Comme chacun sait, le Front de gauche, notamment via le Front de gauche latino, suit de près les luttes menées par les peuples d’Amérique latine. Ces derniers jours, la destitution du maire de Bogota, Gustavo Petro, a suscité un tollé et fait descendre des milliers de personnes dans les rues de la capitale colombienne. J’ai décidé de publier sur Une histoire populaire ce billet écrit par une amie présente sur place au coté des manifestants.
« El pueblo, unido, jamas sera vencido »…!
Pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’occasion d’entendre en direct et dans son contexte, cette phrase qui a traversé l’histoire des luttes en Amérique latine. Elle était effectivement scandée ce mardi, par quelques milliers de personnes réunies sur la place Simon Bolivar (du nom d’ « El Libertador », qui a mené la lutte pour l’indépendance en Colombie, une place baptisée pour la contestation donc!).
Il se passe en ce moment à Bogota quelque chose d’hallucinant. La démocratie colombienne a pris un sacré coup. Il faut que je vous raconte cela.
Ces citoyens réunis sur la place Bolivar exprimaient en fait leur soutien au maire actuel de Bogota, Gustavo Petro, qui vient tout simplement d’être destitué par le procureur de la Colombie, Alejandro Ordoñez. En Colombie, ce procureur n’appartient pas exactement au monde de la justice, mais est chargé de « surveiller » les fonctionnaires et les hommes politiques. Non seulement il vient de le destituer, mais il l’interdit d’occuper toute fonction politique et étatique pendant une durée de 15 ans.
Les raisons avancées ? La dénonciation d’une erreur « administrative » : la mauvaise gestion des poubelles, il y a exactement un an, dans la ville de Bogota. En effet, pendant 3 jours, les déchets se sont amoncelés dans la capitale (vous comprendrez pourquoi ensuite).
Une décision éminemment politique en vérité
Pour le comprendre, il faut d’abord les situer sur l’échiquier politique. Le procureur est un ultra-conservateur, il appartient à ce que nous l’on pourrait appeler l’extrême droite : fervent opposant à l’avortement, au mariage homosexuel, proche de l’ancien président Uribe, et à ce titre bien ancré dans les réseaux de corruption qui lient les grandes familles colombiennes qui détiennent la majorité de l’argent de ce pays.
Petro est, au contraire, un électron libre, tout à fait isolé, puisqu’il est un des seuls anciens guerilleros à occuper un poste politique si important. Progressiste, il défend quant à lui au contraire la voix des minorités : celle des campesinos tout d’abord (les paysans. Par exemple, le jour de son discours, il a laissé la parole au représentant des campesinos, qui a parlé pendant la moitié de la soirée, du haut du balcon de la mairie, vêtu de son pancho traditionnel), celle des indigènes, des minorités sexuelles (LGBT…) etc.
L’un a été élu par le Congrès, en majorité à droite, et dont la moitié des membres qui l’ont désigné à l’époque sont actuellement en prison, du fait de liens avérés avec les paramilitaires. L’autre, élu à la mairie de Bogota l’année dernière, avec 70% des suffrages, dont la majorité provenant des jeunes.
C’est pour cette raison qu’on pouvait lire sur la place des pancartes indiquant « J’ai voté pour Petro, pas pour le Procureur ». Avec cette destitution, il s’agit en effet d’un homme, le Procureur qui, seul, met à bas un vote populaire auquel ont pris part des milliers de personnes !
Une histoire d’ordures…
Une décision doublement politique vous disais-je. Tout d’abord parce que Petro, en arrivant à la Mairie de Bogota, a lancé un grand mouvement pour rendre publics les services assurés jusqu’ici par des entreprises privées, détenues en gros par 3 grandes familles qui à elles seules s’arrachent tous les marchés : celui des transports, de la gestion des déchets etc..
En effet, Petro a retiré le marché du ramassage des ordures à l’une de ces familles, pour le rendre public, en intégrant également les recycleurs jusqu’ici clandestins, qui ramassaient les cartons dans la rue pour survivre. De quoi leur déplaire. Inutile de vous préciser que ces familles sont liées de très près à l’ancien Président Uribe, qui par leur intermédiaire, continue à détenir une influence considérable. C’est donc face à cette perte de pouvoir que la droite colombienne vient de réagir en destituant Petro.
Ce changement dans la gestion des ordures a donné lieu à quelques difficultés organisationnelles, d’où l’amoncellement de déchets qu’il y a eu pendant quelques jours dans la capitale, et qui sert aujourd’hui d’argument au Procureur pour destituer le Maire.
Ensuite, une décision politique parce-que Petro constitue la preuve que le mouvement guerillero peut aujourd’hui avoir une place dans la vie politique partisane, et non plus seulement comme groupe violent. En effet, le M-19, groupe auquel il a appartenu, dissout depuis les années 90, tente aujourd’hui de renaître comme parti politique, développant une politique sociale très importante. Or, l’extrême droite colombienne cherche, au contraire à saper les négociations qui ont lieu en ce moment à La Havane et réunissent directement autour de la même table, pour la première fois depuis les 40 années de guerre, les FARC et les représentants du gouvernement.
Dans ce cadre, facile à comprendre que cette histoire « d’erreur administrative » dans la gestion des poubelles n’est qu’une grossière excuse. Un proche du procureur n’a pas eu peur d’avouer clairement dans la presse qu’il s’agissait d’un complot contre le Maire de Bogota !
La mobilisation des défenseurs de la démocratie
Je me suis donc rendue sur cette place Bolivar le soir de l’annonce de la destitution de Petro avec un pote journaliste. On y a rencontré évidemment des militants du parti de Petro, mais aussi et surtout, c’est cela qui me semble le plus intéressant, un certain nombre des personnes présentes qui n’avaient pas voté pour Petro, mais qui venaient défendre le vote des autres, la démocratie en un mot.
Beaucoup d’émotions chez ces gens, face à une telle situation autoritaire. Une véritable ferveur démocratique! C’est là le côté positif de cette situation autrement bien triste, et digne d’une dictature…
J’ajoute enfin que cette destitution intervient à un moment précis : le début des grandes vacances d’été en Colombie ; les étudiants sont en vacances depuis 3 jours… on peut donc imaginer que le procureur et ses amis ont choisis cette date en espérant étouffer la contestation.
Mais il semble bien que le contraire est en train de se passer…
Petro a appelé de ses vœux une mobilisation massive, afin que la plaza Bolivar « devienne la nouvelle place Tahir »…
…Affaire à suivre !
Juliette Boutier