Comme je vous l'ai dit il y a à peine deux jours dans mon billet de présentation, Philippe Geluck s’expose depuis hier, et ce, jusqu'au 25 janvier prochain. Ca se passe à la Galerie Pallade (35 rue Burdeau Lyon 1er) et Michel et moi, les deux comparses de Baz-art, on a forcément exp(l)osé -de joie- à l’idée d'aller rencontrer l’artiste dans un moment d'échange privilégié que beaucoup de notre entourage nous ont envié (et un grand merci à Gilles afin que cette rencontre si incroyable sur le papier ait pu se faire).
Dès la poignée de main franche et généreuse, on sait que la rencontre sera belle, car l'homme, ponctuel, semble tout de suite disponible, et l’interview que l’on pensait balisée, se transforme ainsi en une discussion informelle où il sera question du Rire- avec un grand R s'il vous plait-, du Chat, de Dieu et même de.... Stéphane Bern!
Bref, une discussion parfois sérieuse, parfois profonde, mais toujours avec dans les yeux de Geluck une pointe de malice et d'humour pince sans rire absolument délicieuse. Et si on n'a pas mis les rires entre parenthèses, comme les journalistes avaient coutume de le faire il y a peu, sachez que cette entrevue fut entrecoupée de pas mal d'éclats de rires de part et d'autres...
Baz-art : Vous aviez un peu énervé sœur Emmanuelle lors d’une intervention chez Drucker, c’est pour vous faire pardonner que vous avez mis la Bible en bande dessinée ?
Geluck :Je tenais d'abord à vous préciser que sœur Emmanuelle a connu un sursaut d'adrénaline après cette fameuse émission, elle est morte quelques années après, j'en déduis donc que je ne suis responsable en rien dans son décès… Sinon, pour vous expliquer pourquoi j'ai voulu m'attaquer à la bible, disons que je suis certes athé, mais profondément de culture chrétienne au départ, j'ai baigné dedans quand j'étais petit, et forcément je la connais bien mieux que les autres religions.... Du coup, j’avais envie de parler de religion, de croyance, de ce qui touche à la foi catholique, j'avais quand même l'impression qu'on se foutait un peu de la gueule du monde avec ça depuis plus de 2000 ans, et une relecture de la Bible par le Chat me semblait dès lors indispensable à l’humanité, surtout qu’après avoir rencontré Drucker que je considérais comme étant Notre Dieu à tous, le vrai Dieu est venu me rendre visite et je ne pouvais que l'honorer en lui rendant hommage à travers cette bible.
Baz art : Est-ce que vous avez eu des réactions négatives, voire agressives, de catholiques choqués qu’on se moque ainsi de la religion ou bien dans l’ensemble avez-vous récolté plutôt pas mal de bienveillance ?
Geluck : J'ai eu, à ma grande surprise, bien peu de retours négatifs. Dans l'absolu, j'ai l'impression que les intégristes catholiques se font de plus en plus discrets. Et pour ma part, peut-être ont ils voulu éviter de faire de la pub gratuite à ma BD en portant plainte inutilement...
Baz-art : Pascal le mouton avec une casquette nazi, Noé qui appelle Dieu mein Führer,Comparer Dieu à Hitler, vous n'y allez pas un petit fort, quand même, mon cher Gelluck?….
Geluck : Mais je n'invente rien, jeunes gens... Le déluge dans la Bible c'est quand même le tout premier Holocauste, et Dieu qui décide de détruire toute l’Humanité sauf Noé et sa famille parce que le comportement de quelques habitants de Sodome et Gomorrhe ne lui convient pas, c’est-à-dire tuer des millions d’innocents pour son bon plaisir, si ce n’est pas un comportement de Nazi , c'est quoi, alors ?
Baz-art : Vous riez de la bible , de Dieu, pour montrer au monde entier que l’on peut rire de tout, donc votre livre éponyme( publié chez JC Lattès),très drôle au demeurant, est-il un livre politique ? Et du coup, pouvez vous répondre à la seule vraie question sur le sujet : Peut-on rire d'Eric Zemour ?
