par Alain Baraton.
Le célèbre Jean de La Fontaine écrit, après avoir observé des jardiniers à l’œuvre, «que ce qu’ils ont planté dure mille ans encore». Moi aussi, j’aimerais que tous les arbres des villes et des villages durent mille ans encore, mais j’ai malheureusement beaucoup d’incertitude quant à leur devenir. J’ai le sentiment très net qu’ils dérangent celles et ceux qui se sont mis en tête de transformer la ville et qu’ils ne sont pas soignés comme ils devraient l’être par mes confrères chargés de leur entretien.
Beaucoup trop de jardiniers prétendent défendre la biodiversité mais, dans les faits, ils détestent quantité de bestioles. Ils disent aimer les oiseaux mais disposent dès le mois d’avril de gigantesques filets sur les cerisiers pour tenir à distance les bouvreuils et les merles. Ils observent avec tendresse l’éclosion d’une rose, puis bombardent sans attendre la plante d’un insecticide pour tuer les pucerons et, du coup, les coccinelles dont ils se prétendent les amis. Les jardiniers s’extasient devant le papillon mais pourchassent la chenille, Ils détestent les limaces, les escargots, les guêpes, les mille-pattes, en un mot tout ce qui bouge. Les rongeurs de tout poil, excepté peut-être les écureuils, sont poursuivis et guettés. Des pièges sont installés aux quatre coins du jardin et des poisons répandus à l’entrée de chaque trou suspect.
Les arbres, eux aussi, souffrent de leur intolérance. Les branches basses sont sectionnées pour faciliter le passage des tondeuses, des arbres sont arrachés pour offrir davantage de soleil à un massif de fleurs qui n’a pourtant que peu d’intérêt. Mes collègues maudissent les arbres en automne quand ils perdent leurs feuilles, endommagent les écorces avec leurs débroussailleuses à fil, se croient tenus au printemps d’en tailler quelques-uns. Ils disposent aussi lors des plantations d’automne d’énormes tuteurs qui vont rester en place des années et les liens qui ne sont jamais, ou si peu, vérifiés finissent par étrangler les jeunes végétaux.
Mais la situation semble évoluer et j’ai le sentiment que la nouvelle génération manifeste beaucoup plus de tendresse pour les arbres que ceux que, je qualifie néanmoins avec respect, d’anciens.
Alain Baraton
dans "La Haine de l’arbre n’est pas une fatalité" (Actes Sud)
Jardinier en chef des jardins du Trianon, du grand parc de Versailles et du domaine de Marly, Alain Baraton anime, le samedi et le dimanche, la chronique jardin sur France Inter.
Illustration : "Les 3 arbres remarquables abattus à l'ex-collège de Herve: les riverains sont furieux". Ulcérés Julien De Leval, le président de l’ASREPH, et les riverains opposés au projet d’aménagement de l’ancienne cour du Collège de Herve: le collège échevinal a fait abattre les trois arbres remarquables qui empêchaient l’aménagement de la cour tel que prévu.