Dans le Sud, acquis d’emblée à ce qu’il faut bien appeler une insurrection civile, on ne s’embarrassait pas de ces subtilités et l’imposant cortège qui saturait les rues de Phuket fêtait déjà le « jour de la victoire ». Victoire ou jugement, l’avenir le dira dans un pays rompu aux coups d’éclats et aux retournements légendaires. Toujours est-il que le Premier ministre, Yingluck Shinawatra, chancelle et, avec elle, un système qui, s’il devait s’effondrer, provoquerait un tsunami politique ressenti bien au-delà des frontières du royaume. Comptant parmi les nations capitalistes les plus dynamiques, la Thaïlande est en effet un cas à part. Engagée comme quasiment toute la planète dans la mondialisation, elle n’en a pas moins conservé ses institutions et ses traditions à peu près inchangées depuis le coup d’État de 1932 qui vit l’instauration d’une monarchie constitutionnelle sous l’égide d’un régime nationaliste. Hymne diffusé à heures fixes sur les ondes, port de l’uniforme généralisé des collégiens aux fonctionnaires, organisation très encadrée du respect dû à un monarque par ailleurs très vénéré, clergé bouddhiste et armée omniprésents dans la société, jusqu’au nom même du pays adopté en 1939 pour faire valoir les droits d’une hégémonie « thaïe » sur la région, tout symbolise ici aujourd’hui encore la singularité d’une démocratie établie par l’ancien parti unique qui avait su s’accommoder sans encombre du suffrage universel imposé après-guerre par les vainqueurs à l’allié de la dernière heure. Ce subtil équilibre mariant tradition et modernité est pourtant mis à mal depuis les années 90 par le clientélisme dispendieux d’un milliardaire autodidacte, Thaksin Shinawatra. Frère de l’actuelle Premier ministre, il s’assura alors des voix des grandes régions rurales du Nord-Est qui l’imposeront à la tête du pays en 2001. Depuis, manifestations, putsch militaire, condamnations et exil de l’affairiste n’y feront rien, la corruption à vaste échelle permet à sa famille richissime de rester aux commandes d’un État dont elle sape consciencieusement les bases. Loin de la l’interprétation sociale qu’en font aujourd’hui les médias occidentaux, c’est donc à la réaction massive d’un peuple soucieux de la préservation de son cadre de vie à laquelle on assiste aujourd’hui. En abusant de populations naïves qu’ils désorientent par le mirage d’un consumérisme effréné, les Shinawatra sont perçus ici comme l’avatar local d’une finance internationale sans scrupules, étrangère aux valeurs du royaume. Les élections leur étant ainsi systématiquement favorables, Suthep Thaugsuban propose donc de troquer le vieux principe démocratique occidental « un homme, une voix » contre une « démocratie absolue sous la monarchie constitutionnelle », dirigée par un « Conseil du peuple » non élu, d’esprit corporatiste et fondé lui sur l’histoire de la nation. On comprend mieux la frilosité de nos médias à rendre compte de la réalité des événements thaïlandais. Une rébellion tout à la fois populaire et réactionnaire qui rejette le principe majoritaire de la démocratie, ce n’est pas dans leur grille de lecture.
En Thaïlande, le principe majoritaire ne fonde plus la démocratie
Publié le 12 décembre 2013 par Librattitude
Publié le 10 décembre 2013 sur le site Boulevard Voltaire
« Nous en avons assez de cette politique, nous ne voulons plus d’élections. Nous seuls sommes légitimes pour choisir le prochain gouvernement et le soumettre à l’approbation de notre roi. » Ainsi s’exprimait un manifestant devant un journaliste de l’AFP, ce lundi 9 décembre proclamé « Jour du Jugement » par Suthep Thaugsuban, le tribun qui mobilise depuis plusieurs semaines à Bangkok des foules impressionnantes contre le pouvoir thaïlandais issu des urnes.
