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Les éditeurs qui méditent

Par Clementinebeauvais @blueclementine

'T'as dû changer des choses dans ton livre?'
'Oui, des tas.'
'Parce que t'avais fait des fautes d'orthographe et tout?'
'Pas seulement, aussi des trucs plus importants.'
'???? Comme par exemple... non, quand même pas au point de changer les noms des personnages???' [on sait pas trop pourquoi mais ça c'est THE truc qui terrifie le plus les gens]
'Parfois, mais pas que. J'ai aussi dû enlever un personnage secondaire/ modifier l'intrigue/ enlever une intrigue secondaire/ changer la fin/ etc.'
'C'est ton éditeur qui t'a fait faire ça??!#!£!'
'Oui, il édite, quoi.'
'Et tu l'as laissé faire????' 
'Ben on a discuté des modifications, évidemment.'
'Donc en gros il y a plein de trucs qui ont changé entre le manuscrit et le livre.'
'Baoui.'
'C'est horrible.'
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OH LE MECHANT EDITEUR QUI EDITE! Il n'y a rien qui effare et indigne plus les gens que d'apprendre que quelqu'un a osé corriger, modifier et restructurer ta prose avant qu'elle n'atterrisse dans les librairies. Incompréhension et perplexité. Il n'y a que deux raisons possibles:
1) Tu es un être faible, sinon tu te serais opposé au méchant éditeur et tu aurais entièrement 'gardé le contrôle de ton livre' et il serait 'vraiment ton vrai livre à toi'.
2) Ton livre était vraiment très nul à la base. On se demande pourquoi l'éditeur l'a pris d'ailleurs, ça reste un mystère, mais vu le boulot qu'il a fallu il devait être bien pourri.
Quoi qu'il en soit, il n'y a qu'une seule et unique motivation au travail de l'éditeur:
RENDRE LE LIVRE PLUS COMMERCIAL
Oui, mes chers enfants, c'est la seule chose que fait un éditeur. Un éditeur n'y connaît rien au style, aux intrigues, à la caractérisation des personnages, etc. Un éditeur n'est pas un individu qui s'intéresse à la littérature, c'est un agent de la Matrice dont le rôle est de s'assurer que les lecteurs continuent à consommer en oubliant qu'ils sont en réalité des piles Duracell alimentant d'énormes machines.

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quoique finalement, ça ressemble peut-être à ça le comité éditorial chez Fleurus

Bref, quel est le rapport avec la choucroute?

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il est interdit de manger de la choucroute ici.


Ca faisait quelque temps que je voulais parler du travail éditorial épuisant astronomique énorme très intéressant que j'ai eu à faire sur Comme des images, mon prochain roman ado chez Sarbacane. Il faut déjà savoir une chose: je déteste corriger ce que j'écris. Je déteste la réécriture. Je veux tout faire bien du premier coup, sinon c'est la crise.

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VEUX PAS VEUX PAS VEUX PAS

Or, là... ce qui s'est passé... bon, je vous fais une récap'.

1) De 'oh la bonne idée' à 'oh la réalisation pourrie'.
Ca faisait un bout de temps que j'avais l'idée. On entendait parler de tous ces cas de vidéos ou images pornographiques passées de portable en portable par des ados, dont certaines se retrouvaient fuitées sur la Toile, surtout dans les cas de rupture: hop, le copain ou la copine fait circuler les images, envoyées 'par amour' à l'époque.
Je voulais écrire là-dessus parce que je pensais que ce serait intéressant de traiter de ce thème, mais je voulais un angle particulier. Mon idée de départ était donc: des images pornographiques d'une jeune fille fuitent sur Internet; la jeune fille en question a une soeur jumelle; pour la soeur en question, c'est donc l'horreur car ces images 'partagées' sont aussi des images d'elle.
Je voulais aussi que tout se passe dans un lycée d'élite parce que je suis une pauvre névrotique qui n'a pas encore tourné la page de ses traumatismes d'adolescence le thème des adolescents privilégiés dans des milieux très compétitifs et très bien sous tous rapports m'intéresse.
Donc j'écris l'histoire, tic tac toc, et je fais ça court et net: 130 000 signes. J'envoie à Emmanuelle, chez Sarbacane, sachant très bien qu'il faudrait du boulot parce qu'il y avait des trucs qui coinçaient, des trucs un peu légers, et une intrigue généralement bancale, mais j'étais arrivée à la limite de ce que je pouvais faire moi-même.
Bon, franchement, cette première version était bien pourrie en fait. L'idée principale ne sortait pas vraiment, les personnages étaient durs, rien n'était creusé. Je ne sais pas comment Emmanuelle a réussi à convaincre Tibo de s'en occuper, mais il a accepté d'essayer de transformer ce squelette de machin en roman Exprim' potable.
2) Dring dring!
Mon téléphone a donc sonné pour discuter des changements à apporter à ce brouillon de Comme des images.

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- Quand on touche le fond, un bon coup de pied et on remonte à la surface!
- Vous me conseillez de me noyer?

