A propos de La Jalousie de Philippe Garrel, de Rédemption de Miguel Gomes et de Le casse-tête chinois de Cédric Klapisch
Louis Garrel, Anna Mouglalis
En banlieue parisienne, Louis (Louis Garrel) est un comédien de théâtre pour qui tout semble sourire malgré des soucis d’argent. Alors qu’il vient de quitter Clotilde pour Claudia (Anna Mouglalis), une autre comédienne qui n’a rien joué depuis six ans mais dont il est fou amoureux, cette dernière s’éprend peu à peu d’un architecte. Claudia finit par larguer Louis. Ivre de douleur et de rage, ce dernier fait une tentative de suicide, au grand désespoir de sa sœur… et de sa fille Charlotte.
Anna Mouglalis
Bien sûr, la photographie en noir et blanc comme les gros plans sur les visages sont superbes dans La Jalousie, coécrit et réalisé par Garrel père. Mais cela ne suffit pas à remédier à un certain ennui ni à une lassitude grandissante, pour ne pas dire envahissante chez le spectateur.
Ce n’est pas très habituel ni très crédible de se faire offrir un appartement par un architecte qu’on vient à peine de rencontrer, encore moins de proposer nonchalamment à son « amoureux » (encore) officiel s’il souhaite emménager à trois avec le nouveau venu.
C’est pourtant ce que propose Claudia sans gêne à Louis. Un brin tête à claques sur ce coup-là, notre comédienne au chômage (Mouglalis, à la voix toujours aussi caverneuse) ose en plus reprocher au comédien de ne pas assez se « remuer ». Ne fait-elle pas pourtant rien elle-même depuis six ans ?…
Les tentatives de Claudia pour expliquer (sans avoir à se justifier) à l’intéressé ses choix restent froides et allusives, ses commentaires sur la situation peu convaincants, attaques courtes et lapidaires aux oreilles d’un Louis éploré et qui le lui fait d’ailleurs remarquer. Comme autant de lames enfoncées dans le cœur de l’amoureux éconduit… et transi, lui qui n’avait pas vu venir une telle enclume lui tomber sur la tête. Nous non plus, à part en doutant sincèrement de la sincérité et de la profondeur des sentiments de Claudia pour le comédien. Derrière le bel exercice de style, la beauté formelle de La Jalousie, on a du mal à saisir les enjeux et à se passionner pour l’intrigue. Quant à Mouglalis, vous ne trouvez pas quelque chose sonne faux dans son jeu, au-delà de la froideur de son personnage ? Bref, tout cela pour cela…
Autre film qui laisse sur sa fin mais sans aucun lien, Rédemption de Miguel Gomes (dont on se souvient du superbe Tabou), déçoit un peu malgré la fascination indéniable que son montage et sa réalisation exercent durant les 27 minutes (oui, c’est un court-métrage) qu’il dure.
Rédemption (réalisé dans le cadre d’une invitation par l’Ecole du Fresnoy) consiste en adroite imbrication de plusieurs récits, une série de quatre tableaux au cours desquels, tour à tour, se confient un enfant portugais, un vieil Italien, un Français et une Allemande. Point commun de ces confessions ? La rédemption (on l’aura compris) mais d’abord et avant tout peut-être la mélancolie voire la nostalgie profonde qui émanent des récits de ces quatre Européens. Comme un parfum de regret intarissable, un sentiment de culpabilité inextricable chez ces quatre anonymes.
