Le Paysan de Paris
Dans "Le Paysan de Paris", Louis Aragon assure la défense et illustration du surréalisme tel qu'il l'interprète à ce moment. "Le noyau de ce surréalisme est constitué par un nouveau stupéfiant produit par l'imagination, à savoir "l'image": le surréalisme est "l'emploi déréglé et passionnel" de ce stupéfiant "ou plutôt de la provocation sans contrôle de l'image pour elle-même et pour ce qu'elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses".
Sous ce titre "Le stupéfiant image", Régis Debray rassemble un choix de ses propres textes sur l'art, choix qui effectue un panoramique de moins trente cinq mille ans (la grotte Chauvet) à nos jours.
Pour être tout à fait clair, il faut convenir que Régis Debray reste pour une génération l'auteur de "Révolution dans la révolution" (1967), l'homme qui, la même année, partait à Cuba puis suivait Che Guevara en Bolivie. Capturé par les forces gouvernementales Boliviennes, il passera plusieurs années en prison.
Quelle que soit l'analyse à porter sur ces événements, ceux-ci forgent une image durable de l'intellectuel revenu en France pour y assurer, notamment, des fonctions politiques au plan national.
"Le stupéfiant image"
"Le stupéfiant image" témoigne d'une autre forme d'engagement, celui d'un regard porté avec davantage de recul sur cette production humaine singulière: l'art. Ces différents textes ont été écrits sur une vingtaine d'années mais sont ordonnées suivant la chronologie de l'art de Cro-Magnon à Roger Pic, photographe grand reporter pour lequel Régis Debray choisit de présenter une photographie de Fidel Castro avec Che Guevara. La boucle est bouclée.
Dans ce qui pourrait apparaître comme une disparité, ces textes, traversant les siècles de la création, Rembrandt, Léonard de Vinci, jusqu'aux contemporains Matta, Crémonini, Hockney, Fromanger notamment, révèlent le regard posé sur ce mystère. L'auteur ne laisse pas de côté ses humeurs personnelles lorsqu'il s'interroge sur ce qu'est une exposition de nos jour.: "A quoi servent les expositions ? D'abord à ceux qui les font (...)
Mais surtout on doit à cette vogue deux catégories de professionnels nouvellement arrivés sur notre scène mythologique : le scénographe venu du théâtre, qui met en espace et dramatise le discours; et le commissaire ou curator, souvent venu de l'histoire de l'art, qui fait des choix et compose une chronologie. Les deux sont passés au premier rang, avec leur nom en capitale sur l'affiche". Outre que cette dernière affirmation est inexacte, elle balaie, me semble-t-il, un peu rapidement la réflexion sur ce sujet. Mais il n'est pas interdit d'avoir des humeurs.
Le sixième sens des peintres
Par affinité personnelle, je retiendrai le texte récent sur Gérard Fromanger. C'est d'ailleurs le portait de Michel Foucault par Fromanger qui orne la couverture de son livre. Dans ce texte écrit à l'occasion de la grande exposition Fromanger de 2012 à Landerneau (dont le nom de la commissaire d'exposition était invisible sur l'affiche ! ) l'auteur sait brillamment
exprimer cette singularité de l'artiste: " Télépathie ou prémonition, les peintres ont un sixième sens. Comme les chats, les hirondelles et les lézards sentent le tremblement de terre avant qu'il n'arrive, les grands intuitifs pressentent les bouleversements".
Cette observation se vérifie, en effet souvent ne serait-ce qu'à l'ère contemporaine. Le premier Ready-made de Duchamp en 1913 précède la grande guerre, les remises à plat de la peinture en 1967 par les peintres de Supports-Surfaces ou de BMPT en France participent aux premiers signes annonciateurs de 1968.
Si bien que le stupéfiant image mérite de ne pas être pris comme une drogue aliénante. Il semble avoir des vertus éclairantes sur notre monde.
"Les ateliers ont un flair que n'ont pas les écritoires" conclut Régis Debray.
"Le stupéfiant image"
Régis Debray
Gallimard 2013