Philippe Alain
Lyon, lundi 2 décembre 2013, à 6 heures du matin, la température avoisine zéro degré quand plusieurs dizaines de policiers pénètrent dans un squat occupé depuis 3 mois par des familles Roms. Il s’agit d’une expulsion, une de plus, une de trop, alors que les hébergements d’urgence sont déjà saturés, le préfet décide de jeter à la rue des familles entières dont de très nombreux enfants. Mais cette fois, la police va gazer tout le monde.
Une expulsion qui dérape
La semaine dernière déjà, des rumeurs d’expulsion avaient courues. Personne ne voulait y croire. Le bâtiment occupé est vide depuis plusieurs années. Il n’existe aucun projet sinon celui de sa destruction dans un futur lointain. Squatté par des jeunes, le bâtiment est libéré au mois d’août suite à une décision de justice. Mi- septembre, des familles Roms expulsées d’autres squats occupent à nouveau le bâtiment.
Ce lundi matin, des jeunes étaient présents pour manifester leur soutien aux familles. Certains ont même dormi sur place. A 7 heures du matin, alors que l’expulsion est en cours depuis plus d’une heure et que les baluchons obstruent le trottoir, les familles décident de s’asseoir devant le bâtiment, au milieu de la rue. Dernière tentative symbolique pour protester contre le sort que leur réserve la préfecture et la promesse de passer l’hiver à la rue. Parmi ces enfants qui s’assoient par terre et qui sont scolarisés, certains ont été expulsés plus de 5 fois en un an. Et après on nous raconte que « ces gens » ne veulent pas s’intégrer. Essayez donc de suivre une scolarité normale quand vous changez de quartier 5 fois dans l’année. Une école scandalisée par le traitement réservée à ses élèves a fait pression et obtenu un hébergement pour une famille du squat.
Alors que les enfants s’assoient par terre avec leurs parents et les personnes venues les soutenir, la police décide de dégager la rue. Les CRS coiffent leur casque de combat et montent au front. Arrivés à 5 h 45, voilà plus d’une heure qu’ils se gèlent à attendre que tout le monde sorte du bâtiment. Engagez-vous qu’ils disaient. A moitié congelés, les policiers ont enfin une occasion de se réchauffer un peu. Ils y vont de bon cœur. Courageux policiers qui traînent par terre des enfants accrochés à leurs mamans et qui ne comprennent pas bien ce déchaînement de violence. Les jeunes, eux, sont un peu plus difficiles à bouger car ils se serrent les coudent. Alors des coups de pieds pleuvent. Ca fait mal. Un policier arrache un sac et le balance sur le trottoir par dessus le groupe, manquant d’arracher le bras qui va avec. Une mêlée confuse s’en suit et tout-à-coup les jets de gaz lacrymogène jaillissent et dispersent tout le monde. Il faut voir cet enfant se rouler par terre de douleur en se tenant la tête, ou cet autre qui court dans tous les sens, les yeux fermés en criant. Un autre enfant vomit un peu plus loin. Les mamans pleurent. Une femme fait un malaise, une autre étouffe. Tout le monde est sous le choc. Ils ont osé.
Les mensonges de la préfecture
Dans un premier temps, la préfecture répond aux journalistes qu’il s’agit d’un squat d’anarchistes et non d’un squat de Roms pensant probablement qu’elle arriverait à faire avaler l’utilisation de gaz lacrymogène contre des enfants. En ce qui concerne les violences policières, personne n’est au courant au service communication de la préfecture. Quelques heures plus tard un communiqué très détaillé et très mensonger est publié : « "Une trentaine de personnes a tenté de faire obstruction en entravant la circulation sur le quai Perrache et en s'opposant violemment à l'action légitime des forces de l'ordre. Cette trentaine de troublions composée uniquement de militants anarchistes a été repoussée avec l'emploi de moyen individuel de gaz lacrymogène. Ces gaz se sont propagés dans le périmètre incommodant légèrement les personnes demeurées à proximité du site dont des membres de familles issues de la communauté Roms introduites dans les locaux par les anarchistes illicitement implantés ».
