La Commission européenne organisait le 5 décembre 2013 la deuxième rencontre des acteurs de la controverse des grands carnivores en Europe. (2nd stakeholder workshop on EU action on large carnivores.)
La Buvette y était...
© Photo Buvette des AlpagesComme lors de la première rencontre, une petite centaine de personnes issus de tous les pays européens ont participés aux différents débats de cette journée, tous organisés en scéance plénière et menés de main de maître par Madame Pia Bucella, Directrice de la Nature et de la Biodiversité à la Commission.
Du côté pastoral français, le CERPAM (Laurent Garde), l’ADDIP (Bruno Besche Commenge ) et la FNO (Frank Diény) qui étaient présents en janvier 2013 ont brillés par leur absence, marquant par la une nouvelle fois leur préférence pour la politique de la chaise vide.
Très remarqués en janvier, ils ont, d'après mes sources, continué à se faire remarquer avant cette deuxième réunion. Mais le lobbying effectué n’a semble t-il pas eu l’effet escompté, une question de diplomatie et de savoir vivre brouillant la lisibilité des messages envoyés. On se souvient des « comportements vulgaires et irrationnels » dénoncés en ces termes le 24 septembre 2013 par Nathalie Marthien, préfète d'Ariège ou du dossier sur « les scandales de l’Etat » que le chargé de mission de l’ADDIP avait jeté à la tête de la personne qu’il essayait de convaincre.
Seul Emmanuel Coste, éleveur dans le massif central et Werner Plompen, un belge qui a participé au programme pastoraloup en tant que berger ont participé aux débats. Le monde de la chasse était quant à lui assez bien représenté, comme chaque fois.
Du côté environnemental, François Arcangeli et Alain Reynes représentaient l’association ADET-Pays de l’Ours tandis que Anthony Kohler était là au nom de l’association FERUS, présente pour la première fois. Du côté scientifique, Farid Benhammou est venu rejoindre Guillaume Chapron, déjà présent en janvier.
Le contexte
Mise en place d’une plate-forme Grands prédateurs
En réponse aux demandes reçues des participants du 1st stakeholder workshop on EU action on large carnivores qui s'est tenue à Bruxelles le 25 Janvier 2013, la DG Environnement propose de nouvelles mesures pour l'établissement d'un dialogue structuré entre les parties prenantes et la mise en place d’une plate-forme européenne sur les grands carnivores.
Cette plate-forme serait un regroupement volontaire de représentants, y compris les pouvoirs publics (quelques représentants de ministères étaient présent, mais aucun français), qui sont d'accord pour un dialogue soutenu et stratégique concernant la conservation et la gestion durable des espèces de grands carnivores dans l'UE. Sa mission est de trouver les moyens de réduire au minimum, et si possible, à éliminer les conflits entre les intérêts humains et la présence d' espèces de grands carnivores, par l'échange de connaissances et de travailler ensemble pour trouver des solutions communes aux véritables conflits.
D’autres plate-formes de ce type existent déjà. La plate-forme « cormorant » présente des similitudes d’objectifs et la plate-forme « entreprises et biodiversité » des similitudes de fonctionnalité.
Une condition préalable : la signature d'un Manifeste
Le « ticket d'entrée » à la plate-forme serait la signature par les représentants habilités des organisations d'un document fondateur , un « Manifeste sur la coexistence avec les grands carnivores dans l'Union européenne ». Ce manifeste serait un court document indiquant les principes généraux acceptés par tous les signataires et dont les contenus ne seraient pas rediscutés durant les travaux.
Les éléments du manifeste
Plusieurs éléments sont considérés comme essentiels :
- Le respect de la législation: La Directive Habitats de l'UE est un instrument juridique approprié pour la conservation et la gestion durable des espèces de grands carnivores dans un état de conservation favorable dans l'UE .
- La reconnaissance de la validité des intérêts multiples : les paysages ont plusieurs fonctions. Les sociétés humaines ont le droit d'utiliser leurs ressources naturelles de manière durable et les grands carnivores sont partie intégrante des écosystèmes européens.
- L’acceptation de la nécessité d'un dialogue constructif entre les parties prenantes : Afin de faciliter la coexistence hommes/prédateurs sur le long terme, les participants s'engagent dans un dialogue constructif à travailler ensemble au niveau national et régional en vue de trouver des solutions communément acceptées aux conflits.
- La nécessité d'une coopération transfrontalière : La grande majorité des espèces de grands carnivores vivent sur des territoires qui dépassent les frontières nationales, la coopération transfrontalière est donc indispensable.
