Un drôle de bonhomme !

Publié le 16 décembre 2013 par Dubruel

Un drôle de bonhomme !

Qu’il était drôle, Pavigné !

Avec ses jambes d’araignée,

Son petit corps, ses longs bras

Ses cheveux rouges et gras.

Clown naturel,

Il savait à peine lire,

Mais possédait l’art de faire rire

Les paysans auxquels

Il jouait des rôles

Simples et drôles.

Les filles ne lui résistaient point.

Il les entrainait dans un coin,

Les chatouillait, les pressait…

Elles, riaient et s’amusaient.

Il les renversait.

Toutes y passaient.

Engagé pour la moisson

Chez maître Caron,

Le sacripant

Régala son auditoire

De facéties jubilatoires,

Trois semaines durant.

Le jour, il liait les blés

À grands gestes endiablés.

La nuit, dans le grenier, il câlinait

Les femmes et les cajolait,

Puis détalait à quatre pattes.

Les paysannes éclataient de rire

Et lui jetaient leurs savates.

Le dernier jour des moissons, Pavigné,

Tel un satyre,

Gambillait, grimaçait, chantait

Au milieu des femmes dépeignées,

Vautrées sur le char qui cahotait.

Il voulut faire une galipette

Mais il rata son coup,

Tomba de la charrette,

Heurta une roue,

Et s’aplatit dans le fossé.

On lui toucha la jambe, il beugla.

On le mit debout, il s’affala.

-« Il a une patte cassée.

Faut prévenir le docteur. »,

Fit Sauveur.

À l’hôpital,

Pavigné fut royal.

Il clignait de l’œil ou retroussait son nez

À la religieuse qui le pansait.

Ses voisins de lits se pliaient de rire.

Même la Supérieure venait se divertir.

Pour elle, il trouvait des blagues inédites.

Puis il se fit dévot, prosélyte.

Il parlait du bon Dieu sans badiner,

Allumait les cierges, remplissait le bénitier…

Une sœur lui apprit des cantiques.

D’une voix angélique,

Il louait la Vierge Marie,

Les séraphins et le Saint Esprit.

La Supérieure lui donnait le ton

Et il chantait les répons.

Tous les dimanches, il servait la messe.

Ses manières firent florès :

La chapelle

De l’hospice s’emplissait.

Les fidèles

De la paroisse désertaient !

À sa totale guérison,

La Supérieure lui fit don

De vingt-cinq francs.

C’était d’l’argent !

Il s’arrêta dans un café

Où il commanda deux ou trois guignolets.

Puis, tout gai,

Il s’en est allé

En quête d’un lieu de délices

Qu’il trouva à midi.

Une femme de service lui dit :

« C’est l’heure de fermeture officielle. »

Il la fit rire, sortit son escarcelle,

La soudoya, réclama et attendit.

La porte d’une chambre s’ouvrit.

Une fille parut, grasse et rouge.

Pavigné s’écroula sur le lit du bouge.

D’un coup d’œil sûr, elle lui dit :

-« T’as pas honte, à c’t’heure-ci ? »

-« De quoi, princesse ? »

-« Mais de déranger une hôtesse

Avant sa soupe, espèce de zouave !»

-« Y a pas d’heure pour les braves. »

-« Y a pas d’heure non p’us,

Vieux pot, pour ceux qu’ont bu !»

-« J’suis pas un pot, et j’suis pas saoul. »

-« Pas saoul ? »

-« Non, pas saoul. »

-« Tu pourrais seulement pas tenir debout ! »

Fâché, Pavigné se dressa :

-« Même, que j’danserais la polka. »

La fille le frappa à l’estomac.

Il trébucha, fit une pirouette,

Et tomba,

Entrainant dans son élan

Le cruchon d’eau et la cuvette.

Il eut des cris si perçants

Que toute la maisonnée accourut.

On voulut

Le relever

Mais Pavigné s’écroulait :

-« Dire qu’on vient de réparer

Mon aut’ jambe ! C’est pas vrai ! »

On alla chercher le médecin.

-« C’est encore vous, espèce de sac à vin ! »

-« Oui, m’sieu. » -« Qu’avez-vous ? »

-« L’aut’ jambe ! La femelle me l’a cassé itou. »

-« Menez-le à l’hôpital, d’où il sort d’ailleurs. »

Quand il arriva à l’hospice des sœurs.

La Supérieure l’accueillit : -« Cette fois, 

Pavigné, vous avez quoi ? »

-« L’aut’ jambe cassée, ma sœur. »

-« Encore un char de paille, farceur ? »

-« Non, mais vous allez trouver ça cocasse :

C’était encore une paillasse ! »

La Supérieure n’a jamais su

Que cet accident

Etait du

À son bienfait d’argent.

(d'après Maupassant : les 25 francs de la mère supérieure)