S'il est un geste non-verbal conscient qui tient un caractère universel, il doit s'agir du baiser. Symbole important rythmant la vie de tout un chacun, le « bisou sur la bouche », comme le décrivent les enfants, pose tout de même des questions du côté non-verbal. En effet, depuis les années 80 les chercheurs se sont souvent demandés si le côté vers lequel nous nous orientions durant ce baiser avait un sens, ou du moins une raison explicable. Lors d'un baiser nous pouvons incliner notre tête soit vers la gauche (photo A) soit vers la droite (photo B). Plusieurs théories ont tenté de donner une explication à ce phénomène. Certains ont prôné un lien entre les premiers mouvements moteurs de la tête du bébé, d'autres un côté inné tendant à tourner la tête vers la droite. Cependant, l'ensemble des recherches vont à l'encontre d'une simple explication asymétrique innée d'un hémisphère cérébral dominant. De plus, ce biais persiste quel que soit le contexte émotionnel, en conséquence le fait de tourner la tête n'est pas motivé par un biais émotionnel. Les préférences latérales (gaucher, droitier) n'ont également aucun impact sur cette mécanique.
Cependant, le chercheur israélien Samuel Shaki propose une autre hypothèse : celle du lien entre l'orientation de la tête lors du baiser et celui de la culture ou, plus particulièrement, du sens de lecture. En effet, de nombreuses recherche ont montré comment le sens de lecture influence le non-verbal, comme par exemple le mouvement des yeux. L'auteur a créé une double expérience. La première consiste à présenter à des étudiants orientaux (israéliens et palestiniens) et occidentaux (en séjour en Israël) une poupée qu'ils doivent embrasser. La poupée est ajustée à la taille du volontaire, afin qu'elle n'influence en rien le résultat du test. Lorsqu'il leur a demandé d'embrasser le mannequin, il a constaté que les étudiants orientaux avaient une forte tendance (66 % en moyenne) à tourner la tête vers la gauche, suivant ainsi le sens de lecture auquel ils sont habitués. Qui plus est, le même pourcentage d'étudiants occidentaux a choisi de s'orienter vers la droite, confortant cette hypothèse.
La seconde partie de l'expérience n'a pas lieu dans un cadre typiquement scientifique, puisqu'elle se déroule dans le cadre de la vie quotidienne (abords d'écoles, centres commerciaux, etc.). L'idée est exactement la même que pour la première partie : observer de quel côté l'amorce du baiser aura lieu au sein de 117 couples occidentaux (Canada, Italie, Russie) et 203 couples orientaux (Israël, Palestinien). La seule différence entre les deux expériences réside dans le contexte qu'elles observent. Mais malgré cette différence, on constate des résultats similaires à la première partie : environ deux tiers (67.6%) des couples occidentaux tournent le visage vers la droite, là où près de quatre couples orientaux sur cinq (77.9%) s'orienteront vers la gauche.
L'impact de la lecture, et donc de la culture, semble être la meilleure explication. Mais elle soulève, de ce fait, une question extrêmement intéressante : quel orientation prendrait la tête d'une personne parfaitement bilingue ? La durée de leur contact avec l'une de ces cultures prévaudrait-elle sur l'autre ? La lecture d'une long texte se lisant de gauche à droite, ou de droite à gauche, peut-elle conditionner l'orientation du visages de ces personnes polyglottes lors du baiser ? L'étude de Samuel Shaki suggère également une remise en question des diverses asymétries remarquées et attribuées à une forme d'innéisme. L'importance de la culture est donc remise sur le devant de la scène dans le domaine du non-verbal !
Publié par Frédéric Tomas
Référence : What’s in a Kiss? Spatial Experience Shapes Directional Bias During Kissing.
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