All is lost, critique

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : All Is Lost

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : J.C. Chandor
Distribution : Robert Redford
Genre : Aventure/Drame/Survival
Date de sortie : 11 décembre 2013

Le Pitch :
Alors qu’il navigue en solitaire au beau milieu de l’Océan Indien, un homme voit son voilier percuté par un container à la dérive. Privé de radio et de son matériel de communication, l’homme répare tant bien que mal son bateau, mais se retrouve pris dans une terrible tempête qui aggrave un peu plus son cas. Alors que son navire prend l’eau, l’homme s’en remet aux courants marins et tente de se rapprocher d’une voie de navigation, dans l’espoir de trouver du secours…

La Critique :
En voilà un projet burné ! À une époque où le cinéma indépendant morfle de plus en plus et où les cinéastes désireux de ne pas forcement se plier aux règles établies par une industrie de plus en plus impitoyable, un type débarque avec un concept on ne peut plus simple : embarquer un homme sur un voilier en perdition, au beau milieu de l’océan. Au programme, très peu de musique, pas de dialogues, pas de violence, pas de sexe et un seul acteur. Un comédien qui devra en baver pour traduire la détresse de son personnage, dont l’espérance de vie se réduit à peau de chagrin au fur et à mesure des heures, tandis que s’éloigne la perspective d’un sauvetage inespéré.

Coup de bol, le projet de J.C. Chandor, (jeune cinéaste surdoué remarqué avec son premier film, l’excellent Margin Call, où des traders partaient eux aussi à la dérive dans un open space glacial) tape dans l’œil de Robert Redford. Redford qui n’a jamais cessé de soutenir ce genre d’initiative, notamment par le biais du Festival de Sundance, qu’il a créé dans le but de faire émerger des talents, en marge des grands studios. En l’occurrence, des artistes comme Chandor.
Et Margin Call n’a seulement impressionné Redford. Sa pertinence éblouissante, sa sobriété, ainsi que la puissance avec laquelle le film parvenait à capturer la détresse d’un monde de la finance salement mal en point, en pleine crise économique, ont fait mouche. De quoi attendre avec beaucoup d’intérêt son nouveau projet…

Quand il propose le seul rôle de son second long-métrage à Redford, la légende vivante dit oui. Malgré ses 76 ans, Redford accepte d’embarquer et de subir les éléments dans ce film-métaphore à la puissance évocatrice rare.

Alors que le pitch pouvait évoquer Hemingway et son Vieil Homme et la Mer, le film lui, rappelle plutôt le récent Gravity. On peut aussi penser à Seul au Monde, où Tom Hanks passait la quasi-intégralité du film seul, avec son ballon de volley. Mais non, encore une fois, c’est de Gravity que All is Lost se rapproche le plus. Définitivement. À contrario de Seul au Monde, qui adoptait malgré tout les apparats du film-performance cher à l’Académie des Oscars (ce qui n’est nécessairement une mauvaise chose, c’est important de le préciser), All is Lost épure au maximum son propos. Comme dans Gravity, le film se déroule sur un laps de temps très court, et comme Cuaron, Chandor ne lâche rien. Et enfin, pour en finir avec Hemingway, non, Robert Redford ne pêche pas… Enfin si, mais pas longtemps et de toute façon, là n’est pas le propos (et tant qu’on y est, aucun tigre n’accompagne l’homme dans son rafiot).

Dans All is Lost, Robert Redford se met à nu. Seule la survie compte et on oublie vite tous les artifices propres aux grosses productions américaines. Ne vous attendez pas à quelque chose du genre d’En Pleine Tempête (par ailleurs très sympathique). L’histoire n’est pas tirée de faits réels, mais paradoxalement, c’est l’une des plus réalistes qu’il nous ait été donné de voir sur grand écran.
D’où l’absence de dialogues et de grande musique pompeuse. Un homme seul, face au danger, ne parle pas, il lutte. Intérieurement, contre lui-même , afin de garder à distance le désespoir et contre les éléments et le sort qui s’acharnent inlassablement. Au rythme des tempêtes, la situation du combattant s’aggrave et quand vient l’espoir, il est vite balayé. Comme cette séquence déchirante où un cargo de marchandises ignore l’appel de détresse du naufragé. Une scène qui semble illustrer la lutte d’un cinéma brut de décoffrage face aux grosses machines voraces de l’industrie hollywoodienne.

La présence au générique de Robert Redford joue bien entendu en faveur du film. Supportant avec une classe folle le poids des années, Redford charrie à lui seul une mythologie noble d’une époque révolue. Quand on le voit, on pense immanquablement aux Hommes du Président, à Jeremiah Johnson (une autre histoire de survie), à Butch Cassidy et le Kid, à Brubaker ou encore au Trois Jours du Condor. Redford n’a plus rien à prouver et dans le film de Chandor, il est épatant.
Il fait partie des derniers représentants d’un âge d’or qui se perpétue dans des films à contre-courant, qui, soit dit en passant, ne sont pas nécessairement à petits budgets. On en revient à Gravity, avec son budget confortable et sa technologie de pointe. Gravity et All is Lost se ressemblent car ils touchent tous les deux à l’universalité de la condition humaine, en poussant leurs protagonistes dans leurs derniers retranchements, pour en extirper une poésie brutale et pénétrante.

Avec son personnage unique, campé par un comédien résistant, avec une hargne exemplaire et une sincérité désarmante, All is Lost est un tour de force. Il est certain qu’avec son concept insolite, en totale opposition avec un bon paquet d’éléments censés appâter le public dans les salles, le long-métrage de rapportera pas des millions. Cependant, il serait dommage de passer à côté. Ne serait-ce que pour vivre cette expérience véritablement viscérale. Une expérience rare et entière découlant d’une démarche pleine d’audace, confirmant au passage le talent d’un réalisateur à suivre de très près.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Universal Pictures International France