Dans le Sud, acquis d’emblée à ce qu’il faut bien appeler une insurrection civile, on ne s’embarrassait pas de ces subtilités et l’imposant cortège qui saturait les rues de Phuket fêtait déjà le « jour de la victoire ». Victoire ou jugement, l’avenir le dira dans un pays rompu aux coups d’éclats et aux retournements légendaires. Toujours est-il que le Premier ministre, Yingluck Shinawatra, chancelle et, avec elle, un système qui, s’il devait s’effondrer, provoquerait un tsunami politique ressenti bien au-delà des frontières du royaume. Comptant parmi les nations capitalistes les plus dynamiques, la Thaïlande est en effet un cas à part. Engagée comme quasiment toute la planète dans la mondialisation, elle n’en a pas moins conservé ses institutions et ses traditions à peu près inchangées depuis le coup d’État de 1932 qui vit l’instauration d’une monarchie constitutionnelle sous l’égide d’un régime nationaliste. Hymne diffusé à heures fixes sur les ondes, port de l’uniforme généralisé des collégiens aux fonctionnaires, organisation très encadrée du respect dû à un monarque par ailleurs très vénéré, clergé bouddhiste et armée omniprésents dans la société, jusqu’au nom même du pays adopté en 1939 pour faire valoir les droits d’une hégémonie « thaïe » sur la région, tout symbolise ici aujourd’hui encore la singularité d’une démocratie établie par l’ancien parti unique qui avait su s’accommoder sans encombre du suffrage universel imposé après-guerre par les vainqueurs à l’allié de la dernière heure. Ce subtil équilibre mariant tradition et modernité est pourtant mis à mal depuis les années 90 par le clientélisme dispendieux d’un milliardaire autodidacte, Thaksin Shinawatra. Frère de l’actuelle Premier ministre, il s’assura alors des voix des grandes régions rurales du Nord-Est qui l’imposeront à la tête du pays en 2001. Depuis, manifestations, putsch militaire, condamnations et exil de l’affairiste n’y feront rien, la corruption à vaste échelle permet à sa famille richissime de rester aux commandes d’un État dont elle sape consciencieusement les bases. Loin de la l’interprétation sociale qu’en font aujourd’hui les médias occidentaux, c’est donc à la réaction massive d’un peuple soucieux de la préservation de son cadre de vie à laquelle on assiste aujourd’hui. En abusant de populations naïves qu’ils désorientent par le mirage d’un consumérisme effréné, les Shinawatra sont perçus ici comme l’avatar local d’une finance internationale sans scrupules, étrangère aux valeurs du royaume. Les élections leur étant ainsi systématiquement favorables, Suthep Thaugsuban propose donc de troquer le vieux principe démocratique occidental « un homme, une voix » contre une « démocratie absolue sous la monarchie constitutionnelle », dirigée par un « Conseil du peuple » non élu, d’esprit corporatiste et fondé lui sur l’histoire de la nation. On comprend mieux la frilosité de nos médias à rendre compte de la réalité des événements thaïlandais. Une rébellion tout à la fois populaire et réactionnaire qui rejette le principe majoritaire de la démocratie, ce n’est pas dans leur grille de lecture.
Dans le Sud, acquis d’emblée à ce qu’il faut bien appeler une insurrection civile, on ne s’embarrassait pas de ces subtilités et l’imposant cortège qui saturait les rues de Phuket fêtait déjà le « jour de la victoire ». Victoire ou jugement, l’avenir le dira dans un pays rompu aux coups d’éclats et aux retournements légendaires. Toujours est-il que le Premier ministre, Yingluck Shinawatra, chancelle et, avec elle, un système qui, s’il devait s’effondrer, provoquerait un tsunami politique ressenti bien au-delà des frontières du royaume. Comptant parmi les nations capitalistes les plus dynamiques, la Thaïlande est en effet un cas à part. Engagée comme quasiment toute la planète dans la mondialisation, elle n’en a pas moins conservé ses institutions et ses traditions à peu près inchangées depuis le coup d’État de 1932 qui vit l’instauration d’une monarchie constitutionnelle sous l’égide d’un régime nationaliste. Hymne diffusé à heures fixes sur les ondes, port de l’uniforme généralisé des collégiens aux fonctionnaires, organisation très encadrée du respect dû à un monarque par ailleurs très vénéré, clergé bouddhiste et armée omniprésents dans la société, jusqu’au nom même du pays adopté en 1939 pour faire valoir les droits d’une hégémonie « thaïe » sur la région, tout symbolise ici aujourd’hui encore la singularité d’une démocratie établie par l’ancien parti unique qui avait su s’accommoder sans encombre du suffrage universel imposé après-guerre par les vainqueurs à l’allié de la dernière heure. Ce subtil équilibre mariant tradition et modernité est pourtant mis à mal depuis les années 90 par le clientélisme dispendieux d’un milliardaire autodidacte, Thaksin Shinawatra. Frère de l’actuelle Premier ministre, il s’assura alors des voix des grandes régions rurales du Nord-Est qui l’imposeront à la tête du pays en 2001. Depuis, manifestations, putsch militaire, condamnations et exil de l’affairiste n’y feront rien, la corruption à vaste échelle permet à sa famille richissime de rester aux commandes d’un État dont elle sape consciencieusement les bases. Loin de la l’interprétation sociale qu’en font aujourd’hui les médias occidentaux, c’est donc à la réaction massive d’un peuple soucieux de la préservation de son cadre de vie à laquelle on assiste aujourd’hui. En abusant de populations naïves qu’ils désorientent par le mirage d’un consumérisme effréné, les Shinawatra sont perçus ici comme l’avatar local d’une finance internationale sans scrupules, étrangère aux valeurs du royaume. Les élections leur étant ainsi systématiquement favorables, Suthep Thaugsuban propose donc de troquer le vieux principe démocratique occidental « un homme, une voix » contre une « démocratie absolue sous la monarchie constitutionnelle », dirigée par un « Conseil du peuple » non élu, d’esprit corporatiste et fondé lui sur l’histoire de la nation. On comprend mieux la frilosité de nos médias à rendre compte de la réalité des événements thaïlandais. Une rébellion tout à la fois populaire et réactionnaire qui rejette le principe majoritaire de la démocratie, ce n’est pas dans leur grille de lecture.