Chère lectrice, cher lecteur,
Suite à ma lettre sur l’accompagnement d’un être aimé dans ses derniers instants, j’ai reçu de nombreux remerciements de lecteurs qui ont traversé, ou traversent, cette douloureuse épreuve. Et beaucoup me demandent maintenant des conseils sur ce qu’il faut faire après la mort.
Ce sujet sort complètement du domaine de Santé Nature Innovation. Et il est très délicat car il dépend des circonstances du décès et des liens que l’on avait avec la personne décédée.
Néanmoins, je vais essayer de donner quelques pistes. Et je vais partir malheureusement, de ma propre expérience. Pardonnez-moi si ce que je vous dis ne s’applique pas à votre cas.
Valérie et moi avons perdu il y a six ans notre fille aînée Sandrine. Elle avait 12 ans. C’était une enfant toujours joyeuse, bonne élève, sportive, musicienne et passionnée d’origami (pliages japonais). Partout où elle allait, elle laissait sur son passage des fleurs, oiseaux et animaux de toutes sortes en papier de couleur, pour l’émerveillement des petits et des grands. Sa mort, la veille de ses vacances d’été, fut une catastrophe pour ses amis, sa famille et, plus que tout, pour nous.
De nombreuses personnes nous ont alors dit que ce qui nous arrivait était « ce qu’il y a de pire pour des parents ».
Mais ce n’est pas exactement ce que nous avons ressenti. Pour nous, la disparition de Sandrine fut d’abord l’occasion de réaliser la chance que nous avions eue de l’avoir. Bien sûr, nous aurions aimé qu’elle vive plus longtemps. Bien sûr, chaque fois que nous pensons à elle, nos yeux se mouillent de larmes. Mais douze ans de bonheur avec elle, cela nous a déjà paru un don considérable. Nous repensons tout le temps à la joie que nous avons éprouvée à sa naissance, lorsqu’elle nous fit son premier sourire, lors de sa première rentrée, et des innombrables moments de bonheur qu’elle nous a apportés. Tout cela, rien, ni la mort, ne pourra jamais nous l’enlever.
Voici comment nous avons décidé de vivre les jours et semaines qui ont suivi son décès.
Il était capital de ne pas nous laisser complètement emporter par la douleur, ne serait-ce que parce que nous avions d’autres enfants qui comptaient sur nous. Nous avions aussi toujours voulu être réalistes et ne jamais oublier que mettre des enfants au monde, c’est forcément accepter le risque de les perdre. On ne peut pas avoir l’un sans l’autre.
Alors voici ce que nous avons fait, concrètement.
Habits noirs
On nous dit aujourd’hui que chacun doit faire son deuil selon ses envies, ses croyances. Mais depuis la nuit des temps, les hommes accomplissent certains rites lorsqu’ils perdent un proche. Les origines de ces rites nous sont inconnues. Cela veut-il dire qu’ils sont inutiles, qu’on peut les changer comme on veut, ou même s’en passer complètement ? Ce n’est pas ce que nous avons ressenti.
Les rituels mortuaires n’ont pas seulement une signification religieuse ou psychologique, ils ont également une signification sociale. Ils aident à s’identifier soi-même, et aux yeux des autres, comme étant en deuil.
En voyant ma fille chérie partie, j’ai compris que ma vie ne serait plus jamais la même. Il m’est alors apparu nécessaire de marquer ce profond bouleversement par un changement de tenue vestimentaire. Je me suis souvenu que les gens s’habillaient en noir autrefois pour marquer le deuil, et j’ai donc mis un pull noir, un pantalon noir, des chaussettes et des chaussures noires. Aussitôt, cette « nouvelle » tenue, correspondant à ma « nouvelle » vie, m’a donné la liberté de vivre mon chagrin intérieurement et extérieurement, et cette cohérence m’a donné de la force. Car contrairement à ce qu’on peut imaginer, les habits de deuil n’augmentent pas le chagrin, ils aident à dompter la douleur. Ils m’ont permis d’attendre avec confiance et sans aucune impatience que le « travail de deuil » ait fait son chemin, jusqu’au jour où je me suis senti à nouveau l’envie de ré-intégrer symboliquement la société des hommes, en m’habillant comme eux. Mais pendant environ un an, la douleur de cette perte m’a mis à part, je me suis tenu à distance extérieurement en portant des habits de deuil, et cette distance m’a protégé.
