Il y a quelques jours, les députés étaient amenés à s’exprimer sur la protection des sources d’information pour les blogueurs. Il leur était proposé d’étendre la protection qui s’applique aux sources des journalistes à celles des blogueurs. Bien évidemment, les parlementaires ont refusé.
Chose intéressante : la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) avait étudié la question et rendu un avis assez clair au sujet de ces sources en estimant que la protection dont bénéficient les sources des journalistes méritait largement d’être étendue aux sources des blogueurs et même, en toute bonne logique, aux sources de n’importe quel citoyen. Pour rappel, il s’agit ici de cette protection qui permet aux journalistes de ne pas dévoiler leurs sources et donc de leur permettre de conserver leur anonymat. Cette protection n’a évidemment jamais été un blanc-seing pour que n’importe qui puisse dire n’importe quoi : les informations révélées dans ce cadre doivent être vérifiées et les allégations portées doivent pouvoir être prouvées.
La proposition de loi consistait donc ici à étendre la protection des sources journalistiques en englobant les blogueurs et, éventuellement, les citoyens en général, dans la démarche. Et on comprend que cette protection peut avoir un effet bénéfique sur la liberté d’expression : quelle liberté d’information peut-il exister lorsque ceux qui savent ne disent rien par peur des pressions, répercussions et autres rétorsions ? Dans les pays où les lanceurs d’alerte sont pourchassés et classés parmi les traîtres, le fait de prendre la parole est un acte de courage majeur. Dans les pays où les sources n’ont aucune protection, celui qui diffuse des données sensibles peut fort bien marquer d’une cible ceux qui lui auront donné ces informations. On comprend l’importance vitale de cette protection des sources, et ce, indépendamment de la nature de celui qui diffuse l’information, fut-il journaliste, blogueur ou simple citoyen. En effet et comme le relevait Numérama début décembre, Pour la Commission Consultative,
« Protéger le secret des sources des journalistes ne tient pas à la nécessité de défendre un intérêt corporatiste des journalistes : c’est une garantie essentielle pour le fonctionnement de notre démocratie.(…) Dans la mesure où il contribue à l’information du public, le droit à la protection du secret des sources doit être reconnu à tous : aussi bien aux journalistes qu’à toute personne publiant des informations à titre simplement occasionnel. La limitation dans son principe même du droit au secret des sources aux journalistes professionnels apparaît inadaptée et injustifiée. »
Pour éviter qu’on voit dans ce genre de proposition la porte ouverte à toutes les fenêtres à tous les dérapages, canulars et autres rumeurs sulfureuses, la Commission rappelait d’ailleurs que toute personne qui publie des informations est tenue de s’assurer de leur véracité et en tout cas de leur sérieux, et de le prouver, le cas échéant, devant un tribunal. C’est, on ne peut plus clair.
Heureusement et comme prévu, les députés n’ont probablement ni lu ni compris les recommandations de la Commission et ont donc refusé l’extension de la protection en question. Les raisons, cependant, méritent qu’on s’y attarde tant elles illustrent le niveau général de réflexion de nos élus (qui, je vous le rappelle, sont payés avec vos impôts, ce qui ne rassure pas du tout) ; en plus, ça tombe bien, on a le détail des débats en ligne. Profitons-en.
Pour Rudy Salles (UDI), qui n’a pas lu le projet et les commentaires de la Commission Nationale Consultative, « une telle disposition aurait pour conséquence de favoriser la diffusion du n’importe quoi, au détriment du vrai journalisme et de la démocratie véritable » ; les tribunaux, la diffamation et les procès pour faux et usages de faux, ça n’existe pas et le projet vise à les dissoudre dans le n’importe quoi citoyen, mes amis, c’est évident, nous devons faire barrage.
Apparemment, le petit Dominique Le Mèner (UMP) n’est pas mieux renseigné que son petit camarade Salles, et il peut donc se permettre de sortir une magnifique ânerie pour le même prix : « protéger comme des journalistes tous les citoyens sans exception paraît excessif ». Il s’en fiche : il est indemnisé quoi qu’il arrive et, quelque part, c’est dommage puisque cette indemnité est versée pour que, précisément, il s’informe un peu des sujets sur lequel il ouvre le bec. Et là, c’est donc un misérable FAIL puisqu’il ne s’agit pas de protéger les citoyens comme les journalistes, mais de protéger les sources d’information de ces citoyens comme celles des journalistes, ce qui est complètement différent.
élus criminels, ou que sais-je encore… Diable, certains habitués des louvoiements entre les cours de justice sentiraient alors de près le vent du boulet, et la transparence politique et la démocratie gagneraient subitement plusieurs points. C’est, effectivement, un dangereux engrenage.
Ces réactions sont donc finalement parfaitement conformes à ce qu’on pouvait espérer des députés : arcboutés sur les modes passéistes de traitement de l’information, ne comprenant pas l’enjeu qui leur est proposé, ils ont rejeté l’amendement et se sont contentés d’un confortable statu quo. Mais au-delà de cette remarque, la façon dont l’ensemble des débats a eu lieu montre de façon limpide que ces élus parlent d’un sujet qu’ils ne maîtrisent pas, même de loin, utilisent des arguments qui sont, au mieux, hors sujet, au pire, parfaitement contraire à ce que le texte établit, et mélangent comme d’habitude différentes notions pour faire passer leurs idées ou bloquer définitivement celles de leurs adversaires, quitte à faire un joyeux trampoline sur la logique et le sujet en cours.
Car ne vous y trompez pas : si j’ai pris ce texte parce qu’il résonne particulièrement pour un blogueur politique, ce qu’on voit ici est en réalité parfaitement transposable à n’importe quel texte. Ces élus qu’on paie chèrement de notre travail et de nos impôts, en moyenne, ne font qu’une mousse médiatique dans les commissions et à l’Assemblée et n’ont qu’une idée très vague, dans le meilleur des cas, des sujets sur lesquels ils pontifient. Le problème, ici, est qu’à la fin, une loi est votée, à laquelle les citoyens devront répondre et s’adapter…
La rhétorique, aussi minable soit-elle, permet seulement à ces députés de camoufler l’évidence qu’en réalité, ils ne sont que des enfants qu’on a laissé jouer avec la tondeuse à gazon allumée.
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