Dans le premier récit, un enfant portugais, vivant en Angola, écrit à ses parents le 21 janvier 1975 pour leur dire à quel point il ne veut pas retourner vivre au Portugal, « pays triste ». Nous sommes au lendemain de la Révolution des Œillets. Sur des airs de musique tribale, ce premier récit alterne images d’archives (rituels africains, processions religieuses mais aussi scènes de violence) et archives personnelles du réalisateur où un enfant assiste, le regard médusé, à la mise à bas d’un veau. La fascination du spectateur naît du pouvoir de montage de ces images en couleurs au grain épais et de leur agencement. Volontairement, Gomes n’explique pas leur origine, leur provenance exacte ni le lien entre elles, ce qui a le don de créer un mystère tout en poussant le spectateur à développer son imaginaire. Comme dans Tabou, le contexte est celui d’une Afrique mythique, lieu de toutes les projections mentales, de tous les fantasmes mais aussi de tous les clichés pour le spectateur, prétexte idéal pour Gomes à l’introduction du romanesque…
Dans le second récit, des images en noir en blanc montrent tantôt des ouvriers au travail dans une imprimerie, tantôt des enfants s’envolant sur un balai de sorcière au milieu de la place Saint-Marc à Venise. Un vieil Italien y confie que s’il a été « gâté par la vie », s’il a connu des « milliers de femmes, », il n’a jamais pu néanmoins se remettre de la perte de son premier amour…
Dans le troisième récit, sur fond d’images en couleurs montrant des souvenirs de famille en super 8, un Français dans la force de l’âge et qui semble avoir réussi sa vie, s’excuse auprès de sa fille dont il ne s’est pas occupé et qu’il n’a pas élevée…
Enfin, dans le dernier film, une Allemande répète qu’elle n’a jamais pu se remettre de la musique de Parsifal, l’opéra de ce « fasciste de Wagner » qui a empoisonné son mariage au point de résonner encore dans sa tête.
Ce qui séduit dans ces quatre mini-récits, outre le mystère quant au lien qu’ils peuvent bien avoir entre eux, c’est leur construction, la capacité d’un montage complexe et discordant (images d’archives, effets visuels de surimpression avec des formes abstraites et des arabesques fluorescentes notamment) à susciter l’imaginaire du spectateur, à attiser son goût pour les histoires et le romanesque. Le pouvoir d’évocation de ces quatre mini-récits, le mystère qui en émane, est créé presque uniquement par le montage, par le rythme qu’a su trouver Gomes entre la voix off, l’alternance d’images d’archives historiques et familiales, le montage parfois « cut », la présence diffuse de musique tribale. Inclassable, Rédemption semble être autant un hommage au cinéma qu’une déclaration d’amour au romanesque, au pouvoir de la fiction, à la force du récit. Mais si l’on est impatient de voir Les Mille et une nuits, son prochain film, on est presque frustrés que Rédemption s’achève ainsi, aussi rapidement, aussi brutalement si l’on peut dire…
Audrey Tautou au firmament aux côtés de Romain Duris
Enfin, peu de choses à dire de Le Casse-têtes, si ce n’est que c’est un film totalement dépourvu d’enjeux mais assez distrayant malgré sa longueur. On prend les mêmes et on recommence ? C’est à peu près cela après L’Auberge Espagnole et Les poupées russes, sauf que Xavier (Romain Duris) a maintenant quarante ans et un grand besoin d’air. Toujours aussi paumé et indécis, c’est à New-York que l’écrivain à succès atterrit après son divorce inattendu avec Wendy (Kelly Reilly, toujours aussi magnifique). Cherchant à se faire une place dans la grosse pomme et un moyen de travailler légalement tout en continuant à écrire, Xavier connaîtra toutes sortes de péripéties aussi rocambolesques que peu crédibles, à l’image du scénario écrit par Klapisch lui-même, où une lesbienne jouée par une énergique et séduisante Cécile de France (encore une fois excellente) adopte un enfant avec sa copine tout en ne pouvant pas s’empêcher de sortir avec la nounou !…
Quelques bonnes idées gentilles, comme l’apparition physique des philosophes Hegel ou Schopenhauer à côté de Xavier, transformé pour l’occasion en Christophe Colomb (on se comprend) mais dans l’ensemble, un film qui aurait gagné en rire(s) en étant coupé d’une bonne demi-heure…
Heureusement qu’il y a Audrey Tautou, à la fois lumineuse et toujours aussi énigmatique entre deux autres étoiles : Cécile de France et Kelly Reilly…
http://www.youtube.com/watch?v=GZ95Ybzjo7g
La jalousie, film français de Philippe Garrel avec Louis Garrel, Anna Mouglalis et Rebecca Convenant (01 h 17)
Rédemption, film franco-portugais de Miguel Gomes avec les voix de Maren Ade, Jean-Pierre Rehm, Donatello Brida et Jaime Pereira (27 min)
Le casse-tête chinois, film français de Cédric Klapisch avec Audrey Tautou, Romain Duris, Cécile de France, Kelly Reilly… (01 h 54)