Fort connu pour être l’un des groupes fondateurs du mouvement industriel aux côtés de Throbbing Gristle ou encore SPK, le trio originaire de Sheffield, berceau métallurgique anglais, est devenu au fil des ans un incontournable de ce courant musical politiquement incorrect, puisant son inspiration dans de nombreux ouvrages littéraires d’anticipation (notamment Ballard, William Burroughs et plus tard William Gibson), précipitant la civilisation moderne dans une chute inéluctable mais également un climat social mondial désastreux, les conflits liés à la Guerre Froide et les résultantes des bombardement durant la Seconde Guerre Mondiale. Le groupe, dont le patronyme est largement influencé par le mouvement dadaïste mais également un hommage au célèbre café-cabaret zurichois, doit sa reconnaissance à des performances acoustiques d’une rare violence en association à une désinvolture scénique parfois choquante qui lui vaudra d’être immédiatement signé sur le label Industrial Records fondé alors par Genesis P-Orridge et Peter Christopherson. Réduits à la forme de duo au début des années 80, ces expérimentateurs de génie et artistes touche-à-tout révolutionnent une fois de plus la musique grâce à quatre albums pondus successivement entre 83 et 85. Plus que des recueils de morceaux à la fois géniaux et sans concessions, The Crackdown, Micro-Phonies, Drinking Gasoline et The Covenant, The Sword And The Arm Of The Lord posent les pierres fondatrices de ce que l’on appellera plus tard l’EBM, la new wave et la techno. Avec ces quatre masterpieces compilées dans un somptueux coffret complété d’inédits et de vidéos indisponibles à ce jour, cette réédition réalisée sous la houlette du label Mute, qui a récupéré le catalogue du groupe, se révèle être à la fois un objet de convoitise pour tout fan de Cabaret Voltaire mais aussi l’une des clés de la compréhension de l’ascension de ce groupe sur lequel n’a jamais cessé de planer un voile de mystère. Une initiative plus que bienvenue qui devrait faire des heureux… Enfin une poignée car l’objet édité en série limitée est voué à devenir collector.
Élevé au rang d’institution par les aficionados, étrange laboratoire des curiosités pour le profane, vous l’aurez rapidement compris, la musique de Cabaret Voltaire laisse difficilement indifférent. Et alors que Red Mecca et Hai!, parus l’année précédente, laissaient l’auditeur la chaise entre deux culs, The Crackdown marque un virage radical à 180° consacré par la suite par l’imparable Micro-Phonies. Les Anglais délaissent peu à peu l’improvisation empruntée au free-jazz pour se consacrer à des mélodies plus élaborées mais toujours empreintes de l’expérimentation la plus folle. On retrouve alors avec un bonheur absolu ces comptines DIY dont le son marque l’apogée de ces vieux synthés Casio et l’utilisation approximative de sampleurs analogiques, donnant le sentiment extrême d’être face à un enregistrement live. Une touche d’authenticité qui transformera rapidement des titres comme Talking Time, Over and Over ou encore In Just Fascination en perles électroniques avant-gardistes et façonnera directement le style d’artistes comme Depeche mode, Fad Gadget mais aussi Soft Cell. Et que dire de Micro-Phonies, dont Ministry extraira le barré Slammer pour modeler son premier succès, Over the Shoulder ? Poussés par le boss de leur label, Some Bizzare, à s’orienter dans un domaine plus électro, Cabaret Voltaire enfonce le clou avec des morceaux comme Do Right, Spies in the Wire, Sensoria, The Operative… Le duo combine avec habileté post-punk crasseux et électro minimale hantée tout en continuant de véhiculer des messages politiques hargneux et à rejeter une société impie qui s’entre-dévore. Un exploit en partie dû au travail d’un certain Flood qui donnera plus tard ses lettres de noblesse à l’EBM dont nous vivons ici les balbutiements, en mixant notamment les premiers albums de Nitzer Ebb. Et si on passera plus rapidement sur Drinking Gasoline, marqué néanmoins par le single Sleepwalking, l’EP marque la nouvelle transition du band de Sheffield, s’orientant dans un domaine qui sied parfaitement à Section 25 ou 23 Skidoo avec lequel le duo partage une affinité : la musique noire. Avec The Covenant, The Sword And The Arm Of The Lord, Richard H. Kirk et Stephen Mallinder subliment ce qu’ils appellent le future-funk, et ce dès l’ouverture de l’album, L21ST marquant les esprits de son slap synthétique improbable et de son groove froid comme la mort.
À ces quatre ogives viennent s’ajouter deux CD dont le premier fait office de best-of de cette période charnière, autour d’une compilation de quelques-uns des meilleurs tracks de ces quatre albums au format single et dont le second prolonge l’expérience autour de faces B méconnues mais pourtant délicieuses paru sur les maxis. Et enfin, pour clôturer, Mute se fend de la réédition DVD dans une version remasterisé de Gasoline in Your Eyes, recueil des meilleurs clips de Cabaret Voltaire où Richard H. Kirk fait montre de ses talents de réalisateur de génie mais également de sa maitrise du cut-up, et aussi, dans un second disque, deux prestations live enregistrées en 1984, restituant parfaitement la grandiloquence et démesure scénique d’un groupe que nous ne sommes malheureusement pas près de revoir sur les planches. Alors que l’on soit adulateur, sceptique, curieux ou bien mélomane, il n’y a aucune mauvaise raison pour que ce coffret ne figure pas sous son sapin, peut-être tout simplement parce que non content d’avoir à jamais changé le visage de la musique, Cabaret Voltaire a su bousculer les codes à une période où l’on pensait avoir tout inventé. En un mot : indispensable !