La pratique littéraire au Maghreb, en ce moment, est fortement tentée par le discours idéologique et demeure par conséquent menacée par le risque d'une sortie de l'écriture. Car depuis que la littérature maghrébine existe, elle est confrontée à divers discours idéologiques : colonialiste, nationaliste, doxologiste, progressiste, etc. C'est ce qui explique la diversité des courants qui la traversent et la variété des thèmes qu'elle propose. On peut dire, de manière générale, que toute pratique d'écriture est travaillée par l'espace social dans lequel elle s'inscrit. Et il est tout à fait normal, nous semble-t-il, de voir surgir ici et là des textes de contestation comme des textes entièrement conçus dans la vision d'une quelque idéologie dominante.
Nous considérons, cependant, que le simple fait d'avoir soulevé le problème d'analyse du roman est en soi très ambigu. Car nous estimons que la question est liée à une problématique plus abstraite et plus générale : le rapport de la création aux classes sociales, à leur vision du monde, à leur antagonisme, qui requiert une étude profonde d'ordre sociologique et idéologique. En l'absence d'un travail rigoureux de ce genre, toute réflexion sur la tentation du discours romanesque dans les pratiques d'écriture au Maroc, ne peut être que superficielle. Ne pas avoir l'aspect idéologique de l'œuvre romanesque, c'est en ignorer la portée, et ne pas en comprendre toute la richesse de signification. C'est se condamner à ne voir dans le roman que justement le roman. Au niveau de la critique- et aussi intéressante que puisse être cette approche- ce n'est pas moins élever la littérature au statut de mystère, en lui ôtant cette profondeur de signification des conditions historiques et sociales de la création littéraire. La sémiotique cognitive et la poétique de la norme ouvrent, à ce propos, des perspectives qu'on ne saurait négliger. Celles-ci ne constituent cependant qu'un jalon tant l'entreprise à réaliser est des plus ardues.
Car nous sommes appelé et à relire les textes et à réexaminer les discours critiques qu'ils peuvent engendrer. Entreprise d'autant plus difficile que la théorie de la réception, dans laquelle s'inscrit notre travail, est une direction de recherche dont le programme et les méthodes d'analyse ne sont pas encore arrêtés de manière définitive. Elle se heurte particulièrement à une question de taille : quel niveau faut-il privilégier dans l'analyse du texte ? Nous avons essayé de surmonter cette question en adoptant une analyse qui questionne le discours romanesquedans toute ses dimensions, mais aussi par l'approche notionnelle de quelques concepts-clés : lecture, texte, idéologie, lecture idéologique ou effet-idéologique ; puisque c'est dans le jeu de ces divers niveaux que viennent s'inscrire et fonctionner les indices de l'effet-idéologique dans le texte romanesque. Tâche consistant pour l'essentiel dans la position problématique de l'interprétation des textes littéraires et la position que tient le lecteur face au texte romanesque. L'intérêt qu'il fallait accorder aux rapports qu'entretient le texte romanesque avec l'idéologie et les formes que celle-ci peut prendre pour s'y introduire nous apparaît ainsi suffisamment justifiée, malgré les obstacles qui pourront par la suite obstruer le champ d'investigation. Il reste pour le moment à définir la problématique que soulève un tel intérêt. Notre dessein n'est pas de trouver des sollutions défintives à de faux probèmes, ni de découvrir une quelconque vérité égarée et/ou oubliée. L'objectif de la recherche entreprise, ici, est de poser au discours du roman marocain contemporain un ensemble de questions que nous n'avons pas cessé de nous poser à nous-mêmes dès le commencement de notre réflexion sur la lecture idéologique (effet-idéologique) du texte romanesque. Ce sont donc de tels problèmes qui vont être à l'avant plan de notre étude. On ne saurait naîvement les étudier ou les passer sous silence quand on aborde l'approche de l'effet-idéologique dans le texte romanesque qui a pris forme, figure et réalité autour des œuvres dont les auteurs ayant conceptions propres à l'égard des problèmes de la littérature et du réel, de la culture et de la société. Tenter de les aborder, de les cerner et de les approfondir constitue déjà, à notre humble avis, une entreprise des plus audacieuses. Parce que nous sommes conscients qu'à ce propos les enjeux sont aussi nombreux qu'importants. Cette étude vise donc à dépister la poétique des valeurs dans ses modalités diverses, ses motivations et ses conséquences. Enfin, nous verrons comment la parole poétique, à travers les symboles et les figures, qui véhiculent son pouvoir transgressif, démasque l'hypocrisie et le mensonge inhérents à ce genre de discours. Il s'agira beaucoup plus ici d'une expérience de lecture que d'un véritable discours analytique, peut-être parce que nous tenons à rappeler cette