les roches égarées,
Les forêts sans chemin, les chênes périssants,
Mais je hais les forêts de leurs feuilles parées,
Les séjours fréquentés, les chemins blanchissants.
Quel plaisir c'est de voir les vieilles haridelles
De qui les os mourants percent les vieilles peaux:
Je meurs des oiseaux gais volants à tire d'ailes,
Des courses de poulains et des sauts de chevreaux !
Heureux quand je rencontre une tête séchée,
Un massacre de cerf, quand j'oi les cris des faons ;
Mais mon âme se meurt de dépit asséchée,
Voyant la biche folle aux sauts de ses enfants.
J'aime à voir de beautés la branche déchargée,
À fouler le feuillage étendu par l'effort
D'automne, sans espoir leur couleur orangée
Me donne pour plaisir l'image de la mort.
Un éternel horreur, une nuit éternelle
M'empêche de fuir et de sortir dehors
Que de l'air courroucé une guerre cruelle
Ainsi comme l'esprit, m'emprisonne le corps !
Jamais le clair soleil ne rayonne ma tête,
Que le ciel impiteux me refuse son œil,
S'il pleut qu'avec la pluie il crève de tempête,
Avare du beau temps et jaloux du soleil.
Mon être soit hiver et les saisons troublées,
De mes afflictions se sente l'univers,
Et l'oubli ôte encore à mes peines doublées
L'usage de mon luth et celui de mes vers.
Théodore Agrippa d'Aubigné, Le Printemps, « Stances », I, vers 89-140 (1570), Littérature XVIe s., Éditions Nathan, 1988, p. 476.
* Diane Salviati, nièce de Cassandre Salviati, chantée par Ronsard dans ses Amours.
** Orthographe modernisée.
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