Geluck : Bien sûr, on peut, et on doit, rire de tout: on peut rire de Zemour mais pas avec Zemour, comme on peut rire de Léonarda, de la pauvreté, des handicapés, des exclus, justement pour ne pas les exclure une fois de plus, c'est cela le plus important. J'ai parfois des personnes handicapées qui me félicitent lors de séances de dédicaces pour avoir osé parlé d'eux à travers mes petits dessins, même si c'est sous le prisme de la dérision. Il faut juste éviter que le rire ne provoque le malaise. En tout cas, il est évident que le rire est forcément une arme politique ( NDRL : Geluck répond donc à la question de son ouvrage, mais que cela ne vous dispense pas de l'acheter, bande de petites feignasses).
Baz-art : Comment expliquez vous qu’une blague un peu leste racontée par Geluck est qualifiée, par mon épouse, de gentiment égrillarde, et que racontée par moi, de carrément salace ?
Geluck : Peut-être parce que votre épouse vous connait depuis longtemps et elle sait qui vous êtes……blague dans le coin, c’est quelque chose que je ne m’explique pas, cette bienvaillance que les gens ont pour moi... Gérard Miller me l'a d'ailleurs dit plusieurs fois : « Geluck peut raconter les pires horreurs cela semble toujours bienveillant, alors que moi,même si je fais un compliment, ,on crois toujours que je vais mordre.. » Mais n’oubliez pas que Dieu s’adresse à moi dans mon dernier livre et que si j’ai été choisi ( et il n'a pas rendu visite à Miller, à ce qu'on en sait), ce n'est pas par hasard…. Et tout ceci expliquerait peut être pourquoi j'ai tendance, c'est vrai, à passer à travers les gouttes….
Baz-art : Vous avez été choisi par Dieu, vous faites partie très rares dessinateurs qui se dessinent eux même, à part peut-être Crumb qui lui aussi à dessiné la Bible, ou Gotlib, qui lui aussi a beaucoup ri des religions, dites donc Geluck, n'auriez pas tendance à virer un peu mégalomane ?
Geluck : Si, tout à fait, et d’ailleurs il est question d’un musée du Chat à Bruxelles, et j’imagine qu’au dessus de l’immeuble du Lombard bientôt ce ne sera plus l’effigie de Tintin qui tournera, mais celle du Chat… euh, dois-je préciser que je plaisante ? Non sérieusement, même si je reconnais la parenté avec Gotlib, je ne me sens pas appartenir à une famille de bédé, plutôt à une famille d’illustrateur.
Baz-art : Parlons un peu cinoche, ma grande passion (euh avec la BD)... J'ai appris dans votre bio que votre père distribuait des films d’art et essais d’Europe de l’Est en Europe de l’Ouest, est ce qu’a l’adolescence, du coup, juste pour embêter vos parents, vous alliez voir « le gendarme se marie » ou « les charlots font l’Espagne » en trouvant leur disant " mais c'est génial les parents franchement!" ?
Geluck : C’est vrai que j’ai eu une enfance particulière, mes parents nous interdisaient les films de Walt Disney, le Coca Cola, malgré le rouge de la canette, et à la maison je croisais ni plus ni moins que Roman Polanski, Andrei Tarkovski ou Milos Forman, et tandis que mes copains affichaient des photos de Brigitte Bardot ou de Sophia Loren dans leur chambre, moi j’avais des photos dédicacées de sublimes actrices russes ou polonaises que personne évidemment ne connaissait , mais c’est aussi ce décalage qui m’a donné ma singularité et qui a peut être nourri une partie de mon imaginaire…
Baz-art : Vous êtes aussi un formidable scénariste, à propos où en est la formidable série des extraordinaires aventures de Scott Leblanc ?dites nous tout cher Geluck, Scott Leblanc c’est Stéphane Bern, n'est ce pas ?
Geluck :Je suis heureux que vous me parliez de cette série, le troisième volume va paraitre au printemps 2014 ( NDLR : et petit scoop pour les lecteurs de Blog Baz'art, il devrait s'appeller Alerte sur Saigon et commencer en mai 1968 avec... Charles Aznavour!!!) et croyez le, si vous le voulez mais je n’avais pas du tout penser à Stéphane en commençant ce scénario, mais c’est lui, en lisant l’album qui s’est reconnu et ensuite plusieurs personnes me l’on dit et bien sûr, maintenant c’est évident. Les voix de la création sont impénétrables..En tout cas, avec Devig le dessinateur, nous nous sommes beaucoup amusés et je crois sincèrement , et c'est les premiers échos que j'ai reçu, que ce sera le meilleur album de la série .
