Après les primes de Noël de nos ministres qui s’efforcent de nous faire comprendre que nous devons faire des efforts, mais pas eux, je préfère vous parler d’un ami et de son chien ; c’est un homme simple et généreux, qui vit avec une incomplète modeste retraite, parce qu’un imbécile de fonctionnaire s’est trompé en inscrivant son numéro d’enregistrement, au point qu’il n’en perçoit que la moitié depuis plusieurs années, il a fait toutes les démarches possibles, mais on lui répond que c’est un problème informatique qui ne peut pas se régler aussi facilement, alors, il attend, patiemment en espérant chaque jour que le fonctionnaire en question pensera à lui, mais cette pensée tarde à venir…
Pour ceux qui ont un outil informatique, chacun sait que changer une lettre dans une cellule prend à peine quelques secondes, mais, il semble que pour l’administration, cela soit plus compliqué, alors, sans se préoccuper de savoir comment il vit, ou survit, il attend son complément de retraite, alors que l’administration doit attendre de son côté qu’il casse sa pipe ainsi, la Caisse de Retraite aura fait une économie et elle pourra verser leur prime aux fonctionnaires de l’Elysée.
En dehors de cela, il y a quelques années, une de ses sœurs, voyant son frère en grande souffrance, décida d’acheter un petit terrain que mon ami appelle son jardin, où le « jardin de Bichon » en l'honneur de son merveilleux ami, un médecin qui l’a « adopté » et élevé avec ses propres enfants, mais son ami est parti rejoindre les anges il y a quelques années dès lors, Émilio vit dans son souvenir et honore sa mémoire. Il me raconte parfois des anecdotes croustillantes sur leur amitié indéfectible, comme je comprends sa peine. Son jardin, c’est son refuge, son trésor sacré.
De cette terre en friche, il en a fait un petit paradis discret, un potager merveilleux, dans lequel il se rend tous les jours, ah, si seulement il avait l’eau et l’électricité, c’est là qu’il vivrait avec son chien et il serait heureux comme un pape.
Il est simple mon ami Émilio, il n’a pas besoin de grand-chose, un peu de soleil, une radio avec une antenne tordue pour écouter de la musique classique en lisant des ouvrages historiques, ou les grands classiques de la littérature du XXe siècle, la dernière fois, il m’a lu quelques verts de Prévert, tirés de « Paroles », c’était magnifique, nous étions sous la tonnelle, le mirabellier allait bien donner cette année et nous étions tranquilles avec les chiens qui mangeaient les fruits encore verts tombés sur le sol.
Il a également la TV dans son appartement, pour regarder des films avec les dialogues d’Audiard, mais surtout, les reportages sur la nature, et sur les pays lointains, la Mongolie :
- Oulan-Bator… répétait-il, Oulan-Bator, si je gagne au Loto, j’irais à Oulan-Bator.
- T’as une chance sur 19 millions de gagner, mais pourquoi Oulan-Bator, lui demandai-je.
- J’sais pas, c’est un mot qui m’est resté dans la tête, ça me plait bien, Oulan-Bator...
- À cause de Michel Strogoff ?
- Mouai, peut-être… Je ne sais pas, mais j’irais bien là-bas avec Athos.
Athos, c’est le chien, c’est un croisé Berger Allemand et… je ne sais pas au juste avec quelle race il est croisé, et pourtant, je m’y connais en chien, mais là, je cale, d’autant qu’il est très grand. C’est son ami le Docteur V. qui lui a cédé lorsqu’il nous a quitté, il avait été adopté à la SPA, jeté d’une camionnette sur la route comme un sac d’ordures, peut-être est-ce pour cette raison qu’il ne supporte plus les camionnettes blanches. C’est un être spécial, puissant, robuste, d’une gentillesse exceptionnelle, Athos est un chien qui s’exprime et qui le fait savoir, c’est le meilleur ami d’Emilio, et Émilio, c’est mon ami.
