Extraits de « cosmologie du XXème siècle » par Jacques Merleau-Ponty
Si l’on veut à la manière de Lemaître ou de Gamow que l’histoire de l’univers ait été une suite d’évènements qui ne se renouvellent plus, l’histoire de l’homme en est un épisode qui, par sa durée, n’est pas négligeable et qui par conséquent, a peu de chances de se répéter, même s’il s'est produit à plusieurs exemplaires
Si en revanche l’histoire cosmique n’est qu’une suite indéfinies de générations, il n’y a pas de raison que la séquence qui conduit à l’homme ne se renouvelle pas dans des conditions en gros identiques, infiniment variées dans les détails....
La cosmologie donne encore à l’homme d’autres raisons de se considérer comme un avatar cosmique peu banal, de faire valoir une certaine prétention à l’exceptionnel…La science nous montre mieux maintenant ce que peut être le contraire de l’homme, la matière à sa plus grande distance de l’esprit…
S’il était avéré que la Terre fût la seule planète où la matière se compose comme il convient, il faudrait constater que le monde détruit l’esprit après l’avoir fait naître ou toléré (dans l’hypothèse de fin de notre monde). Mais il n’y a aucun moyen d’apporter la preuve de cette unicité et quelques raisons de penser que, le nombre compensant la rareté des conditions favorables, l’esprit est aussi dans l’univers une forme d’existence qui se répète et se renouvelle.
(Gallimard p.455/56)
COMMENTAIRES
La science qui veut échapper à la métaphysique pour n’être que rigueur et équations plonge ses racines dans une conception philosophique déjà établie. En effet, le choix d’une cosmologie historique du type big bang n’est pas sans conséquence sur le statut de l’homme dans l’univers. Une histoire datée, un univers créé, conduit à considérer l’émergence de l’esprit comme exceptionnel ayant peu de chance d’avoir déjà été dans un temps relativement aussi court. A l’unicité de la création d’un cosmos correspond l’unique parution de l’homme, l’histoire vectorisée du big bang ne renouvelant pas. L’homme peut alors se penser glorieusement exceptionnel, élu miraculeusement par Dieu ou la nature, et qu’après sa disparition un silence glacé envahira à nouveau le cosmos.
A l’inverse dans un univers éternel, renouvelant sans cesse ses générations d’étoiles et galaxies, n’ayant jamais débuté ni ne finissant jamais, il dispose de toute son éternité, de toutes les statistiques, pour que la procédure ayant conduit à l’émergence de l’Esprit s’accomplisse à nouveau. Dès lors, la naissance de l’homme n’apparait plus exceptionnelle ni miraculeuse, elle serait même le projet toujours en recherche d’accomplissement comme une des finalités de la nature, le but ultime du mouvement de la matière. Aussi, toujours y a-t-il eu de l’esprit dans la nuit des temps, des formes humanoïdes multiples, toujours il y aura un esprit en quête de sa réalisation dans l’infinité du futur. L’homme n’est plus exceptionnel par son unicité mais par son privilège d’être l’accomplissement final du cosmos.
Comme on le constate la science cosmologique ne saurait se détacher de ses déterminismes philosophiques qui conduisent à donner sens et statut différents à l’homme dans l’univers selon le choix d’un univers historique du type big bang ou éternel selon le modèle des nouveaux principes que nous préconisons.