Magazine Animaux

La mort des arbres

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Par Jean-Marie Rouart

" Evidemment ils ne manifestent pas, ne séquestrent pas les patrons ni ne saccagent les préfectures, pas plus qu’ils n’élèvent la voix dans les journaux. Alors pourquoi se préoccuperait-on de leur sort ?

Arbre remarquable abbatu « L’arbre était magnifique mais il perdait ses branches principales. Un risque énorme pour la population...! »

Pacifiques, bienfaisants, les arbres sont des victimes désignées dans un monde où tout réside dans le rapport de force. Ils ont un double handicap dans la mercantilisation frénétique qui nous mine : non seulement ils suscitent la convoitise parce que le bois coûte cher, mais ils sont gênants pour tous ceux qui veulent faire du profit en urbanisant à tout va un paysage français déjà dévasté qu’on ne songe même plus à protéger. A quoi ça sert, la beauté ? Ça rapporte combien ? Certes, nous nous lamentons sur le saccage à grande échelle de la forêt amazonienne ; sur la déforestation qui frappe le tiersmonde, l’Angola, l’Indonésie, proies désignées pour le pillage du bois précieux. Mais nos forêts et nos territoires agricoles n’échappent pas aux grands massacreurs de paysage. L’urbanisation des terres agricoles appelée en jargon administratif « l’artificialisation des sols » correspond à la disparition d’un département tous les dix ans, selon Nicolas Sarkozy, qui a employé lui-même le terme de «catastrophe» au cours de son dernier débat télévisé.
Quant aux forêts historiques, notamment Rambouillet, Fontainebleau, Orléans, Marly, elles sont gravement en danger tandis qu’on nous rebat les oreilles avec les voeux pieux écologistes, les litanies vertes et les grands panégyriques chlorophylliens. L’Office National des Forêts a entrepris d’y opérer de plus en plus des coupes drastiques afin de les rentabiliser. Un forestier de Fontainebleau a justifié ainsi l’abattage de 1 500 chênes pédonculés : « On aurait pu en couper moins. Mais à long terme, ils étaient condamnés. »* En ce bas monde, qu’est-ce qui n’est pas condamné à périr si ce n’est la bêtise qui, elle, est immortelle ?

En réalité, on traite ces forêts historiques qui sont des chefs-d’oeuvre du paysage avec le même cynisme qu’on exploiterait des forêts de rapport comme les Landes. Et qu’importe si cette gestion productiviste ruine le paysage et la biodiversité. Au nom d’une forêt idéale que nous ne verrons jamais, concoctée par les technocrates du reboisement, qui justifient ainsi des arrière-pensées lucratives, on détruit la forêt actuelle. Que faire ? Seule la création de parcs nationaux peut mettre un terme à cette politique de gribouille qui détruit nos forêts historiques tout en prenant prétexte de leur préservation. Sinon plus aucun arbre ne cachera plus aucune forêt : ils auront disparu l’un et l’autre."

Paris Match N° 3171, 25 février 2010
*  « Le Parisien », 14 février.
Illustration : "Un arbre remarquable abattu"

L'arbre, responsable de la fermeture des milieux montagnards ou agricoles

Forêt refuge dans une zone à ours en Béarn : une friche hirsute, un jardin à l'adandon, un squelette décharné, sans âme, sans passé ni avenir par Baudouin de Menten

Un institut agricole des Pyrénées a écrit sur sa carte de voeux 2002 le texte suivant :

"La beauté des montagnes est autant le résultat de la tectonique, de la faune et de la flore, que du travail séculaire des hommes. Une montagne sans paysans n'est plus qu'une friche hirsute, un jardin à l'adandon, un squelette décharné, sans âme, sans passé ni avenir".

Dans un communiqué de l'ADDIP en février 2010 («Ours ; stop aux mensonges »), on peut lire:

"Sans ces femmes, ces hommes, ces troupeaux, le pays serait un désert envahi de broussailles : enfrichement, ensauvagement, fermeture du milieu, ce paysage accueillant et ouvert aux activités de loisir deviendrait une porte close." (...) "Le choix est pourtant simple : Ensauvagement du massif et populations d'ours réellement viables OU Beauté des paysages humanisés, production alimentaire durable et de qualité, cadre somptueux pour vos loisirs. L'élevage extensif est la clé qui ouvre toutes ces portes, un patrimoine à conserver et continuer... Ce second choix est notre vie et notre engagement, une promesse d'avenir dans le droit fil de toute l'histoire des Pyrénées."

En septembre 2011, l'encore candidat François Hollande rencondre l'ADDIP en Ariège, dans un remarquable exemple de langue de bois (mort),  salue, en confondant bergers et éleveurs, « les bergers acteurs de la biodiversité », alors que le métier de berger a quasiment été éradiqué par la politique ovine en Ariège.

