Mais qui a lu ces fichus documents ? Pas grand monde.
François Hollande, de retour d'une (trop) longue séquence internationale (Afrique du Sud, Centrafrique, Brésil), va donc "recadrer" son équipe. Il y a urgence. Qu'importe le fond.
Sans rire.
La faute d'Ayrault
La première faute fut d'être publié sur le site du premier ministre. Il fallait maîtriser la communication de la chose, comprendre que le sujet est forcément sensible puisque c'est le cheval de bataille d'une droite en déshérence.
Le plus drôle, triste et curieux fut de lire que certains pensaient que la manoeuvre était électorale. François Hollande, ou plutôt Jean-Marc Ayrault, aurait toléré cette publication pour mieux agiter l'extrême droite et fragiliser la droite. Répétons donc quelques constats: primo, l'UMP n'a pas besoin d'un Front national puissant pour être faible et vide. Elle n'a pas non plus besoin d'un tel rapport pour instrumentaliser l'immigration à des basses fins politiciennes.
A son époque, Nicolas Sarkozy, aidé de son fidèle Eric Besson alors ministre de l'identité nationale, avait lancé un débat éponyme en novembre 2009. La manoeuvre n'était que la première étape d'une stratgie que l'on qualifiera plus tard de "buissonnienne" en l'honneur de son inspirateur - Patrick Buisson. S'en suivirent le discours de Grenoble (juillet 010), la chasse aux Roms condamnée par l'Eglise et l'ONU (été 2010), puis la campagne de électorale et ... l'échec en mai 2012.
La publication d'un rapport sur l'intégration, réalisé par quelques experts dont on se demande où ils vivaient, a provoqué un micro-séisme, à droite comme à gauche.
L'outrance à droite"C’est pire qu’une erreur, c’est une faute." Un conseiller de Matignon.
L'UMP s'est jeté dessus comme un chien affamé sur un os providentiel. Le Figaro, qui en fit sa "une" vendredi dernier, avait allumé un brasier. La publication de ces rapports, annoncés depuis des mois dans l'indifférence jusqu'ici générale, a provoqué l'ire présidentielle. Il a permis à Manuel Valls de sortir de son relatif silence médiatique. "Oui, l'intégration est un échec depuis de nombreuses années" a-t-il expliqué en substance, forcément interrogé sur le sujet par BFM-TV. D'aucuns jugèrent que la remarque valait preuve de son sarkozysme inavoué, comme si reconnaître des difficultés était un crime de lèse-majesté vrauchiste.
Sur le fond, ce rapport avait quelque chose de hors sol, comme si quelque esprit malin s'était décidé à prendre le contrepied des habituels arguments.
En fait, ce "rapport sur l'intégration" n'existait pas.
Il ne s'agissait que de "relevés de conclusions" d'une démarche enclenchée en février dernier. En l'occurrence, il n'y avait pas un rapport, mais cinq rapports correspondant aux 5 groupes de travail lancé en début d'année.
- "Protection sociale", rédigé par Bénédicte MADELIN et Dominique GENTIAL, pilotes du groupe, aidées de Nathalie GOYAUX (DGS) et Isabelle BOUILLE-AMBROSINI (DSS), rapporteures.
- "Faire société commune dans une société diverse", rédigé par Ahmed Boubeker et Olivier Noël début novembre.
- "Mobilités sociales ", rédigé par Fabrice DHUME Khalid HAMDANI
- "Connaissance - reconnaissance", rédigé par Chantal LAMARRE, Directrice de Culture Commune – Scène nationale du Bassin Minier du Pas-de-Calais et Murielle MAFFESSOLI, Directrice de l’Observatoire Régional de l’Intégration et de la Ville en Alsace
- "L’habitat, facteur d'intégration", rédigé par Chaynesse Khirouni (députée socialiste) et Chantal Talland (directrice de l’IFMO).
De ces différents documents, on a retenu le pire, le plus "clivant", le plus choquant. On a oublié les autres. Citons, en vrac, "l'inscription dans les différentes chartes « qualité », d’« accueil » d’une dimension respectueuse des identités des individus" (argh ! Communautarisme !), "célébrer une journée internationale des Migrants" (quelle horreur !), supprimer le mot d'intégration lui-même (sacrilège sémantique), "faire France en reconnaissant la richesse des identités multiples", autoriser le port du voile à l'école (hors de propos), création d'un "délit de harcèlement racial" et d'une "Cour des comptes de l'égalité", etc.
Hollande furieux
François Hollande, donc, revient, paraît-il furieux, d'un périple au Brésil et en Guyane.
Il a été "cinglant" devant sa délégation en Guyane: "ce rapport ne se serait jamais retrouvé «sur le site de l'Élysée», a-t-il lancé quand certains de ses proches mettaient en cause le fonctionnement de Matignon". En public, vendredi, il a déjà recadré un faux débat qui est devenu une vraie polémique: "Je n'entends pas ce bruit, parce que ces rapports n'ont pas de traduction. Ce n'est pas du tout la position du gouvernement"
Le Figaro a réussi son coup. Il fut le premier à lancer la charge. De Marianne (sous la plume de Nicolas Domenach) à quelques blogs de gauche, le sujet "intégrationniste" avait envahi les esprits et le débat. Au point d'éclipser une manifestation ratée contre la prétendue "familiophobie" du gouvernement.Le même Figaro, seul cette fois-ci, complète sous la plume d'Anne Rovan. Hollande irait jusqu'à recadrer plus largement son premier ministre. On murmure encore que Manuel Valls serait le successeur. Le choix serait improbable tant la nomination de l'actuel ministre de l'intérieur serait gage d'une rupture à gauche plus grave qu'une remontée temporaire dans les sondages de popularité.
Hollande, donc, va "recadrer".
Mais recadrer qui ?
Le Figaro ?
Crédit illustration : DoZone Parody