Peut-être vous semble-t-il bizarre d’avoir commencé par cela mais il faut savoir qu’une fois le décès constaté, il n’y a plus aucune urgence. Vous avez le temps de réfléchir et de faire ce qui vous paraît nécessaire.
Condoléances
La seconde chose importante est les condoléances. Là, évidemment, vous ne pouvez rien faire puisque ce sont les autres qui se manifestent. Mais ce point est vraiment capital.
Avant la mort de Sandrine, j’avais toujours hésité à présenter mes condoléances à une personne éloignée, craignant de ne pas paraître assez sincère. J’hésitais à déranger les personnes en deuil par des visites ou des appels intempestifs. Graves, très graves erreurs !! Après le décès, vous avez énormément besoin de présence, de réconfort, d’affection, d’aide et donc de… condoléances.
Je dirais même que, plus la personne est éloignée, plus les condoléances vous touchent, car il est moins évident, et donc moins attendu, qu’une lointaine connaissance se manifeste dans ces circonstances que vos proches parents.
Dans les minutes et heures qui suivent le décès, vous avez besoin que l’on vienne physiquement près de vous, même si vous avez l’impression de vouloir rester seul. L’arrivée de personnes est en effet une façon de reconnaître officiellement l’importance et la gravité de l’événement. On ne se déplace pas, on ne va pas chez les gens sans une bonne raison.
C’est pourquoi je me permets de vous donner le conseil suivant : la prochaine fois qu’une personne de votre entourage perd quelqu’un, rendez vous chez elle immédiatement, apportez un repas, surtout s’il y a des enfants dans la maison, car les parents auront certainement oublié de préparer à manger ou d’aller faire les courses. Si vous ne pouvez pas vous rendre sur place, manifestez-vous par tous moyens : téléphonez, écrivez, envoyez SMS, courriers électroniques, fleurs, tout ce que vous pouvez, et plusieurs fois si possible. Invitez les personnes en deuil chez vous, occupez vous d’elles, écoutez-les parler. Peu importe que vous n’ayez rien à dire, ou que vous ne disiez que des banalités. Parler de la mort est vraiment difficile, il n’y a pas toujours grand-chose à dire, et vous pouvez parfaitement rester silencieux. L’important est que vous soyez là.
Dans notre cas, ces visites, appels, messages et invitations nous ont prodigieusement aidés, y compris les plus formels. Ce fut comme une grue qui nous attrapait par le col et nous tirait de l’abîme qui venait de s’ouvrir sous nos pieds.
Veillée mortuaire
Autrefois, on veillait les morts pendant toute la nuit précédant la mise en bière (fermeture du cercueil). Le défunt était dans le cercueil ouvert, posé sur des tréteaux dans une pièce de la maison, éclairé par des bougies. La porte de la maison restait ouverte, entourée d’un voile violet, et toutes les personnes qui le souhaitaient pouvaient venir se recueillir près de lui, y compris les enfants, les voisins et même les passants. Cette étape était très importante car elle permettait d’apprivoiser l’idée que la personne est morte, de s’habituer à cette présence si étrange et différente de la personne que l’on avait connue vivante. Comme dans le cas des vêtements de deuil, on se trompe quand on imagine qu’un tel rituel aggrave la tristesse. C’est en fait le contraire qui se passe. Veiller son mort permet de s’apaiser, de prendre conscience que la mort n’est pas menaçante, qu’elle ne détruit pas la vie qui l’entoure, qu’il n’y a pas de raison d’en avoir peur.
Selon le Dr Christophe Fauré, psychiatre et auteur de « Comment vivre le deuil au jour le jour », voir le corps mort « permet l’intégration d’une réalité que tout en soi refuse. La perte demande à être incarnée pour qu’on puisse l’accepter ».
Aujourd’hui, il n’est plus coutume de faire une veillée mortuaire, et 80 % des décès se produisent à l’hôpital. Le corps est alors aussitôt lavé et emporté à la morgue. Néanmoins, des efforts sont faits dans beaucoup d’hôpitaux pour recréer un cadre où vous pouvez venir vous recueillir longuement auprès du défunt, avant l’enterrement ou la crémation. Il s’agit là à mon avis d’une chose extrêmement importante pour ré-humaniser la mort, et permettre aux personnes en deuil de traverser cette épreuve de façon moins douloureuse.