Lorsqu’il se rend quelque part avec Athos en voiture, c’est un cauchemar, le chien ne cesse d’aboyer dans les oreilles de son conducteur, et dans celles de votre serviteur lorsque je les accompagne, il pleur, il geint, c’est paradoxal de voir cet animal si puissant, à cet instant si faible, si inquiet, ou parfois, si excité.
La semaine dernière, Émilio m’a amené voir un ami dans la montagne, sur le chemin, Athos ne cessait de manifester son excitation en nous gueulant dans les oreilles et en geignant comme une bête à l’agonie :
- Oh, mais il va me rendre fou ce chien… Athos ! Tais-toi ! s’énervait Émilio tout en conduisant.
Tu parles, le chien, il arrêtait pas de gueuler, moi je croyais naïvement que c’était de l’angoisse :
- Mais non, il croit qu’on va aux champignons...c’est le même chemin.
Athos, adore aller aux champignons, il se rend utile à son maître et comme il aime son maître, il adore aller aux champignons. Depuis qu’il a vu Émilio ramasser des cèpes et autres espèces bigarrées poussant sous les arbres, Athos ouvre la marche et s’arrête devant chaque belle pièce, comme un officier au garde-à-vous, à défaut de trouver des truffes, il en a une fameuse et ne se trompe jamais. Un jour, il m'amènera, mais attention, les coins de cueillettes sont tenus secrets, et les secrets, Émilio il sait les garder. C'est comme les sources, "ça ne se dit pas" disait Lili des Bellons.
Ah ces deux là, sont de vieux complices, dès qu’Émilio sort de son champ de vision, Athos s’inquiète, il a peur de l‘abandon, mais cela n’arrivera jamais grâce à ce lien partagé entre ces deux êtres. Athos a plus de dix ans, Émilio me fait part de son inquiétude, il a déjà perdu un chat avec lequel il avait une relation osmotique, un petit chat qu’il avait trouvé dans une poubelle et qui se blottissait dans le creux de son épaule durant de nombreuses années, comme il l’a aimé son chat, comme son chat l’a aimé. Un jour Émilio a eu un problème cardiaque, il a été hospitalisé, quand il est rentré chez lui, « Bijou » l‘attendait et lui a sauté au coup comme un humain heureux de retrouver un parent, quand il en parle, il est encore bouleversé :
- Je la pleure encore… dit-il parfois avec amour et humilité.
Elle est toujours avec lui, « bijou », dans son vieil appareil photo numérique, elle ne le quitte jamais, parfois il le sort de sa poche et me la montre, en me racontant une nouvelle anecdote, c’est émouvant de voir combien les hommes peuvent aimer les bêtes et réciproquement.
La mort est quelque chose de terrible pour un solitaire, surtout celle de ceux qu’il aime, et Émilio adore ses bêtes, même s’il ne le montre pas, elles le savent.Avant l’hiver, j’avais un tapis en laine de Lama que je gardais pour mes chiens, je leur ai proposé, ils s’y sont posés une fois, puis, c’était terminé, je me disais :
- Mais enfin, il faudrait tout de même qu'il serve ce tapis, bon, si vous n’en voulez pas, je le donnerais à Athos !
Mes chiens m’ont regardé, ils n’ont pas eu l’air de contester ma décision, car Athos, c’est leur meilleur copain. Quelques jours plus tard, je vis Émilio et je lui proposai le tapis :
- Mouai, pourquoi pas. Me répondit-il de sa mine désinvolte.
Le soir, Émilio me téléphona :
- Dis, tu sais le tapis que tu m’as donné pour le chien… - mince, me disais-je, il ne l’aime pas - Et bien, tu devrais voir ça, Athos, il est dessus, il ne le quitte plus et si je m’approche pour toucher le tapis, il grogne comme c’est pas possible, alors ça, tu lui as fait plaisir à Athos. Attends, je te montre, je vais m’approcher…tu entends ça comme il grogne…
Je n’ai pas entendu grand-chose au téléphone, mais j’étais heureux pour Athos, la douce chaleur de la laine de Lama devait réchauffer son dos fatigué et Émilio était content de voir son chien, son ami aussi satisfait.
