Une Fleur sur le net, un autre type de sexisme

Publié le 10 décembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Publié Par h16, le 10 décembre 2013 dans Édito

C’est alors que Google fêtait, avec un doodle adapté, la 107ème année de naissance de Grace Hopper, une des toutes premières informaticienne et l’initiatrice des principes de base du COBOL, langage informatique encore massivement utilisé de nos jours, que Fleur Pellerin a décidé de saisir le Conseil National du Numérique. Paf. Comme ça.

Quelle guêpe a piqué Fleur ? Pourquoi s’est-elle ainsi propulsée dans les jupons de Najat Vallaud-Belkacem pour que l’une et l’autre, bras-dessus, bras-dessous, aillent saisir le Conseil trucumuche pour une de ces missions si essentielles à la bonne marche de la République ? Eh bien c’est très simpliste et c’est expliqué dans quelques petites lignes serrées ici ou là : nos deux ministres ont décidé qu’il fallait occuper le Conseil avec une vraie belle mission d’intérêt général, à savoir « travailler sur l’image des femmes dans le Web ».

Notez au passage l’usage de la préposition « dans » (« des femmes dans le web »), usage amusant qui me fait irrésistiblement penser à « des pépins dans les groseilles », « des ministres dans la tourmente », ou « des scaphandriers dans les profondeurs » ; car oui, de nos jours, les femmes ne vont pas sur Internet, elles n’évoluent pas en ligne, elles sont plongées dans les intertubes du cyberespace. Avec un masque, un tuba, et des palmes, le tout estampillé Hello Kitty parce que le Web est sexiste. Si si. Vous allez voir.

Cet instant fugace de poésie, offert pour une fort modeste indemnité ministérielle, étant passé, essayons à présent de savoir ce que veulent précisément dire Fleur et Najat. Pour elles, tout part du constat d’évidence que, je cite toujours – déformer serait amoindrir l’humour involontaire :

On trouve dans le numérique la même proportion de machistes ordinaires qu’ailleurs. C’est pourtant un secteur tourné vers l’avenir, qui peut être associé à une forme de modernité dans sa façon de penser la société. Or ce n’est pas le cas.

Que voilà un problème bien posé et qui méritait largement qu’on s’y attarde. Je le résume rapidement : sur les intertubes, entre deux lolcats pas toujours drôles et des sites d’information au contenu d’une morosité attristante, les femmes qui surfent innocemment tombent parfois sur de gros lourds, des vilains, des méchants et des machos. Et lorsqu’on regarde les entreprises qui produisent du contenu, comme Les-Journaux-Sur-Internet.org, Les-Blogs-De-Tuning.net ou Jeux-Vidéos-Qui-Cognent.com, eh bien le tableau est encore pire : on n’y trouve que des garagistes, des camionneurs, des motards, des soldats et des ingénieurs informaticiens qui se racontent des histoires de blondes idiotes.

L’effarement compréhensible de Fleur ne s’arrête bien sûr pas là. En effet, même si constater que les entreprises du numérique sont, finalement, comme le reste des autres entreprises, ce qui constitue déjà un outrage assez violent au vivre-ensemble, il en faut plus pour qu’une ministre saisisse à pleines mains le Conseil National du Numérique. Non, ce qui va décider nos deux passionarias de la lutte anti-sexisme sur les intertubes, c’est que souvent, il ne se passe rien. Alors, il faut agir !

Comment réagir lorsque les réseaux sociaux ou les jeux vidéo répandent des clichés sexistes, alors qu’il n’y a pas forcément de dépôt de plainte ?

Oui, c’est vrai, ça, Fleur, comment faire lorsque personne ne réclame rien et qu’on voudrait tant que quelqu’un réclame un truc, n’importe quoi, histoire de déclencher des souffrances, des demandes de réparation et le remplissage frénétique de Cerfa contre les blessures psychologiques ? Quel angle d’attaque peut-on trouver pour battre en brèche la réalité et s’inscrire obstinément en faux contre les allégations perverses du réel qui refuse de se plier aux injonctions pourtant humanistes et nécessaires du socialisme égalisateur triomphant ? Bien sûr, on comprend au milieu de cette soupe pleine de pâtes-alphabet que la petite Fleur tente de faire passer un message simple : les jeux vidéos sont horriblement sexistes, les réseaux sociaux véhiculent des messages qui offensent les femmes, et tout ça.

Sauf qu’aussi alambiqué soit un discours touillé avec la ferveur d’une ministre dont l’exposition médiatique est une des clefs pour éviter l’éjection lors d’un prochain remaniement, il n’en est pas forcément vrai. Je passerai rapidement sur le soi-disant sexisme des jeux ; les pratiquants principaux concernés savent ce qu’il en est vraiment : si certaines ministres s’offusquent facilement des attributs anatomiques de Lara Croft, on n’entend pas trop leur opinion concernant ceux des héros masculins d’autres jeux, dont le muscle est assez souvent mis en avant au détriment d’une intelligence que le scénario n’arrive pas toujours à faire décoller. Croire que les réalisations comme Mirror’s Edge, qui proposent une héroïne plutôt qu’un héros au pratiquant de jeu vidéo, sont rares ou sexiste est une interprétation qui doit bien plus à la nécessité compulsive d’exister médiatiquement – quitte à dire des âneries – qu’à une quelconque réalité.

Et lorsqu’on lit la suite des balbutiements ministériels, on comprend encore une fois que le but n’est qu’une loi, une régulation supplémentaire. Lorsque Fleur Pellerin déclare :

Il faut rappeler les dirigeants à leurs responsabilités.

… il n’est guère difficile d’entendre « Vite, une loi » en fond sonore. Mais au fait, les dirigeants de quoi ? Des entreprises de jeux vidéo, des réseaux sociaux ? Étrange demande qui oublie trop facilement que ces dirigeants mettent à disposition d’une population croissante d’individus des deux sexes des jeux et des plateformes qui rencontrent un succès grandissant, et démontrent par là qu’ils sont assez proches de ce qu’attend le public (la moitié des joueurs est composé de femmes, eh oui), chose que nos politiciennes n’arrivent même pas à toucher du doigt en rêve ou sur console, les urnes n’ayant décidément pas la même force…

Et puis, quelles sont donc ces responsabilités qu’invoque ainsi la ministre ? Celles qui consistent à édulcorer la société selon ses goûts à elle ou une partie de la population ? Doit-on sucrer les violences, éliminer tel ou tel type de stéréotype parce que ça déplaît à certains ou certaines ? En vertu de quoi, de qui ? Ainsi, doit-on ne pas montrer de violences ? Ou juste entre des mecs, des virils, des costauds, ça, c’est permis ? Ou au contraire, toutes les violences, partout, comme en réalité ? Ou non ? Ou quoi ? C’est confus, ça, madame !

Bien sûr, le pompon est atteint lorsqu’on revient, fermement, sur le plancher des vaches non numériques. Derrière tout ça, il y a aussi, en plus de bornes et de lois qu’on renifle à cent mètres, quelques actions de communication pas piquées des hannetons :

Et réfléchir à la manière d’inciter les jeunes femmes à embrasser ces carrières et à rejoindre la French Tech via une campagne de communication avec des portraits d’entrepreneuses, de développeuses.

Sapristi. Et rien pour les inciter à devenir grutier, à travailler dans la voirie, la plomberie, la charpenterie ou à faire des chantiers. Pourquoi ? Ce n’est pas assez… glamour peut-être ?

Mais… Mais… Mais c’est sexiste, ça, madame Pellerin !


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