Obsèques
Une fois terminée la mise en bière, c’est la cérémonie des obsèques. L’organisation dépend bien sûr des croyances de chacun. Mais notre expérience nous a convaincus qu’il est essentiel de faire les choses avec le plus de soin et de beauté possible. Contrairement encore une fois à ce que l’on entend souvent, l’argent dépensé pour l’enterrement d’un être qu’on a beaucoup aimé n’est pas perdu. Pour nous, êtres humains, les choses matérielles sont un moyen essentiel d’exprimer notre amour. Et celui qui offre est souvent celui à qui le cadeau fait le plus plaisir.
Il nous a semblé évident, pour une enfant que nous avons tant aimée, de faire le plus magnifique des enterrements, avec le plus de bougies, le plus de chants, le plus de fleurs fraîches et éclatantes, le plus beau cortège, et la plus belle des sépultures, choisie avec nos autres enfants.
Après les funérailles
Après les funérailles, inévitablement, les visites s’espacent, les lettres se font plus rares. C’est une nouvelle phase, longue, calme et douloureuse, qui s’ouvre. L’atmosphère du foyer n’est plus la même. On s’habitue peu à peu à l’absence et l’on commence à bâtir une relation nouvelle avec l’être aimé, une relation qui passe par l’esprit, la réflexion, la prière, voire l’imagination, puisque partout où l’on est, on se demande ce qu’aurait fait la personne si elle avait toujours été vivante.
Garder contact, par exemple en portant certains vêtements du défunt, peut faire du bien. Cela peut même être très important au début.
Toutefois, en cas de crémation, le psychiatre Christophe Fauré recommande de ne pas conserver les cendres chez soi. « Depuis les temps les plus anciens », explique-t-il, « les sociétés humaines ont instinctivement compris que les lieux des morts devaient être séparés des lieux des vivants : les cimetières étaient autrefois à l’extérieur des villes. Ainsi, le fait de conserver une urne funéraire chez soi, à l’intérieur, peut être un obstacle au déroulement harmonieux du deuil (…) Le processus de deuil a pour objectif de créer un lien intérieur avec la personne disparue, de devenir conscient qu’elle n’existe plus dans le monde extérieur. » (1)
Dans notre cas, nous avons mis dans notre salon une grande et belle photo de Sandrine, ornée d’un beau bouquet. Pendant les premiers mois, nous sommes allés plusieurs fois chaque semaine au cimetière à pied ou à vélo, en reprenant les chants et les textes lus le jour de son enterrement, pour nous recueillir sur sa tombe. Cela nous a permis de revivre ce moment si intense, et d’apprivoiser peu à peu les sentiments qui nous avaient profondément bouleversés.
Après avoir laissé s’écouler quelques mois, on passera de nombreuses heures à ranger, trier les affaires de la personne disparue, et conserver précieusement, dans le cas d’un enfant, ses premières lignes d’écriture, ses rédactions, ses lettres, ses plus beaux dessins, ses maquettes, ses photos bien sûr, ainsi que tous les témoignages envoyés par ses amis, ses professeurs, et les personnes qui l’ont bien connu. Mais il n’y a aucune urgence, il faut entreprendre cela lorsqu’on se sent prêt.
Faut-il parler du mort ?
Quand on rencontre une personne en deuil, on hésite toujours à lui parler du défunt. Par pudeur, pour éviter de « réveiller des souffrances », on croit qu’il est plus prudent de contourner le sujet, de parler d’autre chose. On imagine ainsi qu’on va distraire la personne en deuil, lui donner l’occasion de penser à autre chose, d’oublier, de s’évader pour un moment !