Un engagement
En s’inscrivant au manifeste, les participants accepteront ces principes de base, mais aussi s'engageront à participer activement au dialogue et à partager leurs expériences. Cet engagement sera également une déclaration de leur volonté à :
- trouver des solutions aux conflits découlant de la coexistence de l'homme et les grands carnivores par le partage d'informations au sujet de leurs propres expériences ;
- écouter et discuter des expériences des autres parties prenantes ;
- accepter que les solutions peuvent parfois être trouvées que par des compromis ;
- être ouvert à accepter, après des discussions approfondies et constructives, certaines pratiques comme des exemples de bonnes pratiques en matière de coexistence réussie ;
- exprimer une volonté de transférer et de tester ces exemples de bonnes pratiques dans leurs propres situations et circonstances.
Les participants seront prêt à consacrer des ressources à la plate-forme :
- libérer du temps/homme pour participer aux travaux ;
- partager l'information ;
- analyser les informations partagées et discuter des positions des acteurs.
La Commission soutiendra la plate-forme pour une période de deux ans.
Un calendrier
Une réunion annuelle des membres de la plate-forme est prévue, d'abord pendant 2 ans (jusqu'à la mi 2016 ) après le lancement de la plate-forme. Ces réunions serviront à décider des actions, faciliter le réseautage entre les membres de la plateforme et discuter des thèmes d'intérêt général choisis. Un examen de la réalisation des objectifs de la plate-forme sera effectué lors de la deuxième réunion annuelle en 2016, lorsque des propositions seront faites pour poursuivre la plate-forme.
La création d’un Centre de Ressources
De même pour les autres plates-formes de l'UE, le principal outil de diffusion de la plate-forme serait un site Web. Ce site affichera des informations sur les activités de la plate-forme, les rapports de réunion, les bonnes pratiques identifiées (documents, manuels etc.) Il servira également de passerelle vers les portails des organisations membres.
Dans le cadre de leur contribution aux activités de la plate-forme, les organisations membres seront invités à sélectionner une ou plusieurs actions qu’elles jugent pertinentes. La plate-forme sera un forum de discussion sur les expériences. Elle fournira un soutien aux activités et à ses membres.
En 2013, la DG ENV a lancé une série d'actions pilotes au niveau de la population impliquant de multiples parties prenantes au niveau local, régional et transfrontalier. Un seul projet (sur la déprédation sur le bétail par le loup dans la péninsule ibérique ) est assez avancé pour être signalé à ce stade. 3 autres sont en cours de préparation et devrait être opérationnel à la date du lancement de la plate-forme.
L'adhésion à la plate-forme apportera les avantages suivants pour les organisations participantes :
- visibilité vis-à-vis du grand public de l'engagement à trouver des solutions sur la coexistence avec les grands carnivores ;
- l'accès à la connaissance et de l'expérience sur la co-existence avec les grands carnivores d'autres acteurs ;
- possibilité de mise en réseau avec d'autres pour discuter des questions spécifiques ;
- trouver des partenaires pour des projets conjoints;
- demander le soutien financier de l'UE ou d'autres sources de financement .
Lancement de la plate-forme
La date prévue pour le lancement de la plate-forme est Juin 2014 avec l’organisation d'un événement à Bruxelles. Les dirigants des organisations qui acceptent de rejoindre la plate-forme seront invités à se joindre à un représentant de haut niveau de la DG Environnement , peut-être le commissaire Janez Potocnik , lors d'une cérémonie de signature qui servirait également de première réunion de la plate-forme.
Les intervenants de la journée
Les particpants étaient invités à donner l’intérêt que cette plate-forme représentait pour leurs organisations, à expliquer pourquoi et comment ils voulaient y participer.
Quatre des 5 premières interventions de la journée se sont révélées être celles de membres (espagnol, italien, autrichien et français) de la COPA-COGECA. La COPA est une organisation européenne (créée en 1958) qui représente les agriculteurs. La COGECA (créée en 1959) est la Confédération générale de la coopération agricole, les coopératives. Les deux lobbys ont fusionnés et, convaincus de l'importance de la Communauté européenne pour leur secteur, possèdent un bureau de lobbyistes à Bruxelles (Voir leur site en 7 langues...)
Visiblement, et Pia Bucella l’a fait remarquer, le message d’être présent à cet événement est très bien passé du côté des lobbyistes agricoles. Elle a même souligné que les retours devaient venir du terrain et pas uniquement du bureau de Bruxelles de la COPA-COGECA, ils étaient trop bien représentés en somme.
Cela a permis de mettre le doigt sur l’absence évidente et dommageable de bureau bruxellois pour les organisations de défense des grands prédateurs, moins fortunées que le lobby agricole, et du côté français, trop peu polyglote pour particper activement aux débats. La présence de responsables anglophones me semble absolument indispensable dans les associations et à ce petit jeu, les associations fançaises devraient faire des efforts de recrutement car elles me semblent particulièrement en retard au vu des interventions en anglais de beaucoup d’autres intervenants issus de différents pays européens.