François Terrasson écrivait (Les surprises de la déprise, dans "La civilisation anti-Nature") :

"Le désert français, l'occupation de l'espace, la déprise. Voilà, le mot est lâché.  Ce qui fait la "une", c'est ce qu'on appelle très significativement : la déprise agricole ! Avec la fin de la civilisation rurale, le gel des terres, l'abandon des montagnes, un discours s'établit sur ce terme, dont l'allure et le sens résument toute une interprétation de l'Univers. 

La Nature pilotée par l'homme rural serait une sorte de fauve malfaisant, que seule la contrainte aurait permis de dominer, d'esclavagiser au service de la production d'aliments. (...)

La déprise agricole ? Merveilleuse trouvaille des dompteurs de la Bête. Si on arrête de la tenir attachée, elle va mourir! La vie sauvage disparaîtra si les agriculteurs s'en vont.(...)

La civilisation anti-Nature mérite bien son nom. Quel que soit son secteur d'activité, il y a une référence, en général négative, à ce grand ensemble de forces spontanées dont elle a émergé. Une vraie obsession" .

L'arbre mort, source de vie, si on le laisse mourrir

par Ugo Ouellet-Lapointe et Philippe Cadieux

Arbre mort, source de vie Arbre mort, source de vie ou "un squelette décharné, sans âme, sans passé ni avenir"?

" Pendant plus de 80 ans, il a affronté avec succès les intempéries et autres caprices de la nature. Il semblait immuable, tel une poutre massive qui soutenait la voûte de la forêt. Aujourd’hui, l’absence de feuilles sur ses branches laisse un grand vide dans la canopée, son tronc se dénude de son écorce et est parsemé de champignons. Il a un air carrément louche. Il est mort, bel et bien mort! Mais malgré son aspect lugubre et solitaire, cet arbre mort constitue une source de vie indispensable pour une multitude d’organismes.

En effet, la contribution des arbres à la diversité des écosystèmes ne s’arrête pas au moment de leur mort. Leurs cadavres sont en réalité nécessaires au maintien d’un nombre surprenant d’espèces. Outre des végétaux et des champignons qui croissent sur le bois mort, on y retrouve une grande diversité de petits organismes invertébrés comme les insectes et autres arthropodes, et plusieurs dizaines d’espèces de vertébrés. Parmi ceux-ci, on retrouve des reptiles (couleuvre rayée), des amphibiens (grenouille des bois), des oiseaux (canard branchu) et des mammifères (écureuil roux).

Comment l’arbre mort peut-il supporter toute cette vie? C’est que plusieurs organismes, dits xylophages, se nourrissent de la fibre de son bois. C’est le cas des champignons et des insectes, qui colonisent l’arbre à la moindre opportunité.

D’autres, comme les fourmis, creusent des galeries dans le bois pour construire leurs nids. Ces petits organismes constituent la base du régime alimentaire des pics bois, qui trouent l’arbre pour les y dénicher. Le bois mort n’est pas qu’un garde-manger pour les pics, c’est aussi l’endroit idéal pour y élever leurs oisillons, jusqu’à leur premier envol, dans une cavité bien douillette.

Les pics bois jouent ainsi un rôle crucial dans la communauté. Plusieurs animaux, qui dépendent de la présence de cavités pour se reproduire, sont donc non seulement dépendants du bois mort, mais aussi des pics bois qui sont à la source de la majorité des cavités naturelles. De plus, celles-ci étant de tailles différentes selon l’espèce de pic qui les produit, l’identité des utilisateurs changera en fonction de la taille du logement. Le grand pic, par exemple, excave des cavités particulièrement grandes. Celles-ci seront idéales pour des espèces de grande dimension telles le garrot à œil d’or et la petite nyctale. À l’opposé, les cavités du pic maculé sont beaucoup plus petites et accueilleront ainsi l’écureuil roux et le grand polatouche (écureuil volant).

Cependant, dans la mort comme dans la vie, tous les arbres ne sont pas égaux. Certaines essences se dégradent rapidement alors que d’autres peuvent demeurer sur pied pendant des dizaines d’années. De plus, la taille du mort joue un rôle crucial dans la diversité et l’abondance de ceux qui pourront en bénéficier. Certains arbres morts sont donc moins propices à être excavés et ne sont pas utilisés, tandis que d’autres foisonneront de vie.

Un arbre, même mort, contribue donc à la biodiversité de nos écosystèmes et nous permet de bénéficier d’une faune variée. En favorisant la présence de populations de pics bois, qui se nourrissent d’insectes qui attaquent le bois, les arbres morts peuvent même jouer un rôle dans la préservation d’écosystèmes forestiers entiers! Ainsi, pour garder nos forêts en santé, il ne faudrait pas négliger leur importance. Comme quoi la mort est source de vie...

Texte de Ugo Ouellet-Lapointe et Philippe Cadieux,
étudiants à la maîtrise, faune cavicole, Université du Québec à Montréal (CEF).


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