Quelle erreur encore une fois. Lorsque vous êtes en deuil, le défunt occupe votre esprit en permanence et, lorsque vous rencontrez quelqu’un, vous continuez à y penser. Forcément vous avez envie d’en parler et qu’on vous en parle : évoquer des souvenirs, revenir sur les circonstances de sa mort, sur les moments qui ont suivi… Plus important encore, lorsque vous re-voyez des personnes qui ont bien connu l’être que vous avez perdu, vous espérez qu’elles vont évoquer un souvenir que vous aviez oublié, une aventure ou même une simple anecdote sur lui que vous ignoriez. N’hésitez donc pas une seconde à le faire.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut parler que de ça. On pourra bien sûr passer ensuite à d’autres sujets, si on en a le temps. Mais arriver, passer toute la soirée à parler d’autre chose, puis repartir en ayant à peine abordé la question centrale fera certainement de la peine aux personnes en deuil, qui auront l’impression que leur douleur n’est pas comprise ou prise en compte. Elles resteront avec le sentiment que ce qui est si important à leurs yeux, et à leur cœur, est inexistant pour les autres. Et c’est d’autant plus regrettable que ce sera justement par délicatesse, et pour éviter de les blesser, que les visiteurs auront évité de parler du sujet !!
Réparation
Il arrive dans certains cas que l’on éprouve de graves remords vis-à-vis de la personne défunte, des regrets qui empêchent de retrouver la sérénité. Dans ce cas-là, selon le psychiatre Christophe Fauré : « Il est possible de mettre ses regrets ou ses remords par écrit, peut-être par le biais d’une lettre destinée à la personne disparue. Si on souhaite aller plus loin, il est utile de lire la lettre à d’autres car la portée de cette démarche symbolique de réparation sera d’autant plus forte que l’on prend autrui à témoin. » (2)
Souffrance
Surtout ne vous inquiétez pas de souffrir, ne croyez pas que vous êtes « malade » parce que vous avez mal. Au contraire, plus la douleur s’exprime, plus cela montre que le travail de deuil est en marche, et que vous progressez dans votre itinéraire pour réapprendre à vivre d’une nouvelle façon. Il existe en revanche des cas pathologiques qui, eux, sont inquiétants parce que la personne en deuil reste dans le déni pour éviter d’être confrontée à des émotions trop douloureuses. Ses sentiments sont « anesthésiés », mais cela ne veut pas dire qu’ils ont été dépassés.
La réaction de déni est naturelle et peut même être souhaitable, dans un premier temps, quand le choc est trop grand. Mais elle ne doit pas s’installer durant des mois ou des années, sous peine d’empêcher la personne de trouver un nouvel équilibre. Dans ce cas, une aide psychologique peut être nécessaire.
Si le deuil ne s’engage pas, les émotions douloureuses finiront toujours par ressurgir, avec une violence inouïe, parfois même des années plus tard, à l’occasion d’un événement d’apparence futile.
C’est pourquoi il vaut mieux souffrir tout de suite, même si c’est terrible. La douleur que vous ressentez prouve que vous réalisez vraiment ce qui vous arrive, et indique que, inconsciemment, vous êtes en train d’intégrer émotionnellement la séparation que vous subissez, ce qui va vous permettre de vous reconstruire.
Méfiez-vous de votre jugement
Quelles que soient les démarches que l’on entreprend, il est évident que le deuil fragilise énormément et il faudra, dans la mesure du possible, éviter de prendre toute décision majeure durant les premiers mois qui suivent le décès (déménagement, changement de carrière professionnelle, divorce…).
« Ne pas se lamenter de l’avoir perdue, rendre grâce de l’avoir reçue »
Concluons en rappelant que rien de ce que nous possédons sur la Terre ne nous revenait de droit, dès le départ. Tout ce que nous avons, y compris notre plus grand amour, notre conjoint, notre meilleur ami, nos enfants, nous aurions tout aussi bien pu ne jamais l’avoir.
« Ne pas se lamenter de l’avoir perdue ; rendre grâce de l’avoir reçue. » Ces paroles, chaque jour, nous ont aidés à apaiser peu à peu notre tristesse, pour laisser Sandrine s’en aller, dans la paix.
Jean-Marc Dupuis
Retrouvez mes meilleures chroniques dans L’ Intégrale Santé Naturelle (J.-M. Dupuis, 2013, SNI éditions, 384 p.) disponible ici (lien cliquable). Tous mes droits d’auteur seront reversés à l’ Institut pour la Protection de la Santé Naturelle, association sans but lucratif qui défend le droit de chacun de se soigner autrement. Acheter mon livre est aussi un moyen de soutenir leur généreux combat.