Émilio est un homme qui ne sait pas dire non, je ne puis pas affirmer que c’est un défaut, mais les gens sont tellement salauds, qu’ils en profitent bien.Un jour, un voisin est venu le voir pour lui parler de ses problèmes d’argent, Émilio a été ému, touché et il a proposé de prêter quelques milliers d’Euros qu’il n’avait pas, il a fait un emprunt à la banque pour ses voisins, et comme c’était des gens honnêtes, ils l’ont laisser payer pour eux et ne l’ont jamais remboursé, lui, pour acquitter la dette de ses braves voisins, ces braves gens, il a travaillé tous les dimanches pendant des mois, des années, ça ne les a pas gêné le moins du monde, et lui, il n’a rien dit, c’est du passé, il est comme ça Émilio. Parfois lorsqu’ils croise « ses amis », il les salue de loin, eux, ils ne sont pas embarrassés, il doivent se dire :
- C’est un bave con…
Mon ami est tout sauf « un brave con », c’est un être d’une humanité rare qui pourrait illuminer la lumière de tous ces mécréants malfaisants qui finiront dans les tréfonds d’un enfer à bouillir dans une marmite jusqu’à l’éternité. Quand il me raconte cette histoire, je repense à Marcel Aymé et à son livre « Le Vin de Paris », dont Claude Autant-Lara a fait cette merveilleuse adaptation cinématographique avec « La Traversée de Paris », je repense à Gabin qui lance sa piquette sur le misérable étalage de verres et de bouteilles vides en hurlant sur le patron, son odieuse rombière et les clients partisans et craintifs, les affreux :
- Salauds de pauvres…
http://youtu.be/zhpzHWcf8rA
Il a des copains Émilio, d'autres "affreux" il aime bien cette notion d’amis d’antan, mais les copains ne sont plus comme dans le temps, ils ont changé. Il en a un, « La Cigale » toujours tiré à quatre épingles, qui s’exprime fort bien, d’une certaine éducation, il adore délivrer sa science et se prend pour un intellectuel de province à inonder de son savoir les péquenauds naïfs, il peut se montrer très agréable jusqu'au moment où il demande :
- Tu n’aurais pas 20 euros à me prêter ?
20 euros, c’est une somme pour un homme qui paye ses impôts locaux, son loyer, son essence, son téléphone, sa nourriture, et qui a moins de 700 euros/mois pour vivre.
- Ouai, tiens. il les lui tend, c'est tout ce qu'il avait dans son porte-monnaie.
Il ne sait pas dire non, mais l’autre à la main avide, ne sait pas ne pas demander. Émilio me dit :
- Tu sais, je ne comprends pas ce type, il n’a pas d’argent, et pourtant il a toujours une bouteille de whisky pleine à la maison et pas de la piquette, je peux t’assurer. Combien ça coute une bouteille de whisky ? me demanda-t-il.
- Entre 15 et 20 euros, je crois. Répondis-je
- Bien voyons. Et si tu voyais comment il s’habille, la paire de gants qu’il avait l’autre jour, des gants de luxe, ça coute une fortune et il vient me demander de l’argent.
- Il est vrai que c’est un homme très élégant.
