par Daniel BORDUR, journaliste, directeur de Factuel.info et accompagnateur en montagne
Des bergers de plusieurs passifs français se sont réunis début novembre à la Petite Echelle, un alpage du Mont d'Or. Ils ont parlé du grand prédateur dont le succès médiatique éclipse leurs difficiles conditions de travail et des pratiques d'élevage nées avant le retour du loup.
Qu'on se le dise, les bergers ne veulent pas de l'éradication du loup réclamée à cor à cri par les syndicats d'éleveurs au premier rang desquels la FNSEA. Ils demandent seulement qu'on les protège du prédateur.
Ils acceptent même qu'on lui tire dessus pour éliminer un « loup à problème », voire une meute. Enfin, pas tous. Ceux qui en sont là sont directement concernés par les attaques. Ils parlent d'échec de la gestion du loup après son retour, notamment dans le Mercantour.
Les bergers n'apprécient pas trop non plus qu'on leur dise que le patou ou le regroupement nocturne sont des solutions miracles. Car les chiens de protection n'empêchent pas toujours les attaques. Arrivés les premiers sur les lieux des carnages, récupérant les carcasses et gérant le stress des brebis survivantes, les bergers ont le blues. Voire pire. L'un deux a récemment été condamné par un tribunal niçois à quatre mois de prison avec sursis pour avoir cogné à coups de manche de pioche deux agents du parc du Mercantour venus constater une attaque.
La situation est-elle sans issue ? C'est ce que craint l'association des bergers de Provence et des Alpes du sud qui dénonce dans un communiqué le fait que tout se passe « comme si les bergers étaient la variable d'ajustement de la protection du loup ». Le texte a été largement apprécié par le colloque de la Petite Échelle qui a consacré une matinée à un débat sur la place du loup dans l'environnement et le pastoralisme, et aux solutions aux problèmes qu'il pose : « 5500 brebis sont mortes sur 250 communes de l'arc alpin où l'on recense 1300 patous (chiens de protection) », dit Antoine Le Gal, berger dans le haut Verdon et représentant au GNL, le groupe national loup.
« Frappée par la violence de mon employeur »
La discussion n'est pas facile tant est palpable « la souffrance des bergers », explique Eric qui en « tremble tant le sujet l'émeut ». Solène, qui travaille en Ariège, confrontée à l'ours, pointe les difficultés avec les éleveurs, souvent réunis en syndicats ou groupements pastoraux où ils ne défendent pas toujours la même position par rapport aux prédateurs. Une bergère alpine est même « frappée par la violence de mon employeur qui reporte la faute sur moi » en cas d'attaque.
Les autres réactions qui énervent viennent de ceux qu'on pourraient croire les alliés des bergers : les touristes et les randonneurs, mais ils ne voient pas forcément la montagne comme un outil de travail. Il y a certes les « écolos de salon », mais aussi les « touristes qui parlent d'espaces sauvages, à qui il est difficile de faire comprendre que ces espaces sont domestiqués », dit Christiane, bergère en Oisans depuis plus de 20 ans. Il arrive que même l'ONCFS s'y mette, ne « donne d'information sur la présence d'un loup que lorsque tout le monde le sait », regrette un berger en Maurienne.
« Certaines pratiques favorisent la prédation »
Alors, faut-il tuer le loup ? D'abord, il n'y a pas « le loup », mais des loups. Ensuite, les opinions divergent. Les uns sont d'accord pour des tirs ciblés, tout en sachant bien que c'est repousser un problème qui reviendra : « Diminuer la population de loups, il y a des endroits où il faut le faire... Mais que fera-t-on ensuite quand elle remontera ? », dit Mathieu qui résume assez bien un point de vue largement partagé, mais qu'il faut nuancer : « Bien sûr que certaines pratiques favorisent la prédation », dit Antoine.
D'autres entendent proposer de vivre avec le prédateur en lui compliquant la vie dès lors qu'il chercherait à manger du mouton. Cela part de l'idée, que la plupart des bergers acceptent, selon laquelle il est nécessaire de préserver la biodiversité, une biodiversité qui doit inclure... l'homme. Vivre avec le loup donc, c'est aussi le comprendre. Réaliser qu'il est champion dans le calcul du coût énergétique d'une prédation et ira toujours au plus facile. Le plus facile est-il de s'attaquer à cinquante brebis parties brouter un coin d'alpage isolé ? Peut-être faudrait-il garder le troupeau compact, suggère Gérard Vionnet, paysan dans le Haut-Doubs, berger et naturaliste. Mais pour cela, il faut au moins deux bergers et disposer de chiens de protection préparés. Car il ne suffit pas d'avoir les fameux chiens, il faut un minimum d'imprégnation au sein des moutons, des relations avec les hommes qui n'ont souvent conçues celles-ci qu'avec les chiens de conduite... Bref, c'est d'une évolution du métier de berger dont il s'agit, avec de la formation, de la recherche, du partage de connaissance, ce qui signifie davantage de moyens que ne sont pas forcément disposés à consentir tous les éleveurs.
Lire la suite de "Pour les bergers, y'a un loup !" sur Factuel.info
(...) « on part des problèmes du loup, on arrive au statut des bergers, faisons passer nos solutions »
(...) On commence à entrevoir que creuser la question du loup débouche sur d'autres problématiques. « Le loup est là pour qu'on fasse n'importe quoi ailleurs, un moyen pour que l'agriculture intensive fasse ce qu'elle veut ». « les syndicats d'éleveurs sont pour l'éradication du loup, pas nous. Mais certains profitent du loup pour éviter de parler des contrats de travail... »
Daniel Bordur
Journaliste, directeur de Factuel.info, accompagnateur en montagne.