Baz-art :Vos œuvres exposées sont formidables, et à ce propos, n’avez vous jamais peur de la toile blanche après plus de trente années de travail, d’ou vous viens votre inspiration ?
Geluck : Je ne sais pas et ne veux pas le savoir, décortiquer un processus de création est dangereux pour un artiste, on risque de rentrer dans la recette de cuisine et de perdre son authenticité, la seule chose qui me guide, ma seule motivation c’est le plaisir, si je me fait rire, si je m’étonne, je fonce, je suis mon premier spectateur c’est vraiment ma seul recette. Mais peut-être, et cela se vérifierait par ma visite divine, suis-je touché par la grâce…. ?
Baz'art : - Quelle est votre réaction face aux différentes expos de vos œuvres ? Les percevez vous comme une vraie reconnaissance artistique ou bien cultivez une vraie distance par rapport à ce genre de consécration ?
Geluck : J'essaie de rester très humble et en même temps trés concerné par rapport à ce genre d'exposition. Il faut savoir que j'ai commencé dès 1990 à exposer, donc juste avant le Chat et que je sois (un peu) connu, et pour moi c'est un travail parfaitement complémentaire à mes BD et dans lequel je m'implique énormément. Je tiens absolument, comme je l'ai fait dès mardi soir pour cette expo à la Galerie Pallade, à participer à l'accrochage de mes toiles et réfléchir à la scénographie et la mise en place de telle ou telle toile, c'est un travail qui me plait énormément.
Baz'art : Quel est votre rapport avec les autres illustrateurs belges, et notamment la jeune génération bruxelloise, dans l'ensemble très prometteuse ?
Geluck : Comme je vous l'ai dit, je ne me considère avant tout comme un "cartooniste", plus qu'un auteur de BD et du coup, je me sens un peu à part dans la milieu de la bande dessinée, qu'elle soit belge ou française. Après, je suis très fier d'être publié chez Casterman, et de figurer avec des grands noms de la BD comme Hergé, Jacques Tardi, Hugo Pratt, Margerin et d'autres, mais je ne me positionnerai pas du tout comme une référence ou un mentor, je ne me vois pas du tout fonctionner ainsi.
Baz'art : J'ai commencé à lire La bible selon le chat avec mon fils de 7 ans mais j'ai du assez vite interrompre ma lecture, quand j'ai commencé à devoir laborieusement expliquer des scènes aussi cruciales que la fornication de la Grande Faucheuse par Dieu le Chat... dites, Geluck, j'aurais pas du attendre quelques années de plus?
Geluck : Bah oui, malheureux, 7 ans, c'est beaucoup trop jeune pour lire mes ignonimies...par contre, si vous venez avec votre fils à la galerie Pallade, sachez que je propose des toiles à un prix modique, à condition que l'enfant ait moins de 10 ans, et qu'il utilise son argent de poche et pas celui de ses parents, afin, peut etre, que cette première pièce puisse lui donner, qui sait, l'âme d'un futur collectionneur..
Ok, cher Gelluck, on vous prend au mot, et on ira tous les deux courir avec ou sans notre fiston, au 35 rue Burdeau, et vous aussi, chers lecteurs de ma région, j'espère que vous irez aussi- même si Gelluck a quitté Lyon hier soir- car, comme je le disais mercredi, l’expo est une franche réussite, les toiles sont drôles ,surréalistes, belles , intelligentes, la langue française manquerait presque d’adjectifs pour les qualifier ,et surtout, surtout, derrière ces œuvres , il y a l’artiste Geluck , mieux que cela il y a l’Homme Geluck, avec qui on était plus que ravi d'avoir partagé un café et cette heure de discussion à batons rompus mercredi matin..
Encore une fois, merci beaucoup, Monsieur Geluck, et maintenant que Dieu vous a rendu visite, j'espère que nous serons invités à à votre prochaine canonisation qu'on espère soit la plus tardive possible, soit à titre dérogatoire ( et Dieu vous doit bien cela), de votre vivant ...