Les tapisseries de la Dame à la Licorne

Par Richard Le Menn

Les six tapisseries de la Dame à la Licorne viennent d'être restaurées. Elles sont présentées dans leur nouvel écrin au Musée de Cluny à partir du 18 décembre.

Photographies : « Tenture de La Dame à la licorne : « Mon seul désir ». Vers 1500. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais / Michel Urtado. »

On remarque que le bas de la restauration est beaucoup plus clair que le reste. Il s'agit de la partie restaurée au XIXe siècle. Comme quoi les couleurs employées au XVe siècle sont de bien meilleure qualité ! « Les analyses réalisées en cours de restauration ont permis de mesurer le gain d’intensité et  d’identifier les colorants naturels : la garance pour le rouge, la guède pour le bleu, la gaude pour le jaune, ou bien encore l’orseille, variété de lichen, pour les violacés.  »

Les personnages sont debout sur un tertre clos placé au milieu d'un fond rouge aux mille fleurs reconnaissables : pâquerettes, compagnons blancs, pensées, véroniques etc. Des animaux s’ébattent, des lapins, une chèvre, un agneau, un chien avec un collier, un oiseau dans une étrange position et un faucon attaché à la tapisserie. Le tertre est lui aussi parsemé de fleurs. Le sol est bleu ainsi que la tente sur laquelle est inscrit en lettres d'or : « Mon seul désir ». La Dame semble en sortir. Elle est blonde avec une coiffure à houppe (sa servante aussi). Elle porte une robe cramoisie au dessus d'une autre en brocart. Un voile enveloppe le brocart de ses manches. Elle est couverte de bijoux et une profusion d'autres sont placés par elle dans un coffre tenu par sa suivante. Un chien regarde droit devant. Il est sur un coussin de brocart posé sur un banc. Aux pieds de la Dame est assis un petit singe. Un lion et une licorne tiennent le blason (qui permet d'identifier le commanditaire) et gardent ouverte la tente. Quatre essences d'arbres sont présentes : chêne, pin, houx et oranger.

Les cinq autres tapisseries représentent les sens : le Goût, l'Ouïe, la Vue, l'Odorat, le Toucher.

Cette allégorie aurait été commandée par Antoine II Le Viste (vers 1470 -  1534), magistrat et administrateur français issu d'une vieille famille de Lyon originaire de la vallée de la Bresle en Picardie. Il est possible qu'elles fassent partie originellement d'un ensemble plus conséquent.

La lyonnaise Dame à la Licorne est une des trois grandes dames de Paris, avec la Joconde du Louvre, une italienne, et Notre Dame (l'église bâtie sur un temple semble-t-il dédié à Isis l'égyptienne : Paris = Bar Isis = La barque d'Isis).

Cet ensemble de six tentures est dans la tradition courtoise médiévale où on n'établit pas de différence entre l'amour spirituel et le charnel. La Dame est la conséquence tangible de l'Amour divin et les sens son exaltation. A travers eux se révèlent l'infini et la profusion, l'abondance créatrice. Les sens sont l'expression de la divinité. Pour vivre cette extase pleinement sont nécessaires l'apprentissage du plaisir courtois et de la grandeur d'âme emprunte de finesse qui permet de déceler en toutes choses son bonheur et rendre grâce par la beauté à la beauté et à travers elle à la magnificence de la création. On est dans la communion de l'esprit avec les sens et ce qu'ils appréhendent. À travers l'autre, la Dame, c'est l'esprit qui se réalise et se voit. La matière et l'autre font office de révélateurs de l'esprit en soi-même et en retour celui-ci devient matière : « à mon seul désir », et profusion. Le concept même de différence s'est évanoui. On est une seule âme. La Dame et son Ami et/ou son environnement ne sont plus qu'un. Les différences physiques ne sont là que pour exalter l'Amour.

Dans l'article intitulé Le bas Moyen-âge : Fin amor et Art français ou francigenum opus j'écris sur la Fin'amor.

Photographies ci-dessous : « Tenture de La Dame à la licorne : La Vue. Vers 1500. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais / Michel Urtado.  »