La police fait machine arrière et reconnaît que des familles Roms occupaient le bâtiment, mais pour justifier l’usage de gaz lacrymogène, elle ment sur les circonstances qui conduisent les policiers à perdre leur sang-froid et à gazer les femmes et les enfants. Elle parle de militants anarchistes qui entravent la circulation et s’opposent violemment aux forces de l’ordre. Les photos prises par des journalistes sur place montrent très clairement des femmes et des enfants présents au milieu de la rue. Les rapports des pompiers venus prendre en charge une femme et des enfants dont l’un est âgé de quelques mois contredisent également la version policière. D’autre part, quelques heures plus tard, on apprend l’arrestation de 2 personnes liées aux incidents survenus un peu plus tôt. Selon la préfecture elle-même elles ont été arrêtées pour "des faits d'injures, de crachat, d'outrage et de rébellion à l'encontre des effectifs policiers présents sur le site". C’est ballot quand même, pas un mot sur d’éventuelles violences… D’habitude on nous gratine de « violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique» avec une dizaine de jours d’ITT pour arrondir les fins de mois des policiers. Sur ce coup, rien.
A Lyon, il n’y a même plus besoin de recueillir des preuves et des témoignages pour mettre en évidence les mensonges de la police. Il suffit de lire ses communiqués.
La censure de certains médias
L’AFP prévenue plusieurs jours auparavant ainsi que le jour même de l’expulsion n’a pas écrit une ligne sur les évènements. Une équipe de télévision sur place au moment de l’expulsion a tourné des images qui n’ont pas été diffusées. Le gazage par la police d’enfants Roms ne doit pas constituer à leurs yeux une information digne de ce nom. Une dépêche de l’agence Reuters, reprise par des médias nationaux relate néanmoins les faits. Les médias locaux, probablement bien informés par des contacts sur place reprennent également les informations et relatent précisément les violences policières
Certains médias seraient-ils aux ordres ? Une remontrance de la préfecture et on ne traite pas un sujet ? Non… Ce n’est pas possible. Pas les socialistes. Eux qui avaient tellement critiqué la mainmise de Nicolas Sarkozy sur les médias.
Des diagnostics appliqués à coups de gaz lacrymogène
Les associations se plaignent depuis plus d’un an que le préfet du Rhône, Jean-François Carenco, refuse d’appliquer la circulaire inter-ministérielle du 26 août 2012 censée encadrer les évacuations de campements illicites et prévoyant notamment des diagnostics individuels. On connaît maintenant la méthode Carenco. Soucieux de ne pas gaspiller l’argent public, il confie les diagnostics, non pas à des assistantes sociales, mais à des policiers. Rapide, pas cher, il fait d’une pierre deux coups. Puisqu’ils sont sur place au moment de l’expulsion, ils font le diagnostic dans la foulée.
Attends, je vais te diagnostiquer moi. Des diagnostics tu en veux, en voilà, aller hop un coup de gaz lacrymogène. Tu en veux un autre, aller hop, un autre coup de gaz lacrymogène. Si avec ça tu n’as pas compris que tu as vocation à retourner en Roumanie, je ne sais pas ce qu’il te faut.
Un précédent gravissime
Alors que depuis 2 ans, la préfecture n’avait jamais accordé le concours de la force publique contre des familles Roms pendant la trêve hivernale, voilà que le préfet change d’avis. Il y a quelques mois, devant des associations, il promettait pourtant de ne pas expulser de squats pendant l’hiver. Les municipales ? La volonté de faire plaisir à son ami Gérard Collomb, maire « socialiste » de Lyon ? Les déclarations encourageantes de son patron Valls accusé d’incitations à la haine raciale contre les Roms ? Une amnésie subite ? Pourquoi donc a-t-il changé d’avis ?
Jeter des enfants à la rue dont des nourrissons, cela ne semble pas affecter beaucoup la préfecture, représentante de l’Etat socialiste raciste qui viole les traités internationaux en persécutant la plus grande minorité d’Europe. L’usage illicite de gaz lacrymogène contre des enfants Roms pour disperser un attroupement pacifique à laquelle ils participaient ne semble pas beaucoup l’émouvoir non plus.
Manuel Valls, ministre de l’intérieur, déclare régulièrement que les Roms ont vocation à retourner en Roumanie. A force d’entendre les déclarations du premier flic de France, de plus en plus de policiers se disent qu’il faut en finir et ils n’hésitent pas à régler le problème à leur manière.
Jusqu’où iront-ils pour chasser les Roms ?