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L’auteur :
Gianni Biondillo est né à Milan, où il vit, en 1966. Architecte, a publié des essais sur Figini et Pollini, Giovanni Michelucci, Pier Paolo Pasolini, Carlo Levi, Elio Vittorini. Il est rédacteur en chef du pays indien. (Source : Babélio)
L’histoire :
Pourquoi un détenu, petit délinquant apparemment sans histoire, est-il libéré dans des conditions particulièrement sanglantes par un commando mafieux ? La commissaire d’une unité d’élite, Elena Rinaldi, se lance à ses trousses, assistée de mauvaise grâce par l’inspecteur Ferraro, un de ses ex. Avec l’aide de Lanza, hurluberlu génial de l’Agence européenne, ils découvrent qu’ils pourchassent en réalité un tueur redoutable, échappé des brûlantes brousses d’Afrique et des camions du trafic d’esclaves. Il poursuit seul une vengeance implacable et toute personnelle. Haile l’Érythréen a tout pour inquiéter : l’anonymat, la cruauté, l’intelligence et une volonté de fer, spartiate, militaire. Le matériel du tueur.
Gianni Biondillo, maître du roman noir, nous emmène dans un road-movie haletant, d’un bout à l’autre
d’une Italie violente, nerveuse, divisée, pétrie de peurs anciennes et nouvelles, accablée par un ciel de plomb, où défile toute une humanité improbable mais bien réelle.
Le lecteur se laisse emporter, étourdi et reconnaissant. .
(Source : Babélio)
Ce que j’ai aimé :
Comment Haile, détenu érythréen a-t-il réussi à s’évader de sa prison ? Qui sont ses complices alors qu’il avait été arrêté pour une raison anodine, ne semblant pas faire partie d’une organisation quelconque ? Fait-il partie d’une mafia plus large ? L’inspecteur Ferraro devra enquêter aux côtés de Elena Rinaldi, commissaire d’une unité d’élite, et accessoirement son ex maîtresse.
« De toute façon, il n’y avait rien à faire, avec la vie. Qu’elle te plaise ou non, il fallait la vivre. Arrivés là, mieux valait arrêter de jouer les déprimés existentialistes. Nous ne pouvons que proposer notre bonne volonté et notre sourire, ce qui ne fait jamais de mal face aux précipices. » (p. 48)
C’est avec talent que Gianni Biondillo campe ses personnages. Talent dans la psychologie de ses personnages avec cet inspecteur désœuvré entre son ex-femme, sa fille qui grandit et cette maîtresse sous les ordres de qui il doit collaborer, si possible avec brio , avec aussi Elena, commissaire qui doit diriger des hommes pas toujours enclin à écouter une femme, et enfin Haile, homme perdu dans la jungle italienne dont on découvre l’histoire page après page.
Talent dans l’intrigue également, en multipliant les points de vue le lecteur s’attache non seulement à l’enquête mais aussi au présent et au passé de Haile avec en toile de fond l’immigration clandestine, les trafics de haut vol, la violence, et ces hommes sanguinaires, perdus, aux codes d’honneur facilement transigés.
Talent dans l’observation de la société italienne et des mœurs contemporaines.
Talent dans le style enfin avec des pages au lyrisme brûlant comme ce dernier passage qui fait écho aux premières lignes :
"Il la vit. Ce n'était certes pas celle de son enfance, épaisse comme une couverture, blanche comme le lait, mais c'en était ; elle s'insinuait timidement, on aurait dit qu'elle rentrait à la maison, après une longue absence, on aurait dit un nuage qui avait perdu son troupeau, qui cherchait le repos dans cette vieille cour d'immeubles milanais, mince, fragile, mais c'en était ; elle était là, elle s'étendait, prenait les mesures du bassin de pierre et de crépi, faisait pâlir l'obscurité, lui donnait un air fantastique, se gonflait, humidifiait l'air, la peau, adoucissait les douleurs, émouvait, rappelait la mort et pourtant la fuyait, suspendait le temps, paralysait les choses, les personnes, le monde, interrompait les peurs, les amplifiait, fantasmatique, consolait, racontait et faisait taire, apeurait quand elle se raréfiait, trompait quand elle devenait dense, sculptait avec le givre, se dissolvait avec l'air, effaçait, remémorait, perdait les choses lointaines, les gardait avec elle, éclairait, annulait, blanchissait. Il la vit, étreignant sa fille, et cela lui suffisait. La brume, la brume."
Du grand art !
Ce que j’ai moins aimé :
-Rien.
Première phrase :
"La brume, la brume, cristaux de glace suspendus, nuage pédestre, la brume qui monte, petite pluie fine, orgeat opalin qui cache les choses lointaines, halo blanchâtre, pâle, diffuseur laiteux d'abstraites réminiscences lunaires, la brume dure, presque, solide, trempée, des millions de gouttelettes dansantes, qui estompent, émoussent, amortissent l'ouïe, la brume qui presse, qui étouffe les chuchotements, capitonne les pas, fait taire les chiens, se couche sur la plaine, la brume, drap de coton étendu, voûte de voile, coupole de fumée, vapeur, brouillard, la brume, celle des contes de fées, mystérieuse, menteuse, domestique, la brume des rêves, celle que les enfants de Milan n'ont jamais vue, mur d'ouate, rideau de théâtre, haleine de la terre, la brume qui presse dans le cadre en damier de la fenêtre, qui voudrait se précipiter, gicler, entrer dans l'obscurité de la cellule, se répandre, glace sèche, fumigène, la brume qui enfin se retient, pudique, effrayée par les hurlements de détresse qui résonnent dans le noir profond, la brume qui se fait vague lueur, verre gravé, qui se retire, retourne dans le monde, et, vaincue, quitte les cris et les gargouillis de sang éructés par les mâchoires épuisées de l'homme, écroulé sur la civière, à un pas de la mort. Peut-être."
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Autre : les romans de Gilda PIERSANTI
D’autres avis :
Le matériel du tueur, Gianni Biondillo, traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Métailié, mai 2013, 352 p., 20 euros