Le coup de fil a duré deux heures (littéralement) car Tibo avait diagnostiqué à peu près six ou sept mille problèmes. Au-delà de ça, ce qui était très intéressant de mon point de vue, c'était qu'il avait remarqué un très grand nombre de choses que je n'avais pas du tout remarquées. Comme la récurrence du champ lexical du théâtre, ou l'importance du motif du regard, qui n'étaient pas du tout fouillés. Il avait aussi des suggestions pour rallonger le roman, lui donner plus de densité, plus de tendresse aussi (bon, je vais pas vous mentir, il est toujours pas très tendre comme roman, mais bon je suis pas très tendre comme fille), et accentuer encore certains aspects - le thème de la compétition scolaire, par exemple.
On a aussi discuté des personnages. Je me suis aperçue que certains (la plupart) n'avaient aucune motivation claire, aucun désir particulier. L'une des jumelles pleurait tout le temps. L'autre était incompréhensible. Leur petite soeur ne servait à rien, il fallait la jarter. En fait, il fallait réécrire le livre presque entièrement.
3) (L'enfer de) la réécriture
Je rappelle donc que je déteste réécrire. Evidemment ce n'est pas le premier de mes livres qui avait besoin d'une bonne dose de corrections - le premier Sesame notamment en a eu beaucoup, et Les petites filles top-modèles quelques-unes. Mais là, c'était des corrections d'un autre genre. C'était pas 'enlève un personnage secondaire et bouche les trous de l'intrigue ici, ici et ici'. C'était l'équivalent de 'casse tout et reconstruis'.
Alors j'ai rebossé dessus intensément pendant deux ou trois mois me semble-t-il, pour arriver à une version de 154 000 signes beaucoup plus creusée et débarrassée d'un certain nombre de problèmes. Je l'envoie à Tibo, et j'attends.
Quelques jours plus tard, dring, dring!:

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allô? c'est le monsieur de la dernière fois?

Apparemment les avancées étaient encourageantes. Mais il y avait encore des (gros) problèmes. En particulier, la jumelle nous échappait. Elle restait opaque et bizarre, impossible à cerner. Les conversations qui la mettaient en scène la maintenaient à distance. Elle était faible et nunuche.

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tu nous saoules, Mary-Kate

On lui a donc construit une intrigue totalement différente, une fin entièrement réaménagée, et ça y est, enfin elle avait quelque chose à faire, quelque chose qui validait un peu son rôle au lieu de la poser systématiquement en victime.
4) Arrivage de nouvelles voix
On en est arrivés à la troisième version. 185 800 signes, une intrigue presque totalement changée, certains personnages entièrement différents, mais des thèmes plus maîtrisés et des dialogues plus longs, avec plus d'espace pour aborder les questions les plus importantes de l'histoire.
Mais la structure restait problématique, parce que l'histoire est très fracturée: tout se passe en une journée, mais avec des tas de flash-backs et de flash-forwards, et il fallait que tout ça se tienne. Tibo a eu l'idée de faire entendre les voix de ceux qu'on n'entendait pas- d'insérer donc des passages entre les chapitres dans d'autres voix que celle de la narratrice.
L'idée me plaisait, mais j'ai décidé de la modifier. A la place, j'ai inséré des fragments d'autres conversations. Des commentaires sur YouTube. Une conversation Facebook. Des textos. Ces petits bouts de discours éclatés sont venus s'ajouter à la narration, entre les chapitres, comme des respirations, pour resserrer la structure et renforcer les thèmes du livre.
La version 4 faisait 206 000 signes.
Ah oui c'est aussi à ce moment-là que la tragédie de la bande-son est arrivée. D'ailleurs Tibo lui a rendu hommage:

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merci hein!


5) Passage au maquillage
Et enfin le manuscrit était prêt pour les dernières modifications cosmétiques. Euh... oui, les dernières, promis...

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le zouli zarc-en-ciel


Grâce à un code couleur d'une remarquable efficacité, j'ai encore changé... des tonnes de choses. Ajouter encore des allusions aux thèmes principaux, développer telle conversation, revoir tel point de vue...
Re-conversation au téléphone, et puis on est vraiment passé au cosmétique cette fois: on en était aux épreuves papier, hein, pas de blague!
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ah ben non en fait il restait des trucs à revoir


J'ai donc revu.
Il restait trop de 'j'ai dit' dans les conversations, par exemple.
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Mais ça, c'était avant. C'était de l'histoire ancienne.
Parce que le livre part AUJOURD'HUI chez l'imprimeur!
(D'où le billet de blog de retour sur le chemin parcouru, t'as vu.)
Voilou, c'est tout. J'espère que ça vous a vaguement intéressé de voir le parcours un peu chaotique que peut avoir un manuscrit de l'idée à la réalisation. De mon côté, c'était la première fois que j'ai eu autant de boulot de réécriture, et j'espère que le résultat vous plaira (sinon franchement le seum quoi!).
J'espère aussi que ce billet redorera un peu l'image des éditeurs, dont, oui, certains sont anthropophages,  filous, ignares et arnaqueurs, mais dont d'autres peuvent être vraiment consciencieux, passionnés et intelligents, avec un sens du détail exceptionnel et un perfectionnisme à tendance psychotique admirable.
ALLEZ, A VOUS MAINTENANT!
Parce que c'est bientôt Noël, ziouplà les nounours-auteur/es qui passez par là, partagez donc dans les commentaires des bons souvenirs d'édition avec des éditeurs tout gentils, d'accord? Pour nous faire un petit stock de belles anecdotes et histoires à relire pour les jours où on s'agace du comportement de certains autres éditeurs...
(Et on termine avec Philippe Geluck:)
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