Lorsque j'ouvre les yeux, encore empâtés de fatigue, je vois la vitre de la voiture couverte de buée. Ma mère et ma soeur, blotties dans leur manteau dorment profondément. Samuel n'est pas dans la voiture.
A l'aide de ma main, je frotte la vitre pour enlever cette épaisse et froide buée. A travers la trace, j'aperçois ce paysage magnifique.
La forêt a des reflets bleutés par la lumière du jour qui commence à ce levé. Un matin d'hiver, qui donne au décor un caractère mystérieux. Une ambiance froide et humide. Mais rassurante.
Un peu plus loin, je vois Samuel, debout, devant en arbre. Après quelques secondes, il revient vers la voiture, entre discrètement, et se remet à sa place, au volant, et tente de retrouver encore quelques instants de sommeil.
Nous avons passé la nuit dans cette voiture, perdue au milieu des chênes et des fougères. Sans doute par fatigue. Sans doute par crainte de fuir perpétuellement ce monstre tout le long de la nuit. Sans doute parce que nous savions qu'ici, il ne trouverait jamais.
Nous avons repris la route en direction du village le plus proche.
Attablés à une table de petit bistrot, nous prenons notre petit-déjeuner en paix.
Café, Thé, chocolat chaud. Pour nous réchauffer les mains et le coeur.
Dans le silence.
Accablés par cette nuit terrible et fatigante que nous venions de passer dans l'inconfort de cette petite voiture.
Après quelques petites généralités échangées, je me dirige vers les toilettes. En mon absence, Joséphine entre dans le sujet.
- Maman. Il faut que tu portes plainte.
- Oui... sans doute. Mais je ne sais plus quoi faire. Comment expliquer que je me suis remis avec ton père alors que le divorce est prononcé et qu'il n'est pas encore établi ? Et ton frère... Il est contraint de voir ton père un week-end sur deux. Je ne veux pas qu'il vive un enfer chaque week-end qu'il passera avec lui. Si je porte plainte, il fera de la pression sur ton frère. Et je ne veux pas cela. Je ne veux pas que Théo subisse cela. Je ne veux pas.
- Mais alors qu'est-ce que tu vas faire ?
- Je pense que je vais essayer de lui parler... lui dire que nous allons reprendre ce qui est établi par le juge. Qu'il voit Théo, un week-end sur deux... Lui dire aussi que je l'ai cru... Que j'ai cru que tout allait s'arranger... qu'une fois de plus je lui ai fais confiance, et qu'il nous a trahi. Qu'il est incapable de vivre avec nous sans violence. Sans cris. Sans coups. Et que nous ne pouvons plus vivre ainsi. J'ai essayé de le croire. Une famille n'est heureuse que lorsqu'elle est unie. Que des enfants ont besoin de leur deux parents, je l'ai cru. Aujourd'hui, je vois que ce n'est pas toujours possible. J'ai tout gâché...
- Non maman... ce n'est pas toi qui...
- J'ai tout gâché, par ma faiblesse. Comment j'ai pu passer toute ces années à croire... à croire, non... à être convaincue que tout allait s'arranger ? J'ai tellement aimé ton père, qu'il m'a fallu du temps pour ne plus l'aimer... Excuser a été ma première erreur. J'ai commencé à excuser. Il a compris qu'il pouvait recommencer. Et comme j'ai excusé une première fois. Je l'ai fais une deuxième fois... Et voilà où nous en sommes... Dix-huit années de mensonge. Dix-huit années que je suis morte. Aujourd'hui je me réveille, et c'est ton frère qui est pris en otage. Je ne me le pardonnerai jamais...
- Maman...
- Jamais...
Lorsque je sors des toilettes, je vois ma mère avec son maquillage défait. Je m'assois près d'elle. Nous nous prenons dans les bras. Tendrement.
Après quelques minutes, les yeux maintenant séchés :
- Allez. Maintenant c'est fini. On rentre à la maison, les enfants...
En partant, Joséphine chuchote quelque chose à l'oreille de Samuel.