évidence, que la lecture critique du texte maghrébin passe initialement et inévitablement par la lecture tout court de ce texte. L'appropriation des œuvres littéraires appelle un travail sur le sens. Elle interroge les histoires personnelles, les sensibilités, les connaissances sur le monde. Elle crée l'opportunité d'échanger ses impressions sur les émotions ressenties, d'élaborer des jugements esthétiques, éthiques, philosophiques et de remettre en cause des préjugés. Les œuvres maghrébines permettent aux lecteurs d'interroger les valeurs qui organisent la vie et lui donnent une signification. Le sens n'est pas donné, il se construit dans la relation entre le texte, le lecteur et l'expérience sociale et culturelle dans laquelle celu-ci s'inscrit. L'expérience de lecture engage tout lecteur à se donner une attente par rapport aux œuvres nouvelles qu'il aborde. Cette curiosité-là s'apprend, s'exerce, se développe progressivement. Elle forge les compétences propices à l'entrée en littérature. L'interprétation permet de revenir sur les sentiments qui ont accompagné la réception de l'œuvre : dégoût ou adhésion (à l'égard d'un comportement, d'une attitude, d'un caractère), rejet ou identification (à l'égard d'un personnage), émotions nées d'un récit comme la langue qui le porte, etc. Elle engage un débat sur les valeurs esthétiques ou morales mises en jeu par l'œuvre. On ne dira jamais assez quil n'appartient pas au lecteur de renvoyer dos à dos toutes les positions qui s'expriment dans une œuvre. Toutes les actions, toutes les attitudes, tous les jugements, toutes les manières de dire ou d'écrire ne se valent pas. C'est précisément parce que la littérature peut explorer de multiples possibles qu'il appartient aux lecteurs d'exercer leurs jugements à l'égard de ces possibles. L'objectif de la recherche entreprise, ici, est de poser au discours du roman maghrébin contemporain un ensemble de questions que nous n'avons pas cessé de nous poser nous-mêmes dès le commencement de notre réflexion sur l'effet-idéologique dans le texte romanesque. Y a-t-il de l'idéologie dans le roman maghrébin ? Quel rapport entretient le texte romanesque avec l'idéologie ? Quel impact ce discours romanesque peut il avoir sur l'évolution intellectuelle du pays ? Sur la critique littéraire ? Sur les effets à produire ? Quelle méthode doit-on adopter pour effectuer une telle recherche ? Comment la littérature pèse sur les valeurs sociales ? Comment les valeurs sociales pèsent sur la littérature ? D'où viennent les valeurs que l'on retrouve dans le texte ? Par quels procédés le texte rend-il sensibles les valeurs dont il se réclame ?... Telles sont les questions que pose cette étude autant sur le plan théorique que sur le plan pratique.
Que faut-il entendre par l'interprétation?
Qu'est ce que l'interprétation?
Posons simplement deux balises. Dans son extension la plus grande, l'interprétation est, selon une étude détaillée de Louis hebert, un processus général (ou son produit) établissant une relation entre des facteurs sémiotiques. Son domaine est alors coexistensif à celui du signe (1). Plus restrectivement, l'interprétation peut être définie comme: le processus complémentaire à la production, qui vise à assigner un " sens " à un objet - particulièrement lorsque ce dernier est individué, singulier, particulier, esthétique, textuel et saisi au palier global-, dans et par la production d'un autre objet, mental ou linguistique (fixé ou non), derivé et dépendant du premier (dans une relation de type métadiscursif) et réputé entretenir une relation d'adéquation avec lui (2).
La conjonction de la sémiotique et de l'interprétation connaît trois modalités principales.
a)
La sémiotique pour analyser l'interprétation et les interprétations
La sémiotique permet de comparer les différentes conceptions de l'interprétation à l'extérieur de la sémiotique; de dresser, à l'aide de la caractérisation obtenue par comparaison, des typologies de ces conceptions; et de dégager par synthèse une défintion générale. A fortiori, elle est en mesure d'analyser, de caractériser, voire d'évaluer, les interprétations d'objets particuliers.
B)
L'interprétation dans la sémiotique
le statut et l'importance accordés à l'interprétation varient d'une sémiotique à l'autre. Présentons lapidairement quelques-unes des grandes positions théoriques. l'école de Paris, autour de Greimas, s'est surtout intéressée à la première composante sémiotique. Elle cherche à décrire le passage de la structure ab quo, simple et abstraite, à la structure ad quem, complexe et concrète, en prévoyant des procédures de conversion entre les différents paliers ménagés le long du parcours génératif. La perspective déductive et générative adoptée amène, en définitive, à considérer l'interprétation comme une conversion (un transcodage) : c'est " la paraphrase formulant d'une autre manière le contenu équivalent d'une unité signifiante ". (3)