- Je t’ai pas dit, la dernière fois, il m’a demandé de passer chez lui, il avait un problème. Il m’a donné une enveloppe avec des billets de banque étrangers, tu sais c’est de la pub, avec des fac similé de billets de banque, et l’autre me dit : tu sais, c’est de l’argent, tu veux pas aller à la banque avec ces billets pour les changer en euros, tu me donnes un peu et tu gardes ce qu’on te donnera. Non mais, il me prend vraiment pour un con celui-là. Et encore, il m’a appelé parce qu’il avait acheté un téléphone portable à 80 euros et il ne savait pas comment ça marchait. Tu penses, il ne savait pas son code pin, et en plus, il avait bouffé son crédit, alors c’est sûr, son téléphone, il ne marchait plus et il me demandait de le faire marcher. Tu parles… Ah, les copains… j’te jure.
15 jours plus tard « La Cigale » est revenue à la charge pour lui dire :
- Tu sais, les 20 euros je ne pourrais pas te les rendre, mais tu ne pourrais pas me prêter encore 10 euros pour que j’achète du pain ?
- 10 euros pour du pain ? Tu vas chez Lidl ça coute 30 ou 40 cents la baguette.
- Oh, mais c‘est que je n’aime pas le pain de Lidl, moi.
- Et bien moi, si j’ai faim, pain de Lidl ou pas c’est du pain, merde alors, il se prend pour qui celui-là… me dit-il contrarié par une telle attitude.
Plus tard Émilio rencontra Daco, un autre copain qui aime bien parler et raconter des histoires sur les chinois ci et les chinois ça, Émilio, il en a marre des chinois, mais cette fois-ci Daco lui dit :
- Tu sais ton copain, « La Cigale », il m’a demandé 35 euros la dernière fois.
- 35 euros ? Et bien, t’es pas prêt de les revoir, parce que moi, je lui en ai prêté 20 et je ne sais que je ne les reverrais jamais.
À partir du printemps, « La Cigale », se présente au jardin d’Émilio pour lui dévorer ses fruits et profiter de son hospitalité, il n’apporte jamais rien, en dehors de sa bonne humeur qui n’a pas de prix et se contente de profiter du peu que possède mon ami, mais enfin, c’est une compagnie. Il a un autre ami, plus discret, qui ne lui demande pas de la même façon, la dernière fois, l’autre lui proposait d’aller à 50km pour observer le paysage et la vallée :
- Mouai, ce serait pas une mauvaise idée… répondit Émilio.
- Bon, mais si on y va, tu ne pourrais pas me donner 10 euros que je mette de l’essence dans ma bagnole… lui demanda l’autre.
Émilio, n’y est pas allé. Il était contrarié lorsqu’il m’a raconté cette anecdote :
- Mais tu te rends compte, ils sont tous là à me demander de l’argent, mais est-ce que j’en ai moi de l’argent ? D’ailleurs, je ne demande jamais rien à personne, comme ça, je suis tranquille.
- C’est parce que tu as ce jardin, ils croient que tu es riche.
- Bien merde alors…
En dehors de l’argent, l’autre lui a demandé s’il ne pouvait pas profiter d’une petite parcelle de son terrain pour cultiver quelques légumes pour sa consommation personnelle, Émilio a dit oui, mais je le connais, c’est lui qui fera tout le travail et j’imagine déjà les histoires. Dans le jardin d’à côté, ils sont trois sur une parcelle, et ils s’engueulent, parce qu’il parait que des légumes disparaissent, il y aurait un voleur, un voleur de courgettes et de salades… le misérable... encore un pauvre, appelez la Police...
À force d’être bon avec tout le monde, on lui mange les poux sur la tête et cela me peine de voir que l’homme profite de son prochain sans jamais partager, un peu comme nos ministres qui s’auto congratulent en s’attribuant des primes alors que les Français, les primes, ils s’asseyent dessus en payant plus d’impôts et de taxes et quand je pense que certaines primes de Noël dépassent 10 000 euros, mon ami Émilio perçoit à peine 10 000 euros par an pour vivre, n’est-ce pas indécent ?
Il y a des parasites à tous les niveaux de l’échelle sociale, et les valeureux, sont ceux qui doivent constamment subir leurs attaques et leurs comportements outrageants.
Nous vivons une époque formidiable…