Du côté français, Emmanuel Coste (FNO) a redit les arguments entendus ici et là : « les mesures de protection et la cohabitation ça ne marche pas », « l’élevage est un rempart contre la fermeture des paysages », « comment les éleveurs peuvent-ils produire en cohabitant », « le pastoralisme est une source de revenus touristiques ». Il a précisé « qu’il y avait, certes des bénéfices à rejoindre la plate-forme, mais qu’il désirait discuter préalablement de la Directive Habitats, considérée comme un obstacle (tout comme Johan Svalby, représentant des chasseurs européens FACE ou comme le représentant des chasseurs suédois qui considère la directive comme statique dans un monde dynamique) précisant que si la Directive était un préalable à accepter obligatoirement, leur participation serait difficile. Il désirait discuter des élements considérés par la commission comme définitifs (Convention de Berne, Directive Habitats ) ».
On garde la Directive Habitats
Pia Bucella a répondu directement, mettant les choses au point. Elle a félicité les participants qui acceptaient les directives, précisant qu’ils devraient discuter de ce qui est faisable mais que la CE ne pouvait pas évacuer les directives actuelles ni les remettre en cause, qu’elles étaient acquises. Elle a également rappellé que la CE apprécie l’importance de l’élevage dans la protection de la biodiversité et qu’elle désirait conserver le pastoralisme. Ceux qui espéraient remettre en cause le contexte juridique des grands prédateurs en étaient pour leurs frais.
Farid Benhammou (CNRS) a rappelé que 10 à 15% des loups français avaient quitté les Alpes, regrettant que les conflits ne sont pas anticipés dans les zones de colonisation où l’on n’a pas profité des expériences alpines. Il a constaté que bien souvent, les solutions arrivent trop tard, après les conflits, alors qu’elles devraient être mise en place avant le retour du loup. car après les conflits, ils devient difficile de se parler...
François Arcangeli est intervenu afin que la Commission ne préconise pas des lâchers d'ours que sur le versant espagnol, mais aussi en France (en Pyrénées centrales comme en Pyrénées occidentales, bien entendu).
Pia Bucella a précisé que la CE avait reçu beaucoup de lettres, que les acteurs ne manquaient jamais d’interpeler leurs représentants locaux et que ceux-çi contactaient la Commission. Elle a également déclaré que la Commission européenne qui avait déjà les gouvernements comme interlocuteurs désirait maintenant échanger avec les citoyens. Pour elle, il n’y a pas d’alternative à la directive Habitats: il est important de continuer à dialoguer et de na pas claquer la porte si la directive continue a être appliquée, précisant que la CE préférait dialoguer que porter plainte contre les pays qui ne la respectent pas.
Quant à Louis Dollo, toujours selon les sources de la Buvette, il aurait eu la bonne idée d’inscrire à sa newsletter pyréniaise tous les membres de la commission, sans leur demander leur avis, transformant sa propagande en spam. Le voilà victime de son non respect de la règle du double opt-in. Inutile de dire que recevoir un rappel aussi bien écrit tous les deux jours a eu pour effet d’irriter les destinataires. Et et de faire exploser sa crédibilité...
Key actions
L’après-midi a été consacré aux discutions sur les « key actions for large carnivore populations in Europe ». Les participants étaient invité à commenter les actions proposées par la CE, à modifier éventuellement les niveaux d’urgence ou à en proposer d’autres.
Les actions proposées pour la population d’ours dans les Pyrénées :
- Surveillance transfrontalière de la population d'ours des Pyrénées. Objectif : Etablir des protocoles communs entre la France, l'Espagne et l'Andorre pour suivre les ours et évaluer l'état de conservation, la dynamique, la taille de la population, la répartition spatiale, l'analyse de viabilité de la population.
- Etude génétique de l'ours brun dans les Pyrénées : Développer l'échantillonnage génétique non invasif commun et les analyses afin d'évaluer la dynamique de la population et de surveiller les effets génétiques sur la démographie.
- Réintroduire des ours dans les Pyrénées centrales afin d’augmenter la viabilité démographique et d’améliorer la génétique de la population.
- Réintroduire des ours dans les Pyrénées occidentales afin de restaurer la viabilité de ce noyau de population et établir des liens avec la population des Pyrénées centrales.
- Mettre en œuvre des programmes de prévention de la déprédation et fournir un protocole de surveillance de leur efficacité : Diminuer la prédation des ours sur le bétail et les ruches dans les Pyrénées pour favoriser la cohabitation avec l'ours.
- Mettre en œuvre des actions visant à améliorer l'acceptation de l'ours dans la population locale et renforcer l'utilisation de l'ours brun comme symbole de la nature sauvage dans les Pyrénées.
- Utilisez l'ours pour promouvoir les avantages économiques et l'écotourisme: promouvoir les activités économiques pour diversifier l'éco-tourisme dans les zones de montagne.
On le constate, Bruno Besche-Commenge se trompe quand il déclare que l’UE a décidé de mettre fin aux programmes de réintroduction sous prétexte que le projet est toujours rejeté par « les acteurs ruraux ». Mais la Commission connait très bien la rhétorique de l'ADDIP...