Il faut finir le travail de Mandela
Publié Par George Ayittey, le 11 décembre 2013 dans AfriqueLe contraste entre Mandela et les autres dirigeants africains est saisissant comme la nuit et le jour.
Par George Ayittey.
Un article de Libre Afrique.
Nelson Mandela, ancien président d’Afrique du Sud est décédé jeudi dernier à l’âge de 95 ans. Il était réellement un héros et un leader africain, un homme à la détermination infatigable, au courage inébranlable, à l’esprit indomptable et à la volonté de fer. Il a enduré d’immenses souffrances et sacrifices personnels pour apporter la liberté à son peuple. Pourtant, il avait un cœur assez grand pour pardonner et se réconcilier avec ses bourreaux et ses oppresseurs. Il reposera en paix.
Le contraste entre Mandela et les autres dirigeants africains est saisissant comme la nuit et le jour. Mandela n’a pas déclaré l’Afrique du Sud un État socialiste à parti unique et ne s’est pas autoproclamé président à vie ou empereur. Il n’a officié que durant un seul mandat ; les autres gardent 10 , 20 , 30 et même 40 ans le pouvoir, puis préparent leurs femmes, fils, chats, chiens et chèvres pour leur succéder. La présidence est leur propriété de famille.
Mandela est mort paisiblement dans son propre pays. Les autres meurent violemment : Khaddafi d’une balle entre les yeux ; Abacha empoisonné ; Samuel Doe, une oreille coupée ; Maïnassara, soufflé en morceaux , etc. Beaucoup sont morts en exil ou dans des hôpitaux étrangers.
Mandela n’a jamais eu un compte bancaire en Suisse ou un manoir en capitaux étrangers. Il a vécu une vie humble et spartiate dans sa maison ancestrale à Qunu. La plupart des autres présidents sont les hommes les plus riches d’Afrique, ayant pillé leurs trésors publics pour se construire d’immenses fortunes et demeures à l’étranger. Depuis 1970, plus de 1000 milliards de dollars ont été siphonnés en Afrique en flux financiers illicites.
Mandela n’a jamais fait arrêter de critiques ou de personne qui n’étaient pas d’accord avec lui. La plupart des autres appellent les critiques des « terroristes », des « saboteurs », des « contre-révolutionnaires », « des vendus aux colonialistes » etc. devant être liquidés. On peut même être emprisonné pour avoir dit que le président n’est pas en bonne santé. La liberté d’expression existe dans moins de 10 des 55 pays africains, en dépit du fait qu’elle est garantie par l’article 9 de la Charte des droits de l’homme et des peuples de l’Union africaine même.
Mandela pouvait s’asseoir et se réconcilier avec ses bourreaux et ses ennemis. La plupart des autres ont un cœur froid comme la glace. Leur idée de la réconciliation est la confrontation avec un bazooka.
Mandela n’était pas « intellectuellement astigmate ». De nombreux dirigeants africains ne voient l’oppression ou l’exploitation que si elle a un visage blanc. Ils se sont déchaînés contre l’apartheid en Afrique du Sud tout en écrasant leurs propres populations. Ils n’ont jamais voulu voir les régimes d’apartheid tout aussi odieux, de facto tribaux et religieux qu’ils avaient établis dans leur propre pays : au Burundi, en Éthiopie, en Mauritanie, au Nigeria, au Rwanda et au Soudan, entre autres. Ces despotes ont été responsables de la mort de quelque 21 millions d’Africains depuis 1960. La triste vérité est que, dans un laps de temps de 50 ans, les dictateurs africains ont causé la mort d’environ le même nombre de personnes que l’Afrique n’en a perdu par la traite des esclaves ouest africaine (exploitée par les Européens) et la traite des esclaves trans-saharienne et d’Afrique de l’Est organisée par les Arabes aux 17ème et 18ème siècles.
Il y a eu 227 chefs d’État africains depuis 1960, mais on aurait du mal à nommer seulement 10 bons leaders parmi eux. Si l’Afrique avait eu seulement 10 Mandela après l’indépendance dans les années 1960, l’histoire de l’Afrique post-coloniale aurait été bien différente.
Le problème aujourd’hui est que les Africains ne peuvent pas évincer un grand nombre de ces mauvais dirigeants sans détruire leur pays. Si Mouammar Kadhafi, Charles Taylor ou Laurent Gbagbo avaient été prêts à renoncer ou partager le pouvoir politique, leurs pays respectifs auraient été sauvés. En 1986, le président Yoweri Museveni d’Ouganda déclarait « aucun chef d’État africain ne devrait être au pouvoir plus de 10 ans ». Il est toujours là, 27 ans plus tard ! Mais ces despotes sont les mêmes vauriens méprisables qui vont s’attrouper à l’enterrement de Mandela et pleurer comme des Madeleines.
Évidemment, le travail de Mandela est inachevé. L’oppression est l’oppression, quelle que soit la couleur de la peau ou la race de l’oppresseur. L’Afrique n’est toujours pas libre. Seuls 13 pays africains sont démocratiques, là où la règle « un homme, un vote » prévaut. L’Afrique a besoin d’une deuxième libération pour balayer les néo-colonialistes noirs, les socialistes des Banques suisses, les marxistes roulant en Jaguar, les révolutionnaires charlatans, les militaires à la noix de coco, les libérateurs de crocodile, les bandits à la mallette et autres espèces déshonorantes .
Mandela était bien conscient de ceux-là. En 2000, il exhortait les Africains à prendre les armes et à renverser les dirigeants corrompus ayant accumulé d’immenses fortunes personnelles tandis que les enfants du peuple mourraient de faim. Il exhortait le public à prendre des fusils pour vaincre les tyrans. Les Africains se feraient un plaisir de lui rendre un tel hommage.
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