Qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions, je n'applaudis évidemment pas ŕ la suppression sur 3 ans des 5 800 postes annoncée par le patron du groupe Thomas Enders. Les syndicats, en France en tout cas, l'ont trčs mal prise et c'est bien compréhensible. Ce qui est remarquable dans cette affaire c'est qu'un président allemand d'EADS va supprimer plus d'emplois en Allemagne qu'en France. Un site va męme fermer en Allemagne Unterschleissheim au nord de Munich. Dans les temps jadis c'est ŕ dire il n'y a pas si longtemps, jamais un patron allemand du groupe n'aurait procédé ainsi. Il aurait plutôt tenté de couper dans les effectifs côté français ou espagnol. Il y avait entre les 3 partenaires historiques une rčgle non écrite qui faisait qu'ŕ un poste tenu par un allemand correspondait un autre poste tenu par un français et plus tard par un espagnol, l'Espagne a d'ailleurs considéré qu'elle était maltraitée par ses 2 autres partenaires. Elle l'a fait savoir et a gagné du coup l'implantation des usines de l'A400M ŕ Séville.
Tout cela pour dire que les activités des 25 premičres années d'EADS ont été quelque peu entravées par ces combats internes et la fameuse guerre franco-allemande perceptible au quotidien. Rendons ici hommage ŕ Louis Gallois qui a précédé Tom Enders ŕ la tęte d'EADS, il a su nommer les responsables en fonction de leurs compétences et non pas de leur nationalité. C'était un premier pas vers l'entreprise Ť normale ť.
Cette fois-ci, Ť Major ť Tom a poussé le bouchon trčs loin. Aprčs avoir résisté aux demandes du gouvernement français de nommer Anne Lauvergeon ŕ la présidence du conseil d'administration, il n'a pas cédé non plus ŕ la pression de Berlin qui avait gelé quelque 600 millions d'euros d'aide ŕ Airbus pour transférer outre-Rhin une partie du bureau d'études de Toulouse. Son plan de réduction d'effectifs, il assure avoir prévenu les gouvernements allemand et français, mais seulement prévenu. Le plan n'a pas été une synthčse faite ŕ l’Élysée ou ŕ la chancellerie ŕ Berlin.
Il faut maintenant se demander, alors que la société fait des bénéfices, pourquoi le patrons a décidé de supprimer 5 800 postes. Réponse sans équivoque de l'intéressé : les budgets de la Défense baissent en Europe, nos ventes sont inférieures ŕ notre chiffre d'affaires dans le domaine militaire, ce qui fait que nous consommons notre carnet de commandes. Aucun grand programme militaire nouveau n'est prévu dans les 10 ans ŕ venir déclare-t-il ŕ Libération et, en ce qui concerne les drones si toutefois les gouvernements en commandaient, ils ne suffiraient pas ŕ compenser les coupes budgétaires. Conclusion de Tom Enders, un dirigeant responsable doit ętre pro-actif.
Cette pro-activité ne passe pas du tout chez les syndicats français notamment du côté de chez Astrium oů l'on fait état de commandes récentes de satellites de télécommunication, d'un nouveau lot d'Ariane5 et de la mise en place de la future Ariane6. Et de dénoncer ensemble la politique de financiarisation voulue par EADS. Il est vrai que Tom Enders réclame un retour sur investissement de 10% alors que géant européen n'en réalise que 5%.Traversons l'Atlantique pour aller mettre notre nez dans les comptes de chez Boeing. Au 3č trimestre par exemple le groupe européen a dégagé un résultat d'exploitation de 663 millions d'euros ce qui fait quand męme plus de 26%. Dans le męme temps Boeing empochait des recettes de 1,34 milliards d'euros pour un chiffre d'affaires de 22 milliards d'euros, la marge de rentabilité d'EADS s'inscrit donc ŕ +4,8% contre 8,1% pour Boeing. C'est lŕ oů le bât blesse. D'autre part EADS est trop dépendant d'Airbus qui a généré 72% de son chiffre d'affaires. Chez Boeing les avions ne représentent que 62% du chiffre d'affaires.
Tom Enders a fixé pour EADS une feuille de route ambitieuse mais trčs réaliste. Il faudrait un peu de pédagogie pour accompagner toutes ces décisions parce que 10% de marge, il faut insister lŕ-dessus, permet de faire travailler les bureaux d'études sur des produits qui seront demandés par des clients civils ou militaires dans 10 ans.
Major Tom, mettez donc un peu de latinité dans votre germanitude et vous serez suivi par vos 140 000 employés !
Gérard Jouany - AeroMorning